Utilisant comme base la récente étude Eurotaxglass's sur les valeurs résiduelles des VE, Bernard Jullien, directeur du GERPISA, dresse dans un article de son blog un bilan juste et lucide du marché du véhicule électrique. Les questions des valeurs résiduelles, des secondes vies des véhicules sont particulièrement bien remises en perspective en tenant compte des réalités économiques des ménages.
"Comme l’indique le cas de Dacia, dès que l’on se met en position de s’adresser aux ménages plus jeunes, moins urbains et moins riches qui ont de vrais besoins de mobilité que l’offre des constructeurs couvre si mal, alors les étroits corridors commerciaux se transforment en larges boulevards : ce n’est pas face à une 207 ou une Clio Diesel à 15 ou 17 000 euros achetée par un ménage de cadres supérieurs parisien quinquagénaire comme seconde voiture qu’un VE doit être compétitif mais face à une Sandero GPL acquise par un jeune ménage de Pontivy ou de Libourne pour remplacer la 206 ou la Clio 2 de 10 ans pour aller travailler à 35 kms du pavillon qu’ils ont fait construire il y a trois ans et qu’ils vont encore payer pendant 22 ans."
Le message est clair, pour gagner le VE doit se vendre en masse, cibler les ménages jeunes, concurrencer rapidement des véhicules low cost neufs. Les questions majeures deviennent donc :
- Comment vendre des véhicules aux ménages jeunes ?
- Comment concurrencer le low cost ?
- Dans ce cadre, quel sera le bilan environnemental ?
Pour tenter de répondre à ces questions, ou plutôt de donner quelques pistes, nous nous tournerons vers notre avenir possible, les USA, et utiliserons une étude récente réalisée par l'IFP et l'ADEME intitulée "Comparaison du VE et du Véhicule Thermique dans un contexte mono-usage", ainsi que d'autres notes du blog.
1.Comment vendre des véhicules électriques aux ménages jeunes ?
Le véhicule électrique devra se vendre massivement à des ménages jeunes, intégrant donc leurs besoins, leurs aspirations. Il faut donc imaginer conjointement la rencontre entre une évolution majeure en matière de véhicule et une évolution majeure de cibles et de moyen pour l'atteindre. Une récente étude réalisée aux USA "Is Digital Revolution Driving Decline in U.S. Car culture ?", pays de l'automobile individuelle, montre les mutations majeures venant des moins de 30 ans, appelés Génération Y ou Millennial.
Quelques extraits :
"theory is that almost everything about digital media and technology makes cars less desirable or useful and public transportation a lot more relevant. Texting while driving is dangerous and increasingly illegal, as is watching mobile TV or working on your laptop. All, at least under favorable wireless circumstances, work fine on the train. The internet and mobile devices also have made telecommuting increasingly common, displacing both cars and public transit. […] Mr. Draves said. "Time becomes really valuable to them," he said. "You can work on a train. You can't work in a car. And the difference is two to three hours a day, or about 25% of one's productive time." Voir également cette note sur le même thème.
"Ford Motor Co. sees the trend as well, which is why it has introduced features such as Sync in its cars. "I don't think the car symbolizes freedom to Gen Y to the extent it did baby boomers, or to a lesser extent, Gen X-ers," said Sheryl Connelly, global trends and futuring manager. "Part of it is that there are a lot more toys out there competing for the hard-earned dollars of older teens and young adults."
Millennials "are an important customer to us," said Ford's Ms. Connelly. "But we also understand the context in which they use cars has changed. … It has nothing to do with performance or getting you from point A to point B. It's just a change in what people expect to be delivered." Voir également cette MétaNote sur ce sujet.
Mr. Draves predicts that by 2020, the combination of younger people driving less and boomers retiring will cut mileage driven in the U.S. by half."
En résumé, l'automobile et le permis de conduire ne sont plus les rites de passage à l'âge adulte, le nombre de permis par tranche d'âge diminue, de même que la distance annuelle parcourue, la possession d'un véhicule est peu compatible avec le budget de cette génération, la génération Y pense sa consommation matériel par le prisme d'internet avant de se déplacer, et de conclure qu'en 2020 la distance moyenne parcourue sera divisée par deux sous l'effet conjoint d'une réduction du nombre de baby boomer et d'une augmentation de Génération Y (voir également ici un film de J.Attali sur Public Sénat sur la génération Y). Le véhicule électrique et toute la filière doivent être pensés pour séduire cette génération: connectivité, inclus dans des services de mobilité (voir également ici, ce thème étant largement traité dans ce blog) et minimisant au maximum les coûts d'investissement et d'exploitation.
2.Comment concurrencer le low cost ?
Pour baisser au maximum les budgets d'investissement des véhicules électriques destinés aux sociétés de service qui les exploiteront pour des particuliers, ou destinés directement aux particuliers, ainsi que les budgets d'exploitation, il faut considérer la répartition des différents coûts d'un véhicule électrique et également de toute la filière, incluant les autres "vies" du véhicule.
L'économie de la fonctionnalité et l'économie circulaire (voir note sur ces sujets) doivent être considérées pour concevoir et optimiser l'objet véhicule en tenant compte de son usage ou plus exactement de ses usages multiples. La citation de T.Grange, Directeur de l'Ecole de Management à Grenoble, spécialiste du management de l'innovation et défenseur de la théorie des usages est à retenir : "La valeur des usages est plus grande que la valeur d'usage des choses". Il s'agit donc d'imaginer comment la génération Y utilisera les véhicules électriques (voir chapitre précédent) et que l'on optimise ces usages, puis l'on permette par la co-conception que la génération Y, elle-même, développe de nouveaux usages (c'est l'idée centrale des living labs, voir ici). En résumé, l'optimisation économique du véhicule électrique passe par une optimisation de ses usages, un véhicule avec autant d'intelligence ne peut pas être aussi mal utilisé qu'aujourd'hui.
D'un point de vue technologique, baisser le prix de l'objet véhicule électrique nécessite avant tout de réduire le coût unitaire des batteries, ce qui relève de progrès "classiques", et surtout la quantité de batterie utilisée. Baisser la quantité de batterie nécessite de connaître le besoin réel de mobilité, de spécialiser les véhicules en fonction des usages, de faire de l'allègement par la conception (architecture et matériaux) un standard.
L'IFP et l'ADEME se sont intéressés au potentiel apporté par la spécialisation des véhicules en matière d'efficacité énergétique, donc d'émissions de CO2. L'idée était de quantifier, pour un véhicule appelé "mono-usage" le gain énergétique apporté par la conception permettant la réalisation minimale de ses missions. L'appelation "mono-usage" permet de pointer du doigt la réduction, le véhicule ne pourra pas tout faire (aller à la montagne, transporter 400 kg de marchandises, tracter une remorque), comme le véhicule électrique, il sera limité.
L'étude compare donc les deux filières électriques et thermiques sur la base d'un cahier des charges (performances des véhicules) identique en matière de vitesse maxi, de montée d'une rampe, etc…
- embarquer deux adultes et un enfant avec 40 kg de masse supplémentaire (soit une masse embarquée maximale de 210 kg),
- pouvoir monter une rampe de 15% à une vitesse allant de 0 à 30 km/h avec la masse maxi,
- avoir une vitesse maximale de 110 km/h sur la plat et 90 km/h sur une pente de 5% avec la masse maxi.
3. Dans ce cadre, quel sera le bilan environnemental ?
L'étude est présentée intégralement ci dessous. La comparaison énergétique est réalisée entièrement de façon numérique sans mesure. Les modèles utilisent des données d'entrées détaillées dans le rapport.
La puissance nécessaire pour déplacer ce type de véhicule avec les performances indiquées est de l'ordre de 20kW (voir note sur le sujet, Qui sera capable de faire un GMP de 20kW au meilleur prix ?), et en conséquence d'avoir avec les technologies actuelles un véhicule thermique à moins de 60 gCO2/km. Les résultats sont particulièrement intéressants et permettent de quantifier les marges de progrès à la fois par l'allègement, rendu possible avant tout par la mise en oeuvre d'une économie de la fonctionnalité, et par l'électrification.
Conclusion
L'économie du véhicule électrique se singularise à la fois :
- par le besoin intrinsèque d'intégrer l'économie de la fonctionnalité et l'économie circulaire pour répondre aux impératifs financiers des futurs acheteurs, et également
- par une transition générationnelle révolutionnant les usages, impliquant de co-concevoir les objets.
Jusqu'à présent l'industrie automobile avait inventé des modes de conception-réalisation étendus avec des fournisseurs de sous-systèmes, basés sur les réussites-échecs du passé; elle doit maintenant accroître la complexité et les limites du système bien au-delà de l'objet, et demander aux utilisateurs de prendre une chaise autour de la table.
1 commentaire
il est tant en effet que l’automobiliste passe du statut de consommateur à celui d’acteur de la mobilité durable…
vaste chantier!
GP