Dans son dernier livre, Jacques Attali propose quelques pistes pour "survivre" aux crises (vivre de façon "supérieure" et également réussir à continuer à vivre). Sept principes sont indiqués.
Le premier principe consiste à se respecter soi-même, ce qui implique de se fixer des valeurs et de s’y tenir. Le second principe, appelé « l’intensité du temps », doit nous conduire à développer un projet sur le long terme, tout en étant capable de vivre l’instant présent comme s’il était le dernier. Le troisième axe, « l’empathie », consiste à comprendre les dangers qui nous entourent, à étudier les autres (individus, nations, entreprises…) de manière à distinguer alliés potentiels et véritables adversaires. Le quatrième principe, « la résilience », vise à se donner des assurances pour ne pas tout perdre si un bouleversement devait survenir, à ne compter que sur nous même. Le cinquième pilier, la « créativité », doit permettre de transformer une infortune en opportunité, en envisageant chaque problème comme un défi à relever. Le sixième axe, « l’ubiquité », doit aboutir, à l’extrême, à changer radicalement de vie, à devenir – au moins en apparence – le contraire de soi. Enfin, si rien de ce qui précède ne suffit, il faut se mettre en position de légitime défense et renverser les règles qui menacent sa propre survie, quitte à sortir de la légalité : ce que j’appelle "penser révolutionnaire".
Ces propositions d'évolutions comportementales arriveront naturellement pour certains, dans la douleur pour d'autres. Elles avaient été également décrites par André Gorz il y a plus de 10 ans. Comment peut-on collectivemment développer une ou des mobilités plus robustes aux crises à venir ? Comment, sur ce sujet essentiel de la mobilité, appliquer ces principes au niveau du pays, des entreprises, des citoyens ?
Les deux premiers principes (respect, projet à long terme) pourraient se traduire :
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au niveau de l'Etat, par un projet cohérent, accepté par les citoyens, inscrit dans le long terme de choix énergétiques pour les transports, de développement de solutions de mobilités, d'investissements dans les infrastructures,
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pour les industriels, par des stratégies à moyen et long termes qui se baseraient sur des choix "gagnants quelque soit l'avenir" : efficacité énergétique, recyclage et utilisation de déchets, information détaillée de la qualité des produits fabriqués, écoute et amélioration des conditions de travail des salariés…
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pour le citoyen, par une évolution des comportements, l'intégration de nouvelles valeurs qui leur permettront de mieux vivre.
Le troisième principe (empathie) pourrait s'appliquer à tous les niveaux par une analyse permanente du monde qui nous entoure, des jeux d'acteurs, des intérêts croisés, … pour décrypter, comprendre et agir. Plus particulièrement, les entreprises doivent développer des connaissances fines des clients, de leurs attentes réelles dans un monde moins stable. A l'inverse les citoyens vont demander à connaître en détail les produits qu'ils consomment, et d'accepteront plus de ne pas avoir accès à des informations aujourd'hui jugées confidentielles. Les fonctionnements en réseaux, en temps réel obligeront les industries à une transparence inédite à ce jour. Paradoxalement, pour être plus robuste, il faudra être plus ouvert sur les autres.
Le quatrième principe (résilience) vise à développer à tous les niveaux des modes de vie plus robustes aux crises et à ne compter que sur soi-même. Ce point est central pour la mobilité, et tous les acteurs devront s'y employer. Cette recherche d'autonomie, d'autarcie a déjà commencé au niveau :
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Des états, avec par exemple, l'achat de terres arables par des pays riches dépourvus de surfaces agricoles, d'eau ou de main d'oeuvre ou des entreprises pour accéder aux matières premières. Ce phénomène touche la planète entière, en majorité pour des productions agricoles mais également pour de la biomasse à usage énergétique ou industrielle. Le lien avec les transports et les biocarburants de 1ère et 2ème génération apparaît ici. Cette agriculture délocalisée n'est pas, pour le moment, bénéfique pour les populations locales. Par ailleurs, la Chine vient d'annoncer qu'elle allait contrôler et réduire les exportations de lanthanides(appelées terres rares incluant notamment le cérium). Ces éléments chimiques sont indispensables pour la catalyse automobile et pétrolière, la radiographie médicale, les additifs pour filtre à particules et certains aimants. Pour une autre ressource, le lithium, la Bolivie développe une filière d'exploitation et de production de batteries pour éviter une exploitation étrangère : "Pas question que des compagnies étrangères viennent s'enrichir avec nos matières premières. Par contre, s'ils veulent implanter des usines de batteries et de voitures, ils sont les bienvenus." Bolloré, LG et Mitsubishi sont sur les rangs.
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Des industries qui s'organisent pour accéder, maîtriser les matières premières stratégiques. Veolia, par sa filière Déchets, collecte, transforme les huiles usagées en ester, ou les fractions fermentiscibles en biogaz, pour ensuite les utiliser comme carburants dans sa filière Transports. Nongken, entreprise agricole chinoise, a acheté des terres en Thaïlande et Vietnam pour produire du latex. Pour être plus robustes, les industries automobile devront être capables de proposer plusieurs types de mobilité, pour une large palette de clients, de construire des alliances avec d'autres acteurs, des TIC notamment, de concevoir des produits isus de déchets qui se recyclent, se réutilisent facilement, de faire participer le citoyen à la définition des produits et des services.
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Des citoyens vont développer de nouveaux comportements pour choisir les biens qu'ils achètent sur la
base de critères multiples comme le bilan environnemental incluant les émissions de CO2 (bientôt obligatoires), le type de commerce (équitable ou non), le travail des salariés, … et le prix. Pour cela de nouveaux outils vont apparaître leur facilitant ces choix complexes, ceci pourrait modifier les schémas logistiques (puisque le consommateur choisit le produit au meilleur bilan CO2, les entreprises mettront en oeuvre un management par le CO2), donc le transport de marchandises.
Le cinquième principe (la créativité) découle des précédents en instaurant le changement, le renouvellement, le mouvement comme une clé de réussite. Seuls les esprits mobiles pourront s'adapter facilement. L'innovation a depuis longtemps été le coeur de métier des industries, puis des Etats venus soutenir cette créativité. C'est maintenant le temps des citoyens. Ces derniers seront, et sont même déjà aujourd'hui de puissants créateurs. Le développement de l'open source, du logiciel libre en est la preuve : il existe aujourd'hui des personnes qui acceptent, pour différentes raisons, de travailler gratuitement, de partager leur création, de construire des biens communs. Les entreprises qui sauront, comme Apple, Drupal aujourd'hui, tisser des liens avec ces communautés, et surtout collecter cette innovation diffuse, accéderont à une grande robustesse.
Le sixième principe (l’ubiquité) propose de changer à l'extrême pour assurer sa survie. Certaines entreprises ont su se réinventer comme Nokia. Mais les exemples sont peu nombreux, les chemins pour le faire restent inconnus. Il faut pourtant s'y préparer, le passage de la vente de voiture à la vente de mobilité doit être vu comme une chance pour le citoyen, les industries et l'environnement. Les pouvoirs publics doivent aider à cette transition par des outils, sans imposer de chemin.
Le dernier et septième principe (pensée révolutionnaire) ne devra être engagé qu'à la condition que les précédents ont tous été mis en oeuvre, sans succès. Pouvant conduire à la survie comme au pire, je propose de retenir une citation d'un des plus grands philosophes Woody Allen : "L'avenir contient de grandes occasions. Il révèle aussi des pièges. Le problème sera d'éviter les pièges, de saisir les occasions et de rentrer chez soi pour six heures."