Pour préparer l’atelier organisé par Novincie, « La Bretagne, précurseur d’un nouveau standard de mobilité » et en poursuivant la démarche engagée sur ce blog visant à considérer la mobilité comme un système global du citoyen aux industries, des usages aux modèles économiques, une analyse de « plate formes » dans d’autres domaines est proposée. Quelle pourrait être la structure d’une plate forme permettant de concevoir et réaliser un système de Mobilité 2.0, quels seront les acteurs et qui la pilotera, à quel niveau géographique, et surtout avec quels objectifs ?
Les industries automobiles utilisent déjà depuis plusieurs années la notion de plate forme à la fois du coté de l’architecture véhicule, notion de base roulante, et également pour la conception des véhicules. La plate forme est, dans ce dernier cas, à la fois un lieu géographique et une structure organisationnelle de l’entreprise où les acteurs de différents domaines, de différentes industries se rencontrent, collaborent pour concevoir ensemble un objet et son mode de production. Des outils de management, de pilotage, d’apprentissage se développent sur ce sujet. Ce « premier niveau » de plate forme va se renforcer, se structurer, se complexifier avec des partenariats entre plusieurs constructeurs sur une même plate forme de conception pour éventuellement partager une même plate forme véhicule au niveau mondial. Cette plate forme permet de gouverner le développement d’un objet, à partir d’un cahier des charges, tout en respectant de nombreuses contraintes notamment économique et réglementaire dans des plannings de plus en plus tendus.
Ce mode de fonctionnement peut s’étendre à une industrie entière. Récemment, l’industrie automobile française s’est également groupée au sein de la Plate Forme Automobile (PFA). Là encore un des objectifs est de mieux collaborer ensemble pour préparer l’avenir, mieux capitaliser, concevoir « mieux et plus vite ». L’industrie automobile excelle notamment dans l’optimisation des compromis, ce premier niveau de plate forme participe à cela.
Mais nous devons, dès à présent, accroître simultanément et de plusieurs niveaux les frontières et la complexité du système considéré, et cela pour plusieurs raisons :
· Pour concevoir et mettre en œuvre un système de mobilité plus robuste aux crises et tensions à venir (énergétiques, environnementales, économiques, sanitaires et sociales), faire mieux, beaucoup mieux, avec ce que l’on a ;
· Pour ancrer nos industries, nos emplois, nos solutions dans nos territoires, et développer des solutions adaptées à des contextes différents ;
· Pour intégrer le gisement d’innovation des citoyens, équilibrer différemment la gouvernance entre les autorités et les citoyens, et ainsi construire la confiance ;
D’après Tim O’Reilly, le web 2.0 peut être qualifié de plate forme pour les usagers et les usages, de même que la ville, la rue, ou encore certains gouvernements (Open Government, le livre) dont l’administration Obama. “Le gouvernement 2.0 est transformatif”, il a pour but de changer le statu quo de la gouvernance : par l’innovation des autorités elles-mêmes, par la transparence de ses processus, par la collaboration entre ses membres et la participation des citoyens. Ces moyens, qui assemblés peuvent introduire une transformation radicale, sont ceux qui ont été établis par la présidence Obama dans un mémo intitulé “Transparence et Gouvernement ouvert“. Le gouvernement 2.0 agit à plusieurs niveaux : il favorise la collaboration du citoyen aux politiciens en passant par toutes les strates du mille-feuille administratif. “Il est habité par la technologie” (technology-enabled), c’est-à-dire qu’il utilise les technologies nouvelles et émergentes pour se transformer et se donner “le pouvoir de gouverner”. Cette utilisation de la technologie est itérative, c’est-à-dire qu’elle utilise un processus sans fin d’identification
des problèmes, de conduite d’expérimentations, et d’adaptation des solutions. Le gouvernement 2.0 est axé sur ses missions : il définit des stratégies et des tactiques pour y parvenir. Il est fondé sur des politiques, des règles, des lois (égalité de traitement de citoyens, respect de leur vie privée, de la sécurité…) qui dépendent de systèmes de valeurs différents du web 2.0. “Le gouvernement 2.0 est un processus d’équilibrage entre citoyens et autorités” et se créé pour partie dans l’interaction entre les deux, explique-t-il pour conclure sa définition d’un gouvernement comme plate-forme.
Le deuxième niveau de plate forme (PF 2.0) sera donc nécessairement élargi, elle englobera le premier niveau, étant entendu que les acteurs industriels en seront des parties prenantes. Elle utilisera des outils collaboratifs étendus, ouverts tant en étant guidés par une stratégie globale. Mais cette PF2.0 intégrera également de nouveaux membres :
· Autorités publiques locales, régionales et nationales,
· Opérateur de transports publics
· Clients et usagers : Citoyens, associations de consommateurs, gestionnaires de flotte, loueurs, société de leasing,
· Banque et assurances,
· Industries des télécommunications,
· Laboratoires de recherche sur les TIC et les usages, laboratoire de recherche sur la gestion et la fouille des données, sociologues et ethnologues,
· Industries des énergies et des réseaux énergétiques,
Comment animer ces acteurs si différents, aux objectifs quelquefois divergents ? Le principe du living lab (déjà abordé ici, voir également ci-dessous) peut permettre de créer plus de possibilités, de favoriser le déploiement de micro-projets, d’adapter des outils de R&D pour des non-experts, dans le but de trouver des solutions locales pour atteindre des objectifs nationaux sur le terrain.
Cela passe par la prise en compte systématique des usages réels, et ainsi de parvenir à une dynamique de transformations portées par les usages. Comme l’indique Nathalie Kosciusko-Morizet dans TiC2025 les grandes mutations, « la vraie question, la question qui se pose à un responsable politique et à la puissance publique, c’est celle des usages socialement utiles. […] la puissance publique doit s’intéresser aux usages ». Mettre en œuvre une plate forme des Mobilités 2.0 conduit implicitement à adopter un mode de gouvernance 2.0 : plus ouvert, participatif, avec l’objectif extrême d’en abandonner un parti du contrôle à un « nuage d’acteurs » guidé par une stratégie et des objectifs partagés.
Compte tenu de nos moyens limités, cette mutation passe par des expérimentations locales, des démonstrateurs incluant des innovations sociales. Mais le passage à l’échelle supérieur, la pérennisation des actions et leur généralisation doivent également être étudiés dans la plate forme. Les projets locaux devront donc être à la fois en réseau et autonomes, soutenus par une approche fondée sur le design, comme l’explique François Jégou (voir ici sa présentation) pour faciliter la visibilité et l’accès. « Il faut s’inspirer de l’acuponcture qui, en sélectionnant un nombre de point limité, soigne l’ensemble du corps ».
[insérer ppt micro2macro]
Le Nesta, l’agence de l’innovation britannique, ne dit pas autre chose dans son rapport sur le localisme de masse en évoquant le passage à l’échelle des projets locaux. Au lieu de supposer que la meilleure des solutions doive être déterminée, prescrite, conduite ou agrégée depuis le centre, les décideurs devraient créer plus de possibilités pour que les communautés développent et trouvent leurs propres solutions.
La PF2.0 sera donc capable d’identifier les synergies qu’il faut activer pour avoir un effet systémique, de penser des projets locaux autonomes mais inscrits dans un cadre, de proposer une stratégie globale pour achever une transformation via un réseau de micro-projets.
[issu d’internetactu] Le laboratoire de Medea est un exemple de « do tank », complémentaire à « think tank », de living lab, qui imagine comment utiliser les outils numériques pour favoriser l’innovation sociale. Comme le dit son concepteur, c’est une plate-forme, un lieu, un environnement, une infrastructure. Le rôle du Medea est de démocratiser l’innovation pour répondre à la triple crise financière, sociale et environnementale, à laquelle nous sommes confrontés, en utilisant pour cela la conception par les utilisateurs. Medea se divise en trois laboratoires :
- la Factory, dans le quartier ultra-moderne des anciens docks de la ville qui à terme devrait accueillir un FabLab associé à une structure de micro-financement de projets (DoDream) ;
- the Stage, dans un quartier multiculturel et travaillant sur une problématique de production, promotion, distribution et financement des productions culturelles avec des expériences comme Barcode Beats permettant à des jeunes de jouer de la musique dans les magasins en créant des rythmiques depuis n’importe quels codes-barres ou encore le Hip-Hop Bluetooth Bus (vidéo), transformant le bus en un média d’échange de musique.
- the Neigbourhood, sur deux autres quartier, envisageant la question multi-éthnique comme une ressource locale pour des services collaboratifs et la reconfiguration urbaine comme ce fut le cas avec le projet Parapolis (images), permettant aux gens de participer à la reconception d’un quartier de Malmö en le dessinant et dialoguant avec les architectes, ou encore les projets du quartier durable Hilda ou encore les Bokalers, des appartements du quartier populaire de Rosengärd auxquels ont été ajoutés des commerces de proximité.
En résumé, la PF2.0 fournit une vision commune partagée, des outils collaboratifs adaptés pour le citoyen et les industriels permettant de créer de nouvelles possibilités non imaginées par leurs créateurs, des espaces de rencontre entre les acteurs, des liens dynamiques entre les projets locaux, un réseau unique et partagé d’apprentissage d’une « science des usages » permettant également de capitaliser des erreurs, des connaissances et, plus que tout, de la confiance.
Pour les Mobilités plus particulièrement, cette PF2.0 devra donc conduire :
- à définir des objectifs précis et quantifiés en matière de consommation d’énergie, de pollution, d’usage de la voirie / congestion, d’emplois locaux,
- à réaliser la transition d’une économie des objets (véhicule) vers une économie de la fonctionnalité (mobilité),
- à partager librement un maximum de résultats, de méthodes, de réussites et d’échecs,
- à faire participer, dès la rédaction du cahier des charges, les usagers finaux (particuliers et professionnels),
- à utiliser massivement de nouvelles architectures véhicules, de nouveaux matériaux, de nouvelles énergies rendus possible par des ruptures dans les spécifications liées au changement de modèle économique,
- à inclure le véhicule dans la chaîne de la mobilité par une introduction des TIC, à la fois, pour le rendre communicant vers l’usager, les infrastructures routières et énergétiques (réseau et station), et pour permettre de caractériser en toute transparence la performance énergétique et environnementale des trajets.
- à proposer, dans le but d’une optimisation du système complet, un ou plusieurs modes de gouvernance associé, ainsi que les modalités de partage des données.
Pour vivre bien dans le 21ème siècle, nous aurons besoin d’utiliser au mieux chaque grain de matière et d’énergie (ressources finies) grâce à la connaissance et l’innovation de tous (ressources infinies).