Les deux articles précédents (Articles 1 et 2) décrivent le chemin parcouru depuis 10 ans dans les domaines des mobilités, les processus utilisés pour agir dans un large écosystème, les principaux enseignements sur le fond, sur l’être et le faire.
Je suis les liens que je tisse avec d’autres , Albert Jacquard
De ce parcours, il est possible d’extraire un « code source » en 7 étapes pour celles et ceux qui souhaitent s’aventurer dans une transformation de leur métier. Cette méthode s’adresse en priorité aux personnes travaillant dans une structure publique (agence, institut, ministère, collectivité) ou para-publique (cluster, pôle de compétitivité, CCI, incubateur, accélérateur, …), qui agissent pour aider les entrepreneurs (voir l’article 1 qui rappelle plusieurs définitions).
Elle vise d’abord les personnes, individuellement, volontaires pour donner sans recevoir, pour lâcher prise sur leur pratique, pour s’engager dans d’autres façons d’agir et faire évoluer leur culture. Elle pourra sans doute s’appliquer sur des organisations dont plusieurs personnes ont fait une partie de la transformation.
Méthode « empirique » d’aide à la transformation individuelle et collective
Après la révolution numérique, les structures publiques de soutien à l’innovation pourraient faire évoluer leur action, leur méthode, leur outil, leur rôle. Cette méthode empirique en 7 étapes décrit les principales étapes à suivre pour s’engager dans une transformation individuelle et collective. Elle s’applique également à toute entreprise et permet de relier les GAFA, les outils numériques (réseau social, plateforme de données), l’entrepreneuriat et les problèmes que nous cherchons à résoudre.
1.Intégrez certains principes des GAFA. Comprendre les principes de fonctionnement des principaux acteurs numériques, l’économie des plateformes, l’âge de la multitude. C’est le socle de base pour comprendre le monde tel qu’il est. Comment et pourquoi les plateformes numériques ont réussi des alliances sur toutes les « faces » : avec les clients, avec les développeurs, avec d’autres acteurs et même entre elles. Il s’agit de s’inspirer des modèles des plateformes non pas pour les reproduire mais pour intégrer certains principes vertueux et ainsi transformer son activité, ses ressources et plus largement son environnement.
2.Faites alliance avec les entrepreneurs. Pour réussir cette alliance, il est essentiel de mieux comprendre les principes de l’entrepreneuriat dans un monde numérique. Comment fonctionne un entrepreneur, pourquoi faut-il les aider et comment peut-on les aider ?
- Depuis la révolution numérique, les entrepreneurs disposent de ressources inédites dans l’histoire : capacité de calcul, outils marketing, cloud, IA, réseaux, capacité de prototypage et de financement. Prenez du recul et questionner la plus-value réelle de votre organisation : en dehors de l’argent, qu’apportez-vous de spécifique et d’utile aux entrepreneurs, qu’ils ne peuvent pas trouver ailleurs ?
- L’effectuation (voir article 1 pour les définitions) décrit le mieux les processus mis en œuvre par les entrepreneurs pour initier un projet et le faire avancer. C’est aujourd’hui la meilleure méthode pour avancer dans un environnement complexe et changeant. C’est essentiel de comprendre et intégrer ce mode de pensée pour pouvoir les aider au mieux. Une fois l’effectuation intégrée, quelles ressources pouvez-vous apporter ? Est ce que vos processus de sélection, d’identification sont compatibles avec des démarches effectuales ? La plupart du temps, ils ne le sont pas.
- En faisant alliance avec des entrepreneurs, vous pouvez explorer des marchés et des risques que les acteurs établis renoncent en général à adresser. Certains défis pourront être résolus et dans tous les cas, vous allez produire de nouvelles ressources pour les prochains et ainsi créer un « terreau » fertile aux entrepreneurs. Vous pouvez maintenant questionner vos processus pour évaluer leur capacité à changer vraiment les produits et services, les jeux d’acteurs au lieu de renforcer ceux existants.
- Concernant les aides financières, vous pouvez également questionner les processus existants d’allocation des aides financières et de sélection des projets ? Sont-ils compatibles avec des démarches effectuales et avec les entrepreneurs qui prennent le risque de changer les positions en place ?
3. Devenez d’abord expert des problèmes pas des solutions. Les principaux champs et domaines à transformer sont à comprendre, les stratégies des acteurs en place à analyser et de déconstruire. Les défis sont à décrire en détail (quel est le problème à résoudre, son périmètre, quels sont les précédents échecs, …) avec des objectifs à atteindre précis dans les mois à venir. Dans vos domaines, il s’agit d’amener un grand nombre d’entrepreneurs à collaborer avec vous sur ces défis. En associant des ressources utiles et utilisables, des problèmes clairement exprimés et des réseaux associés, vous créez les conditions pour faire venir des entrepreneurs. L’alliance avec les entrepreneurs se positionne donc à trois niveaux :
- en apportant des problèmes documentés et un réseau de contact associé,
- en apportant des ressources exploitables et utiles (données, argent, réseau, compétences, techno, logiciels …) donc en les documentant et en les plaçant sur des dispositifs numériques adaptés. L’Open source et les communs deviennent alors une évidence.
- en créant des réseaux pour fluidifier les échanges tout en permettant à chacun de comprendre son action individuelle tout en comprenant son rôle dans le collectif.
4.Transformez vous ! en sélectionnant un premier domaine, une première liste de défis. Il s’agit alors d’identifier les acteurs influents, se relier à eux, faire venir des entrepreneurs sur ces sujets. Concrètement il s’agit d’être en contact non pas avec 10 mais avec 100, 500 puis 1000 personnes dans votre domaine pour aider à l’enrichir en ressources et à le transformer. Cette alliance avec un large réseau impliquant des entrepreneurs sera facilitée en leur mettant à disposition de nouvelles ressources qu’ils ne trouvent pas ailleurs. Pour travailler au quotidien avec un réseau étendu aussi large, seule la maitrise d’outils numériques peut le permettre.
5.Plateformisez vos ressources. En poursuivant dans cette démarche, il devient intéressant de mettre à disposition des ressources utiles et exploitables à une multitude d’acteurs, d’échanger avec un réseau de plusieurs centaines de personnes. Ceci n’est possible qu’en faisant évoluer ses pratiques, ses processus, ses outils. Concrètement comment identifier 500 entrepreneurs ? comment travailler avec eux ? comment organiser au quotidien ses actions ? comment rendre accessible la quasi-totalité de ses ressources (open data, problèmes à résoudre, échecs précédents, FAQ, projets déjà financés, …) ? Quelles sont les ressources ouvertes et utiles aux entrepreneurs dans votre domaine (la FabMob devient une évidence) ? Dans tous les cas, la documentation et l’ouverture de vos ressources seront d’abord utiles dans votre propre entreprise. Là encore, plateformiser ses ressources implique de les numériser, d’en contrôler l’accès et d’en quantifier les usages à travers la maîtrise de plusieurs outils numériques.
6.Repensez vos outils. A partir de ce chemin individuel (et ensuite collectif) dans vos domaines, il devient possible de spécifier vos besoins en matière d’outils numériques, de réseau social interne, de site internet ou encore de plateforme open data. Comme vous aurez déjà transformé votre activité et vos actions quotidiennes, il sera possible de converger sur des outils collectifs pertinents à mettre en œuvre au niveau d’un service, d’une direction ou d’une entreprise. Si la démarche est mise en œuvre avec des résultats intéressants, alors il devient nécessaire de revoir :
- Les processus d’appel à projet, de sélection qui deviennent incompatibles (voir cette proposition de nouvelle méthode),
- Les contrats et aides apportées aux entrepreneurs,
- Les conditions d’attribution des aides qui devraient intégrer la mise en commun d’une partie des livrables produits.
7.Documentez votre démarche et partagez ! En partageant d’autres parcours, d’autres méthodes empiriques, nous pourrions converger vers de nouvelles façons d’agir. Tout commence par cette volonté de s’appliquer individuellement à travailler pour faire évoluer ses pratiques, sa culture et donc son niveau de conscience.
L’IC holomidale
Nous avons à résoudre des problèmes complexes au sens d’Edgar Morin : énergie, alimentation, dérèglement climatique, etc, que nous retrouvons “imbriqués” dans le domaine des transports. Individuellement, de nombreuses personnes perçoivent les enjeux et ont identifié des solutions. Mais collectivement les organisations, dans lesquelles ils évoluent, restent bloquées dans des processus et des schémas de décision, sans réelle capacité à évoluer et se transformer à la hauteur. Une des pistes pour expliquer ce paradoxe se trouve dans les mécanismes de l’intelligence collective.
L’intelligence collective est une propriété du vivant qui se manifeste quand plusieurs personnes interagissent avec un objectif commun : trouver une solution, développer un produit, réaliser une œuvre ou une activité sportive. Un groupe de musique, une équipe de foot ou un service d’une entreprise mettent en œuvre des actions coordonnées différentes en fonction de leur intelligence collective avec plus ou moins de réussite.
En effet, cette dernière se développe, s’entraîne, se révèle ou pas, à la fois par des exercices collectifs et individuels. Il existe plusieurs grandes formes d’intelligence collective (IC):
- En essaim, notamment pour les insectes ou les animaux qui vivent en grand nombre.
- Originelle, pour les petits groupes de moins de 20 personnes. Une fois entraînées, les personnes se connaissent très bien, elles sont capables de se coordonner pour réaliser des tâches très complexes quasiment sans se parler, chacun exploitant ses talents individuels tout en observant et s’ajustant en fonction des actions des autres membres. Chacun comprend le groupe qui se réalise à travers les actions individuelles. Cette forme d’IC est très adaptative, agile mais elle fonctionne uniquement en petit nombre pour conserver des interactions. Voilà pourquoi nous faisons des réunions …
- Pyramidale, pour les groupes de plus de 20 personnes jusqu’à des milliers et même des millions. Cette intelligence collective est mise en œuvre dans les environnements stables pour construire, agir, développer, gérer des entreprises, des villes, des armées ou des Etats. Elle est structurée par des processus pour planifier et surtout être sûr que chacun va réaliser une tâche précise pour que le tout progresse “comme prévu”. Cette forme d’IC fonctionne mal dans les environnements changeant puisque les processus doivent être revus en permanence et le sommet de la pyramide n’a pas tous les éléments pour gérer la complexité et prendre toujours les bonnes décisions.
Pour (espérer) résoudre nos problèmes actuels, complexes, volatils, ambigus, impliquant un grand nombre de personne et d’organisation dans des environnements variables, une nouvelle forme d’intelligence collective est requise. Elle émerge notamment via les médias numériques : l’IC appelée holomidale. Elle permet de fonctionner, comme dans les petits groupes, en interaction permanente pour permettre à chacun d’agir en tenant compte des autres, mais en le faisant en grand nombre.
Mais tout commence par chacun. Individuellement. Demain, allez vous utiliser votre ordinateur de la même façon qu’hier ?
[Liens vers la partie 1, la partie 2, télécharger un pdf avec les 3 parties]