Quatre années pour tenter de comprendre le problème
Quatre années ont passé depuis la première note « le passage de l’objet au service, une chance pour l’environnement, les industries et les citoyens ». Quatre années à apprendre, écouter. Quatre années à lire dans les thèmes et surtout en dehors. Quatre années à penser les années qui viennent. Quatre années à tenter d’identifier les mouvements principaux de nos sociétés, « les vecteurs propres », ceux qui conduiront aux premiers craquements. Et durant ces quatre années, le référentiel a lui aussi changé, rien n’est resté immobile, nous avons tous progressé. Il est désormais possible de se hisser à l’échelon suivant : des systèmes de systèmes.
Porté par un évènement important, les Investissements d’Avenir qui obligent les acteurs à identifier et investir dans les principaux secteurs de recherche, de développement et des industries des années à venir, quelques enseignements, issus des projets et surtout des personnes qui les ont construits, peuvent être esquissés. Les principales innovations apparaissent, permettant de lever des verrous majeurs. Ce ne sont pas celles que l’on croit ; celles-ci sont du second rang, elles font parties du « tendanciel », du « business as usual ». Nous cherchons à résoudre des problèmes majeurs dans un monde d’une grande complexité ; les solutions de mobilités et de transports doivent être, elles aussi, étendues, efficientes, économiques, équitables et adaptables. Pour cela, intéressons nous à la principale machine du système, la plus complexe car non modélisable, non « triviale » pour Edgar Morin, l’humain.
L’Humain est au coeur
Atteindre les objectifs connus en matière de Gaz à effet de serre, de pollution de l’air, d’équité d’accès, de congestion, impose d’optimiser les éléments du système (véhicules, énergies, infrastructures, informations), et les systèmes intégrant les utilisateurs, les usagers, les citoyens. L’Humain est bien au cœur de ces systèmes. Les comportements, les choix, les pratiques sont bien au centre car les principaux gisements de gains sont dans leurs changements, leurs ajustements.
Si une innovation (solution technologique, organisationnelle ou autre) plongée dans la structure vivante de la société ne conduit pas changer les comportements, les pratiques (vers les objectifs globaux à atteindre), elle n’est, à priori, pas intéressante.
Mais il y a là un raccourci trompeur. Pour sélectionner une innovation, il faut désormais concevoir un dispositif permettant d’analyser, quantifier, comprendre, les changements de comportement à cette « stimulation ». Comment réagit le vivant à une nouvelle offre de transports/mobilités/logistiques ? Ainsi, la réponse des utilisateurs à une nouvelle solution est tout aussi importante, complexe, que la solution elle-même. Dès lors, quelles sont les principales innovations ? les nouvelles offres de mobilité ou les dispositifs permettant de comprendre les réponses des utilisateurs à ces nouvelles offres, permettant alors de les améliorer et optimiser ? Les deux bien sûr, car elles doivent être mises en œuvre ensemble.
Sans ce dispositif d’analyse et de compréhension des comportements, une innovation sur l’offre seule restera totalement insuffisante. Si elle échoue nous ne saurons pas pourquoi, et comment elle pourrait réussir, si elle réussit nous ne saurons pas pourquoi, comment la répliquer, comment l’optimiser.
Les innovations ne sont pas celles que l’on croit
Si il est maintenant clair que nous ne pouvons plus faire l’économie de l’étude et de la compréhension des systèmes complexes de transports et de mobilités, nous devons également construire des protocoles, des systèmes pour « se regarder changer », pour comprendre et maîtriser les changements d’usage et de pratiques. Or construire ce type de dispositif ne peut se faire sans la participation volontaire des usagers eux-mêmes…
Nous arrivons alors aux principales innovations à investir car les points suivants verrouillent l’ensemble. Impliquer les utilisateurs dans les dispositifs d’innovation a toujours été pratiqué mais essentiellement pour mieux vendre les produits/services ; le marketing en est la marque. Or là, la démarche est tout autre, car nous devons installer les usagers dans le protocole sur du long terme, ils doivent donc être convaincus des bénéfices/risques, sinon ils en sortiront. Et nous arrivons là au cœur du problème.
L’Humain a changé, il devient un cyborg
Cela peut choquer, interroger mais notre espèce évolue. Depuis toujours elle intègre de nouveaux moyens pour stocker des connaissances, les échanger, les diffuser. Invention de l’écriture, puis du livre et en ce moment le nomadisme connecté. Notre assistant numérique est la partie visible de ce changement majeur : accès partout tout le temps à l’information, la connaissance, notre réseau. Cette évolution est, pour Michel Serres, un moyen de poursuivre l’externalisation de nos fonctions cognitives. Après le livre, critiqué au départ pour réduire la mémoire, notre assistant numérique couplé à internet participe à ce changement. Nous devons en tenir compte dans les relations qui se construisent car cela change tous les rapports historiquement installés.
Considérant :
- la capacité unique des individus de se connecter, de s’informer, de choisir différemment,
- le besoin d’intégrer ces derniers, de les convaincre que les gains individuels et collectifs sont supérieurs aux risques supposés ou réels,
- le besoin de protocoles à construire pour quantifier et comprendre les changements d’usage,
Les principales innovations pourraient porter sur :
- des outils de compréhension de système complexe pour que les usagers visualisent les gains individuels et les gains collectifs, et comprennent les risques, pour mieux se projeter et changer de pratiques ;
- des incitatifs au changement, simples et puissants, compréhensibles, utilisant les nouveaux systèmes monétaires dématérialisés ;
- les protocoles proprement dits, permettant pour tous les acteurs de quantifier, comprendre l’impact d’une solution de mobilité aux usagers ;
Finalement, ces trois innovations seront liées entre elles, elles constitueront un système de système permettant de déployer de nouvelles solutions de mobilité/logistique intégrant éventuellement des innovations technologiques.