L’utilisation massive des données remontant de la ville et de ses activités, intelligence communautaire pour mieux gérer en temps réel, mieux planifier et anticiper le court terme, faire participer les citoyens aux processus de la ville… toutes ces actions arrivent (certaines sont déjà là). Qui gagnera à ces développements ? comment assurez des bénéfices collectifs ambitieux et partagés ? Le cabinet d’études ABI Research indique que pour les 5 prochaines années, ce sont 116 milliards de dollars qui seront investis dans ces programmes : e-gouvernement, systèmes de transports intelligents, gestion intégrée des déchets et du recyclage…
source IBM, Intelligent Transport (voir en bas d'article)
IBM se place actuellement comme un des leaders sur ce sujet pour toutes les thématiques urbaines : transports, déchets, énergies, santé … Big Blue développe pour cela des outils numériques, des modèles prédictifs, des services complets pour les intégrer auprès des collectivités. IBM a donc développé des connaissances fortes dans les différents domaines pour construire une vision intégrée, globale et proposer des solutions. Mais les concurrents sont nombreux. LESLIE P. NORTON nous les liste dans Dawn of the Smart City : Cisco, Siemens, ABB, Microsoft, SAP, Johnson Control, Honeywell, Veolia, General Electric…
Cette approche intégrée a été également développée dans plusieurs articles de ce blog (voir les MétaNote TdF 7 : la donnée, TdF 9 : les risques des mobilités 2.0, et TdF 11 : Transports & Mobilités, Introduction à la pensée complexe). Nous avons essayé d’identifier, pour les transports, les opportunités apportées par cette intégration en matière de bénéfices environnementaux, de diversification énergétiques et de réponses aux besoins réels des utilisateurs.
La ville, utilisant ces outils de management évolués, accède à un niveau de connaissance de ses flux (matières, déchets, voyageurs) supérieurs. Elle devient son propre laboratoire : nouveaux savoirs, nouveaux outils de pilotage notamment de la tarification, modifications du comportements des citoyens, nouvelles pratiques et donc modifications des flux. L’article d’internet Actu sur la ville de New York détaille précisément ce point.
« New York est devenu l’épicentre de nombreuses expériences en matière de gouvernance, de participation citoyenne, de budgets participatifs, rappelle Alex Howard… Tant et si bien que New York voit son avenir comme une plateforme de données. »
« … les données font évoluer le gouvernement en le conduisant à répartir ses ressources de manière plus efficace, mais également en apportant une réalisation plus aboutie et une meilleure réponse en temps réel aux besoins des citoyens. Lors de sa présentation, elle a évoqué bien sûr de nombreuses initiatives portées par la ville, comme celle sur les horaires de bus de l’autorité métropolitaine du transport, qui a été développé localement en open source à très faible coût. »
« la ville pensait le web comme un espace public. Ce qui a de profondes implications sur la façon dont il doit être régulé, traité ou décrit : “Les plus grandes villes du monde devraient traiter les espaces publics partagés en ligne aussi sérieusement qu’ils traitent les espaces publics dans le monde physique.” »
Cette vision optimiste de prochaines années est tout à fait possible, mais des dérives sont également envisageables, parmi lesquelles :
- L’apparition d’une fracture numérique entre les villes selon leurs moyens financiers, et également entre les citoyens selon leurs capacités à s’impliquer dans ce rôle d'acteur et de producteur. Est-ce que les outils, les formations et les interfaces seront, dans tous les cas, assez performantes pour permettre aux plus grands nombres de participer ?
- Mise en œuvre d’une nouvelle dépendance numérique. Nous pourrions passer, pour le cas des transports, progressivement d’une dépendance fossile et automobile vers des services de mobilité permettant de mieux utiliser nos véhicules en terme de remplissage notamment grâce au numérique. Tout incident sur des serveurs ou réseaux de communication engendrerait une paralysie des flux. Les impacts environnementaux de ces derniers devront être totalement transparents et intégrés aux tableaux de bord de suivi.
- L’utilisation massive des données, remontant des objets, des infrastructures mais également des utilisateurs est le point de départ permettant l’élaboration d’un système que l’on tente ensuite d’optimiser sous contraintes. L’accès à ces données, la production de certaines poseront question en matière d’atteinte à la vie privée, de transparence sur leurs utilisations, conduisant par la suite à des mécanismes de régulation et de contrôle. Cette surveillance pose problème. Ce risque majeur est directement lié au point suivant.
IBM installed a particulate-matter sensor at the exhibit site to augment information the city already has about air quality. When combined with traffic data, the air quality maps can be used to determine the areas of the city most affected by pollution (see lower right inset). Source.
- L’optimisation des flux urbains est théoriquement centré sur le bien être collectif. Les arbitrages, les mesures de régulation, d’augmentation et/ou réduction des tarifs ou des temps de transport, seront déterminés pour atteindre des objectifs en matière de qualité de l’air, émissions de CO2 ou congestion. Mais comment garantir que les industriels impliqués dans l’élaboration de ces algorithmes de décision n’introduisent pas des modules pour maximiser certains intérêts privés ou ne tiennent pas compte de certaines spécificités collectives. Ainsi par exemple, en matière de transports, des routes alternatives peuvent être proposées à des véhicules passant devant des écoles aux horaires de rentrée/sortie, ou devant certains magasins ou zones commerciales. Ces risques pourraient être en partie levés grâce au point suivant.
- Les collectivités locales, futures opérateurs de ces nouveaux outils de management 2.0, devront intégrées ces nouvelles connaissances, ne pas laisser entièrement le champ libre aux industries en croissance sur ce sujet. Elles auront également un rôle clé pour garantir aux citoyens une optimisation du système sur des bases claires, transparentes pour maximiser des intérêts collectifs. En reprenant un extrait de l’article d’internetActu « Pour Carole Post (vidéo), responsable du département des technologies de l’information et des télécommunications de New York, “la ville doit se considérer comme l’intendant des données qu’elle détient”. ». Toute dérive réelle ou supposée pourrait conduire à détruire le potentiel de cette voie. Pour Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris chargé de l’innovation, dans un article posté sur Innovinthecity, l’élu perçoit l’open data comme une brique dans cette nouvelle forme de gouvernance entre gouvernants et gouvernés dans une ville qui serait coproduite. Afin de parvenir à cela, les asymétries d’information actuelles doivent être réduites : « pour lutter contre cette asymétrie de l’information, il faut ouvrir les données afin qu’elles puissent être traitées par tous ». Pour le sociologue des médias, il apparaît aujourd’hui nécessaire de décloisonner et d’assurer les transversalités entre les différents services de la ville : « ce modèle est une révolution par rapport aux modèles d’organisations dans les villes du monde entier », ajoute-t-il.
Sur ce sujet, les entreprises vont se combattre, mais les territoires et les collectivités devront être solidaires pour partager leurs expériences, pour mutualiser une partie des produits qu’il ne sera pas nécessaire de payer plusieurs fois, pour assurer que les choix des algorithmes conduisent aux biens communs. Les citoyens devront eux aussi apprendre ce nouveau rôle, s’engager activement et à leur mesure dans l’action, le suivi ou le contrôle de ces nouveaux moyens. Il existe un chemin, sans doute étroit, pour mieux faire fonctionner nos villes, mieux se déplacer et transporter nos marchandises, impliquer et développer des industries dans ce domaine, permettre aux citoyens de prendre place autour de la table, tout en garantissant une équité d’accès à cette démarche, une transparence sur les critères de choix, une collaboration bénéfique entre les collectivités et une protection totale de la vie privée.