Accueil En temps de crise, peut-on faire des transports gratuits ?

En temps de crise, peut-on faire des transports gratuits ?

par Gabriel PLASSAT

Ce qui n'a de prix n'a pas de valeur, Si c'est gratuit ça ne coûte rien, … Ces phrases toutes faites s'appliquent-elles aux transports en commun ou d'autres modes ? Comment les consommateurs contribuables perçoivent cette gratuité ? Pourquoi se lancer dans le gratuit ? Et si la gratuité n'était qu'une étape pour aller vers la transparence complète des opérateurs de transports publics ?

 

Un an après la mise en place d’un service de transports en commun totalement gratuit dans toute la communauté d’agglomération du pays d’Aubagne et de l’Etoile, l’heure est au bilan. Mardi 18 mai 2010, la communauté dévoilait les résultats d’une enquête sociologique qui tente de mesurer l’impact qualitatif du passage à la gratuité, pour savoir ce que les habitants en pensent vraiment. Car en dehors de l’aspect écologique, la gratuité aurait un impact non négligeable sur la vie sociale.

 

« On pense souvent que ce qui est gratuit n’a pas de valeur, remarque le sociologue Alain Mergier. Or, pour les habitants que nous avons interviewés, la gratuité produit un effet de valorisation des transports en commun et du territoire de l’agglomération. » Désenclavement des villages, stimulation des activités marchandes et non marchandes, présence de piétons dans les centres-villes: le sociologue évoque la mise en place d’un cercle vertueux. Comme les transports sont gratuits, on les prend plus, ce qui permet de réanimer le territoire, en invitant les habitants à se mélanger plus souvent. Ainsi, 80% des usagers considèrent que la gratuité a rendu l’utilisation des bus plus conviviale.

 

Les jeunes, « fans » de la gratuité

Les plus satisfaits sont les jeunes utilisateurs, qui représentent près de 32% des nouveaux usagers. « Ils ont l’impression que cette mesure a été prise pour eux et que c’est un cadeau qui a un impact immédiat en termes financiers et en termes d’autonomie », juge le sociologue. Une solution à la question des incivilités dans les transports, qui font régulièrement la une des médias? Même si aucun chiffre ne peut pour l’instant l’attester, aucune augmentation des incivilités ne semble avoir été constatée et les conducteurs de bus se diraient « soulagés ». Par ailleurs, les élus peuvent se réjouir: l’enquête révèle que le choix de passer à la gratuité est vu comme une manifestation de « courage politique », avec une sensation de « savoir où va l’argent public ». « Avec la gratuité, les jeunes se sentent au cœur des préoccupations de l’Agglomération. Ils y voient une reconnaissance de leurs besoins et contraintes, un bénéfice direct en termes financiers, en termes d’autonomie, en termes d’enrichissement de leur vie sociale (amicale, culturelle, sportive, scolaire…). C’est aussi une forme de confiance qui leur est témoignée et dont ils déclarent vouloir se montrer dignes. » commente le sociologue Alain Mergier, Directeur de l’Institut Wei.

 

La gratuité, pas plus cher ?

La gratuité n’exclut pas le raisonnement économique, au contraire, elle l’intègre et le renouvelle. En effet, les personnes interrogées ne font aucunement preuve de naïveté. Elles savent pertinemment que gratuité ne veut pas dire absence de coût, mais elles évoquent le profit général pour la vie de l’Agglomération, lequel suppose un financement différent, diversifié et une gestion irréprochable : 67% des interviewés estiment que la gratuité est possible grâce à la bonne gestion de l’Agglomération et à l’accroissement des ressources provenant des entreprises. Du côté des élus, on assure d’ailleurs que la mesure n’a pas eu d’impact sur l’imposition des contribuables, le passage à la gratuité étant en partie financé par le versement transport entreprise. Certes, les entreprises de plus de dix salariés ont du faire face à une forte augmentation de cette taxe,  une hausse qui accompagne en fait l’évolution démographique de l’agglomération, qui a récemment dépassé les 100 000 habitants. « Mais celle-ci est compensée par une baisse de la taxe professionnelle », nuance Alain Belviso.

 

Après l’analyse sociologique, une étude sur l’impact écologique devrait suivre. A priori, on pourrait déjà noter une réduction du trafic automobile, car 18% des personnes interrogées expliquent qu’elles n’auraient pas pris le bus s’il n’était pas gratuit, et parmi elles, 63% auraient utilisé un moyen de transport « polluant ».La gratuité, assortie d’une qualité de service, travaille à la revalorisation du service public : 82 % des habitants pensent que la gratuité des bus montre qu’il est possible d’avoir un bon service public (gestion, efficacité, respect de l’environnement) améliorant la vie des habitants.

 

« Cette étude montre la réussite de notre politique » conclut Alain BELVISO, Président de la Communauté d’Agglomération du Pays d’Aubagne et de l’Étoile : « Les résultats donnent des éléments pouvant servir d’exemples et de références à d’autres communes françaises. Au-delà des lieux communs sur l’écologie, l’amélioration de la circulation ou le service public, la gratuité montre bien d’autres avantages jamais mesurés jusqu’à aujourd’hui. »

 

Qu'est ce que le gratuit: sans valeur marchande pour celui qui le consomme, qui l'utilise, les coûts pouvant supportés par quelqu'un d'autre que celui qui consomme. Internet, wikipédia, l'école ou la police, téléphone gratuit, de nombreux exemples montrent que la gratuité "apparente" a plusieurs formes. Gratuit pour l'utilisateur mais pas pour le contribuable (inclus dans les impôts ou  les assurances, donc globalisé), payé par la publicité (avec pour objectifs de vendre un autre produit, donc il s'agit d'un investissement différé), objet compris dans un forfait (permettant de vendre des services) ou encore complétement déconnecté de la sphère marchande comme wikipédia (consultation de savoir sans publicité). Cette dernière voie, déjà détaillée dans le blog (voir ici et ici), appelle des mécanismes sociaux complexes : pourquoi des personnes donnent du temps, des savoirs gratuitement en rédigeant un article ? Comment favoriser, développer cette créativité purement gratuite ? Une piste est de développer, d'utiliser la puissance des réseaux sociaux.

 

En forçant les traits, ce qui est abondant deviendra gratuit, ce qui est rare deviendra cher. La mobilité porte à porte fluide permettant de valoriser son temps pendant le transport aura donc une valeur de plus en plus grande, le temps libre étant la ressource la plus précieuse (voir ici). Une partie de cette valeur pourra être payée par d'autres personnes, en fonction par exemple des qualités énergétiques et environnementales de leur mobilité. A l'inverse les objets permettant de se déplacer seront progressivement de moins en moins chers, voire même gratuits (voir ici) inclus dans des forfaits.  Dans le cas d'Aubagne, équilibré entre ville et campagne, le lien social semble piloter le choix de la gratuité. Il en découle d'autres avantages: augmentation des fréquentations, sentiment de reconnaissance notamment chez les jeunes, environnement. 

 

La gratuité relève avant tout d'une utopie, celle d'une ère vécue comme abondante. Mais elle permet de mettre en oeuvre un modèle qui libère des contraintes. Certaines mobilités peuvent donc devenir gratuites (en utilisant plusieurs formes de gratuités) par la prise en compte des coûts par d'autres citoyens moins vertueux, par la publicité, par l'intégration du temps de travail de certains citoyens ayant développés des outils gratuits. Les conséquences de cette gratuité au niveau des bénéfices sociaux, relationnels devront être suivies, quantifiées. Et simultanénement, les tableaux de bord financiers des opérateurs devront s'ouvrir aux citoyens. Ces derniers ne sont pas dupes des coûts, la gratuité sera alors incluse dans un mouvement plus vaste de transparence, de participation des usagers à certaines décisions, notamment celles des financements de leurs moyens de transport.

 

La gratuité des bus à Aubagne en chiffres:

  • 2 968 650 voyageurs transportés entre le 15 mai 2009 et le 31 mars 2010
  • + 90% de fréquentation au premier trimestre 2010 (par rapport au premier trimestre 2009)
  • 88% des usagers satisfaits de la gratuité des transports
  • 20% de nouveaux passagers
  • 18% des usagers n’auraient pas pris le bus s’il n’était pas gratuit,
  • 63 % choisissent d’abandonner un véhicule plus polluant
  • 12 millions d’euros consacrés aux transports en commun dans le budget de la CPAE, contre 10 millions avant la gratuité
  • 5 millions d’euros de taxe « Versement transport » prélevée sur les entreprises de plus de 10 salariés, contre 2 millions avant la gratuité
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    3 commentaires

    Pierre Trami 30 mai 2010 - 23 h 03 min

    Un des grands pics des déplacements est révèlé par le flux domicile-travail. La gratuité des transports publics incite-elle à recourir à ce mode de déplacement en laissant son auto au garage? il en va de la viabilité de cette solution, qui est incontestablement un outil d’animation du territoire, si on souhaite pas courir le risque de refus de transfert de charge financière, sans intérêt pour l’entreprise

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    Amaury 10 juin 2010 - 15 h 48 min

    On peut souligner que le cas d’Aubagne n’est pas transposable à toutes les agglomérations :
    – certains agglomérations sont au maximum du Versement Transport ou presque (ex. Lyon mais c’est valable, je crois, pour les grosses agglomérations en général)
    – le taux de couverture d’Aubagne était probablement très faible alors qu’il augmente avec la taille de l’agglomération

    Dans les grandes agglomérations, le taux de couverture est plus élevé parce que les réseaux ne sont pas réservés aux captifs (étudiants, retraités, chômeurs, etc. qui bénéficient de tarifs réduits) mais attirent aussi des actifs et de nombreuses personnes qui payent les tarifs classiques parce que la comparaison entre TC et voiture est parfois à l’avantage des TC, particulièrement en centre-ville.

    Par ailleurs, les études menées à Châteauroux mettaient en évidence plus de report modal des modes doux (marche, vélo…) que de voiture, ce report étant extrêmement marginal. Il est vrai que les conditions ont changé et que les différentes crises ont probablement un impact sur les habitudes en matière de déplacements mais on a calculé à Lyon entre 2002 et 2005 (pour la révision du PDU) que passer à la gratuité nécessiterait d’augmenter les impôts dans des proportions qui sont sans commune mesure avec celles évoquées pour Aubagne.

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    bibitransports 15 juillet 2010 - 9 h 07 min

    Article sans nuance qui aurait mérité un élargissement plus large. En effet, peut-on faire confiance à une enquête qui vise à conforter commander par des élus pour les conforter dans leurs choix face aux critiques de la profession ?
    Par ailleurs, ce qui est peut-être vrai dans une petite agglomération ne l’est peut-être pas forcément ailleurs. Attention donc aux généralisations très rapide ! Est-ce que vous réclamer l’electricité gratuite ?

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