Le Centre d'Analyse Stratégique (CAS) vient de publier le 4ème cahier de l'évaluation portant sur la notation, du guide Michelin à ebay. Quelques extraits et commentaires :
"Les acteurs sociaux sont confrontés dans leur vie quotidienne à une multitude de choix de services, de technologies et de contenus. Le bouche à oreille, les réseaux sociaux, la circulation rapide de l'information donnent une importance critique à des « notations » qui sont autant de jugements gradués portés sur des biens et des services complexes. C’est un fait de société, un enjeu économique car ces biens et ces services sont porteurs de valeur et de création d'emploi, et un défi pour l'Etat qui n'intervient en général pas directement sur ces marchés mais demeure le gardien de leur intégrité. C'est l'objet de ce nouveau dossier.
L’enjeu commun à ces notations est d’englober différentes dimensions d’un bien donné en une appréciation synthétique de sa qualité (chiffre, étoile, lettre) qui soit utile aux agents économiques. Apparaissant sur des marchés dont le seul point commun est la présence d’asymétries d’information (le consommateur est souvent moins informé de la qualité du bien échangé que le vendeur), les systèmes de notation s’avèrent hétérogènes. Les notations peuvent être fondés sur des dires d’expert ou produites de façon communautaire sur Internet, elles peuvent s’échanger sur des marchés ou être mises à disposition gratuitement, certaines acquièrent un statut de quasi-label qui leur donne un rôle crucial sur les marchés."
Il a déjà abordé sur ce blog le besoin de réduire l’asymétrie d’information au moment de l’acte d’achat. Le téléphone portable (voir ici) devenant la souris et l’écran permet de faire venir, via de nouveaux outils, toute la connaissance contenue sur la toile pour guider le choix.
En matière de mobilité, le manque d’informations est, on ne peut plus, évident : aucune connaissance de la consommation réelle du véhicule avant l’achat, aucune connaissance de l’utilisation de la climatisation par exemple, aucune connaissance globale des données liées aux transports en commun sur un territoire, aucune connaissance des destinations/places libres du flux, aucune connaissance des émissions réelles des véhicules …
" Divers business models…
La notation n’est donc pas seulement un concentré d’informations destiné à corriger une défaillance de marché, c’est aussi un service qui procure une utilité aux agents et qui, en tant que tel, peut être vendu et acheté sur un marché « autonome ». Chaque situation notateur/noté étant spécifique, il existe pratiquement autant de business models que de notations, ce que suggère la figure 3. Deux cas polaires se distinguent cependant, selon que la notation est produite à l’intérieur du marché par les agents eux mêmes (notation interne) ou produite par une autorité extérieure et indépendante (notation externe). Cela renvoie, entre autres considérations, à la capacité d’objectiver la qualité d’un bien et l’on retrouve la distinction évoquée plus haut entre l’évaluation par les experts et l’évaluation par les acteurs eux-mêmes.
La notation « interne ». Se classent dans cette catégorie tous les systèmes de notation sur Internet, que ce soit la notation des professeurs par les élèves, la notation du vendeur sur eBay ou les systèmes de notation des individus visant à construire une réputation de l’individu en soi et non plus en relation avec un acte d’échange spécifié. La notation finale de chaque bien (i.e. de chaque personne) se construit alors par agrégation des notations individuelles. L’expression « notation spontanée » est souvent employée pour caractériser ces notations émanant directement d’une multitude de consommateurs (évaluation des enseignants aux États-Unis, par exemple). Cette mise en commun des évaluations est en général le fait d’un entrepreneur qui crée un « marché de la notation » et propose un business model axé précisément sur le service d’agrégation et de mise en commun des évaluations. Ceci permet d’aligner les incitations des agents notateurs pour les inciter à la coopération : pour échanger sur le marché, ils ont tout intérêt à bénéficier de l’information collectivement élaborée. Cependant, la limite de cette notation réside en ce qu’elle peut impliquer des conflits d’intérêt : les notations s’inscrivent parfois dans des visées stratégiques propres aux notateurs. Autre système de notation interne, celui qui émane du producteur lui-même comme le fait, par exemple, l’Éducation nationale ou le ministère de la Santé avec la publication en ligne d’informations sur leurs établissements, mais aussi du monde aérien (compagnies aériennes et agences de voyages) avec le site air-valid.com. Ce schéma n’est pas non plus exempt de conflits d’intérêts, les producteurs ayant intérêt à valoriser leurs produits."
Dans les transports, plusieurs avancées pourraient modifier les modèles économiques actuels, comme la connaissance et le partage des émissions réelles de CO2 et polluants (voir ici), le partage d’incidents et le groupement d’actions.
"La notation « externe ». Dans certains cas, la qualité d’un bien ne peut être formalisée qu’à l’aide d’une expertise adéquate. Des institutions émergent alors pour produire des avis d’experts à destination du public intéressé. Ces institutions peuvent être publiques ou privées suivant le caractère plus ou moins régalien – ou jugé comme tel suivant le contexte et l’époque – du bien en question. Dans le champ de l’initiative privée se situent tous les comparatifs de biens et de services destinés aux consommateurs, des guides gastronomiques aux palmarès des établissements publiés dans les médias (éducation et santé) mais aussi des notations destinées aux entreprises dont la plus connue, et d’ailleurs sans doute la plus ancienne, est la notation du risque de défaut des créances (Moody’s, Standard & Poors…). Dans le champ de l’initiative publique se rangent plutôt les labels de qualité (par exemple, label AB pour agriculture biologique) mais ceux-ci ressortent plus de la certification ex ante de process (cf. encadré 8) que de la notation stricto sensu. La notation externe est confrontée à la gestion de l’expertise : comment choisir les experts, assurer leur indépendance, intégrer les avis dans un tout cohérent ? Enfin, malgré sa position en « retrait » du marché, la notation externe se voit aussi exposée aux critiques concernant le risque d’entente entre « noté » et « notateur » (cf. débats actuels du monde de la finance à propos des agences de notation financière)."
Il pourrait également se développer une catégorie intermédiaire qui couplerait le deux. Utilisant les notations d’expert disponible sur la toile, les rapports RSE, des outils développés en open source par des citoyens, paramétrés par les consommateurs eux-mêmes (contenu carbone du produit – information disponible en 2012, commerce équitable, allergique à tel produit …), chaque consommateur produirait donc sa note pour l’aider dans son choix.
"Une même logique : les notations accroissent la confiance et augmentent le bien-être collectif
Incertitude, défiance, engendrent une raréfaction des interactions sociales et, notamment, des transactions sur les marchés. En effet, la méfiance des acheteurs mal informés se traduit par un moindre engagement de leur part sur les marchés, les échanges sont donc moins nombreux que ce qui serait souhaitable. Dit autrement, tous les échanges mutuellement avantageux ne se réalisent pas.
En conclusion, la prise en compte du rôle des communautés dans l’organisation s’inscrit dans la perspective de l’étude de la nature et de l’évolution des interactions directes entre les agents économiques. Dans cette perspective, l’émergence des liens entre les individus peut être expliquée par l’utilisation de règles de comportement simples, sans avoir recours à un comportement optimisateur ou stratégique supposant une rationalité très poussée. Il est alors possible d’aboutir à l’explication de l’émergence d’une rationalité collective différente de la rationalité individuelle. Ainsi, au fur et à mesure que se développent les échanges, des individus, des normes et des conventions construites dans l’échange peuvent influencer les anticipations des autres individus et des fluctuations peuvent en résulter : certains individus peuvent négliger leurs propres informations en faveur de celles qui découlent des actions des autres. Cela correspond aux formes de mimétisme identifiées par Orléan [2001]. Dans un tel schéma, comme le souligne Kirman [2000], l’agrégation « produit » la rationalité et n’est pas simplement la somme des actions rationnelles. Les croyances collectives émergent des interactions complexes entre individus, certes attentifs aux signaux du marché et aux prescriptions de la hiérarchie, mais respectant avant tout les normes sociales de leur communauté. Ce que nous apporte l’analyse particulière de la notion de communauté, c’est que le résultat agrégé repose sur l’interaction entre des catégories intermédiaires entre le niveau individuel et le niveau de l’organisation dans son ensemble."