La mobilité est avant tout source de rencontre et de richesse. Au niveau mondial, nos déplacements individuels sont promis à une croissance importante liée essentiellement à une augmentation du niveau de vie et à la volonté d’optimiser son « temps à soi ». Mais cette croissance risque de ne pas être homogène pour tous, allant de l’exclusion avec de véritables condamnés à demeure, à de nouveaux voyageurs spatiaux.
Les transports routiers conventionnels {Moteur à Combustion Interne – MCI / carburant liquide fossile} contribuent majoritairement, depuis un siècle, à l’accroissement de la mobilité individuelle des personnes et des échanges de marchandises. Un tel accroissement peut-il perdurer ? Quelles évolutions majeures peut-on attendre ? Comment assurer à tous une mobilité libre et durable ?
Tout d’abord, quelques rappels sur les facteurs qui ont conduit à cette suprématie.
Depuis un siècle, l’industrie automobile améliore et invente ses propres méthodes de conception et de réalisation, excelle dans son cœur de métier, l’optimisation des compromis : standardisation mondiale et/ou produits adaptés aux besoins locaux, création interne de valeur, et/ou sous-traitance et, futur pivot du changement à venir, marge bénéficiaire et/ou valeur ajoutée pour le client. Aujourd’hui, la réalisation d’une automobile mobilise plusieurs milliers d’ingénieurs pendant 3 à 5 ans dans un travail collaboratif international, complexe et tendu. Cette durée va encore se réduire dans les années à venir pour suivre au plus près les « besoins » des clients, à l’instar des vêtements de mode. En parallèle, l’usine et l’ensemble des moyens de production sont étudiés, développés et construits, et plusieurs milliards d’euros sont alors engagés. Plusieurs milliers de véhicules identiques et tous différents sortent alors tous les jours des lignes de production. Sont également produits jusqu’à 4000 moteurs par jour, usinés au micron, coûtant moins de 1000 euros, démarrant au 1er tour de clé et ne nécessitant aucune validation unitaire préalable.
Simultanément, de l’exploration à plusieurs milliers de mètres sous l’eau jusqu’au raffinage nécessitant des procédés sous contraintes économiques et environnementales sans cesse renforcées, l’industrie pétrolière commercialise des produits dont le public ignore encore la nature exceptionnelle. Essentiellement façonnés par la nature et le temps, les produits pétroliers possèdent en effet de hautes caractéristiques (notamment leur densité énergétique en volume et la propriété d’être liquide à température / pression ambiante, critères importants pour les transports) à un prix très bas, biaisant notre rapport à l’énergie. En effet, l’énergie équivalente produite par la force humaine payée au salaire minimum coûterait un prix 600 fois supérieur !
Ce mariage {moteur thermique / pétrole}, a balayé dès le départ tous les produits concurrents utilisés auparavant : électricité, gaz, charbon pulvérisé, huile…. Pour moins de 8 000 euros (et demain encore moins !), le véhicule démarre par toutes les températures extérieures, assurant rapidement 20 +/- 0.5°C dans l’habitacle, roule à plus de 100 km/h en quelques secondes. Dotée d’une autonomie de plus de 1000 km assurée par un remplissage effectué en seulement 2 minutes, ne nécessitant quasiment aucun entretien durant 250 000 km, l’automobile {moteur thermique / pétrole} rassemble les technologies du spatial au prix de l’électroménager. Aucun concurrent n’a, à ce jour, réussi à égaler ces performances. A partir de maintenant, les contraintes sur les ressources, rendues visibles par le signal prix et l’enjeu climatique, s’imposent de plus en plus fortement au citoyen, et nécessitent d’étudier d’autres voies. Cependant le couple {moteur thermique / pétrole} a appris à progresser sous ces contraintes (économiques, environnementales) repoussant progressivement l’hypothétique remplacement.
(R)évolution de l’objet automobile
Pile à combustible, hybridation, plug-in, lithium polymère… une palette de « solutions » est annoncée au public : la voiture a un avenir, elle évoluera, nous dit-on. Cette fuite en avant technologique est-elle toujours crédible ? Va-t-elle s’appliquer pour tous ?
Rappelons tout d’abord que les technologies actuelles apportent dès aujourd’hui un potentiel de gain énergétique très important, ceci avait déjà été démontré dans les années 1980 lors des programmes 3 l/100km. Ainsi, la dernière SMART par exemple, qui est équipée d’un moteur Diesel « simple » émet 87 gCO2/km (consommation de 3.3 l/100km), pour une masse de 800 kg. Une autre simulation complète réalisée par l’IFP et l’ADEME permet de dégager quelques ordres de grandeur. En partant d’un véhicule standard actuel (1360 kg, 130 gCO2/km, Diesel 1.6 litre, 120ch), il est possible d’estimer la performance énergétique de son équivalent sobre qui utilise les mêmes technologies : 850 kg, Vmax 165 km/h, 90 gCO2/km ! La question n’est donc plus de savoir comment faire un véhicule qui émet moins de 90 gCO2/km, mais de se demander pourquoi ne commercialise-t-on toujours pas des véhicules de 800 kg ? La réponse vient en grande partie du compromis énoncé préalablement : marge bénéficiaire et/ou valeur ajoutée pour le client dont l’efficacité énergétique.
Actuellement, les constructeurs utilisent les technologies pour « offrir » au client des « nouveaux services » de confort, de sécurité, d’espace, et des performances (puissance maximale du moteur, vitesse maximale), dont certaines ne seront pourtant jamais utilisées. Ces performances intègrent cependant une forte valeur marchande. Ainsi, un gain sur le rendement moteur ou un allègement, n’est pas seulement destiné à réduire la consommation du véhicule, mais a également pour but d’offrir plus de puissance, plus de confort, tout en conservant un niveau de consommation « acceptable ». La berline haut de gamme hybride par exemple affiche une consommation identique à celle d’un véhicule plus simple, mais n’a pas le même statut… Le potentiel d’efficacité énergétique est donc utilisé partiellement sous forme de valeur marchande visible, génératrice de bénéfice. Tant que l’efficacité énergétique n’aura pas une valeur marchande suffisante, le gain énergétique observable par le client sera réduit.
Ce changement majeur pourrait venir de nouvelles contraintes. Actuellement, limitées mais déjà à l’œuvre, ces « nouvelles » contraintes vont venir bouleverser les modèles technico-économiques de l’industrie automobile.
Les Technologies de l’Information : Economie, Efficacité énergétique mais surveillance…
Développement des radars, caméras urbaines, téléphones portables, GPS embarqués, nos objets nomades peuvent améliorer notre efficacité énergétique, mais deviennent en retour des traceurs de notre mobilité. Un secteur économique, l’un des plus puissants de la planète, le secteur de l’assurance commence à utiliser ces technologies pour assurer la stabilité de la croissance économique, renforcer la prospérité des marchés, favoriser l’innovation. Les surveillances publiques (radar) et privées (assurances) limiteront le conducteur dans sa liberté de conduite. L’assureur, avec les contrats Pay As You Drive, calcule les primes pour chaque trajet selon l’heure du jour, le type de route et le kilométrage détaillés sur une facture d’assurance mensuelle. Le coût de la « boîte noire » se chiffre à 100 euros, mais pourrait générer des économies sur l’assurance de près de 30 % par an, et des économies d’énergie de l’ordre de 4%. Mais, en retour, la mobilité pourrait devenir surveillée, la liberté réelle réduite… L’information est un élément essentiel pour un choix éclairé du consommateur, mais également de compréhension des risques avec une valeur économique pour l’assureur.
De nouvelles zones géographiques aux accès limitées
La plupart des pays européens et des mégalopoles mondiales mettent en œuvre des Zones à Faibles Emissions (ZFE) ou des péages urbains dans lesquelles le tarif d’accès est réduit pour certains véhicules sous conditions de performances environnementales minimales (émissions polluantes, GES, bruit). La voiture ne permet plus d’aller partout. Sous cette contrainte de « nouvelles » formes de véhicules (2-3 roues) vont se développer, faisant rentrer de nouveaux acteurs.
Un coût de la mobilité en croissance
Le prix de la mobilité individuelle est en croissance, avec un point de départ bas rendant le potentiel d’augmentation, et donc de contraintes, important. Au prix du carburant, taxes comprises, des taxes ZFE, pourrait venir se rajouter une taxe CO2 rendant le prix à la pompe très attractif…pour le vol, notamment dans le transport de marchandises. Ce phénomène, lui aussi en développement, aura plusieurs conséquences : augmentation de la surveillance, avantage des carburants gazeux, développement d’un marché noir sans garantie de qualité. La mobilité motorisée sera de plus en plus chère, elle sera source majeure d’innovation, mais également d’exclusion.
Des contraintes d’image et d’usage.
Le principe pollueur/payeur, un des mieux accepté par l’opinion publique, pourrait peser sur les acheteurs particuliers ou professionnels une contrainte morale croissante. Par ailleurs, la société évolue et sa (ou ses ?) mobilité également : impact du vieillissement nécessitant des modes spécifiques, de l’éclatement du modèle familial induisant une souplesse aujourd’hui impossible – une semaine avec un deux roues (le couple), une semaine avec un minibus (mes enfants et ceux de ma compagne), de l’arrivée sur le marché du travail de la génération Y qui ne se déplace plus dans l’entreprise pour travailler. Les besoins en termes de types de véhicule se diversifient. Les évolutions sur « l’objet automobile » ne suffiront pas, les principales sources de progrès pourraient venir des évolutions d’usage, de modes d’organisations.
En conséquence, sous ces nouvelles tendances réduisant la liberté de lieu, la liberté de conduite et d’action, augmentant les coûts, la voiture pourrait faire moins rêver car elle ne sera plus un symbole de liberté. En 2008, 44% des Japonais considèrent déjà que leur voiture comme un « simple moyen de transport » et, d’après la Fédération des constructeurs Japonais, « il ne fait aucun doute que le secteur paie le prix d’une longue période de crise au cours de laquelle le regard que les Japonais posaient sur leur voiture a totalement changé ». Pour conserver une mobilité, source de richesse et nécessaire à une société équilibrée, dans ce contexte en évolution, l’objet automobile devra évoluer.
Ainsi à moyen terme, avec des différences selon les marchés au niveau mondial, l’automobile pourrait évoluer selon deux voies principales. Pour le haut de gamme, comme un vêtement de luxe : hautes technologies, multicarburants, « sur mesure », communicant, un cybercar. Pour les gammes moyennes et basses, l’objet automobile sera de plus en plus fonctionnel conduisant, dans un premier temps, vers des véhicules « low cost », puis utilisant ces derniers pour mettre en œuvre la « 3ème voie » décrite ci-dessous. Cette scission entre des véhicules « fournisseurs » d’émotions et d’autres fournissant uniquement un service de mobilité est le point central d’une évolution majeure de ce secteur.
Le vêtement de luxe
Vitrine technologique utilisant des groupes motopropulseurs (GMP) à haute efficacité énergétique et multicarburants, châssis et carrosserie avec des nanotubes de carbones, communicant avec les autres véhicules et les infrastructures, ce véhicule sera produit par certains constructeurs automobiles « classiques » utilisant des modes de conception globalisés (mondiaux) et dé-intégrés, sur le modèle de DELL (production à la demande). Ce véhicule vecteur d’émotion et de statut se développera de la berline au petit véhicule urbain. Acheté par des particuliers, mais surtout par des entreprises comme moyen de promotion, ce sera un objet de mode.
Le Low cost
Il répond aux contraintes par un objet fonctionnel basique. Des technologies innovantes pourront néanmoins être utilisées quand elles permettent d’atteindre le cahier des charges à moindre coût : éventuellement l’allègement par des nanotechnologies, les GMP restant classiques. Se rapprochant de l’industrie du véhicule lourd par ses spécifications limitées aux besoins essentiels (prix kilométrique, fiabilité, revente), le business modèle commencera à changer. Les acteurs principaux seront les constructeurs asiatiques, chinois et peut être certaines marques de constructeurs européens. Cette étape pourrait être temporaire pour conduire à la suivante.
La 3ème voie, entre le VP et le bus public.
Utilisant des véhicules à faibles prix produit à très grand volume, la 3ème voie ouvrira la voie à de nouveaux services de mobilité complémentaires voire « cumulables » aux transports en communs actuels, dont la plupart sont à inventer. Cette 3ème voie pourrait en effet s’étendre d’une mobilité individuelle sur 2/3 ou 4 roues, jusqu’à l’utilisation classique d’un autobus, permettant de ne plus acheter de véhicule, mais uniquement des kilomètres.
En permettant une mobilité fluide, équitablement repartie, « citoyenne », faiblement carbonée, la 3ème voie pourrait devenir une source d’épanouissement pour les citoyens. En s’adressant uniquement à des entreprises fournissant la mobilité, le cahier des charges du véhicule sera essentiellement fonctionnel, rendant possible une forte standardisation, des modes de maintenance centralisé ouvrant vers de nouvelles possibilités techniques sur les véhicules. Les véhicules auront des formes multiples : 2 à 4 roues, propulsion humaine-électrique-thermique, du 2 places au minibus, « couplable » aux modes lourds traditionnels.
L’apport des technologies de l’information, de la robotique sera essentiel pour assurer une multimodalité fluide, améliorer la sécurité tout en réduisant les coûts d’exploitation (cybercar), permettre une automatisation de certains usages. Ceci sera sans doute complété par les progrès apportés par le web2.0, l’ouverture des bases de données liée à la mobilité, la diffusion étendue d’objets nomades, permettant une utilisation et des transferts des différents modes simplifiés, avec en contrepartie une surveillance accrue qu’il faudra protéger. De même, des efforts particuliers devront être apportés pour réduire une exclusion sociale de la mobilité (exclus des villes, exclus des TIC, …).
Ces véhicules pourront avoir des efficacités énergétiques bien supérieures (faible masse, faible vitesse maximale, gestion optimisée du trafic et de la conduite…), utiliser des filières énergétiques différentes, électriques ou thermiques, gérées par des professionnels. Comme IBM a été supplanté par Microsoft, lui-même par Google, l’évolution de la mobilité pourrait ainsi passer de l’objet automobile au service. De nombreuses innovations non techniques seront également nécessaires au niveau des modes de commercialisation et de distribution. Ces objets dont la principale valeur ajoutée ne viendra pas forcément du cœur de métier d’un constructeur automobile (électronique, télécommunication, stockage chimique…) pourraient conduire alors à une inversion des rôles : des voitures Hitachi, NEC ou Sanyo, puisque la marque devient secondaire. On ne vendra pas en effet des kilomètres par mois (service) comme on vend aujourd’hui une tonne de métal et de plastique (objet automobile).
De nouveaux entrants sont alors susceptibles de proposer ces services, comme Virgin, Apple ou Google, un grand distributeur, un assureur, une banque, un bouquet d’entreprises mondiales, comme Renault / NEC / Continental pour le projet Israélien Better Place, Air France / Veolia, un constructeur de low cost asiatique ou indien de voiture mais également de deux / trois roues.
En parallèle, le centre de gravité se déplacera vers l’Asie. Aidés par des marchés intérieurs aux perspectives exceptionnelles, l’Inde et la Chine verront naître dans les années à venir des constructeurs mondiaux, maîtrisant déjà aujourd’hui les technologies hybrides, issus de fusion de la multitude d’industriels actuels, capables de proposer des véhicules mais également ces nouveaux services.
Des transitions déjà en cours…
De nombreux signaux faibles, en partie décrits dans ce document, matérialisent cette mutation. L’engouement pour le vélib’, dont l’intelligence collective a permis d’y associer des widgets à haute valeur ajoutée, le lancement de l’autolib’, le covoiturage dynamique ou l’autostop sécurisé, sont autant de brique unitaires qui permettront, à terme, de franchir le pas vers le service. Mais tant que la palette de solutions ne sera complète, l’acte d’achat du véhicule continuera, et l’impact réel sur les consommations énergétiques restera faible.
L’automatisation de l’automobile, pour notamment permettre une gestion physique de la flotte de véhicules avec peu de personnel, la mutualisation générale des bases de données liées à tous les modes de transports, soulèvent autant de problèmes technologiques, juridiques que d’absence de standard. Pourtant, CISCO, premier fournisseur mondial de solutions réseaux pour Internet, à travers son projet Connected Urban Development, nous projette en avant grâce au Personnal Transport Assistant – PTA, développé avec le MIT. Un objet unique, forcément nomade, concentre toutes les informations nécessaires à une mobilité efficace, performante, à haute valeur ajoutée. Connecté à toutes les bases de données des différents modes en temps réel, à votre réseau social, aux prévision météo (important pour le vélo), votre agenda, le PTA détermine le meilleur choix pour vous permettre d’arriver à l’heure à vos rendez vous, avec le minimum d’émissions de CO2, en ayant rencontré vos amis dans le (même) bus. Les différents PTA communiquent pour gérer la mobilité d’un réseau de personne, d’une entreprise, comptabilisent les émissions de CO2, réservent si besoin des véhicules en libre service, et payent les billets. Des entreprises comme CISCO, qui ne connaissent rien à l’automobile, pourraient bouleverser notre façon de nous déplacer…
Cette transition de l’objet Véhicule aux services de mobilité doit être vue absolument comme une chance pour le citoyen, l’environnement et les industries. Ces dernières devront s’adapter, pour certaines se transformer, revoir leurs modèles économiques, savoir collecter l’innovation diffuse produite par les citoyens.
1 commentaire
Bonjour,
Tout d’abord, je tiens à saluer la clarté de cet article et la vision complète de la situation actuelle concernant le rapport que nous avons eu, que nous avons, et que nous auront dans le futur, avec le véhicule.
En tant que responsable technique et impliqué dans les orientations stratégiques de mon entreprise, dont le but est d’apporter des solutions à la mobilité urbaine, je ne peux que partager votre point de vue.
Cependant, je mettrai un bémol sur « En parallèle, le centre de gravité se déplacera vers l’Asie… ». En effet, je ne pense pas qu’il faille prendre les atouts des marchés asiatiques et leur dynamisme comme une sorte de fatalité. Sur le domaine des transports, de la robotique et des services de mobilité, la France n’a, techniquement, rien a envier à ses concurrents internationaux. Je dirai même que nous sommes en avance sur le sujet. Malgré tout, il nous faut être ambitieux et prendre des initiatives, probablement politiques, pour ne pas laisser notre savoir-faire aux archives pendant que nos amis asiatiques avancent.