Ford a inventé le Fordisme, qui s'est ensuite répandu dans tous les secteurs industriels impliquant des productions en série. Toyota a mis en oeuvre le lean, qui s'est lui aussi étendu pour arriver, transformé, aux startups. Ce n'est pas un hasard si l'automobile invente tous les 50 ans de nouveaux processus. Produire en masse des objets identiques et tous différents, de hautes technologies, avec de faibles marges, à des marchés mondiaux, impose de questionner sans cesse ses méthodes. Nous sommes aujourd'hui dans une phase inédite, passionnante dans laquelle les usages se complexifient. L'automobile s'inscrit profondément dans un écosystème d'acteurs multiples, variés, mettant en oeuvre d'autres processus d'innovation, entrant en contact directement avec les usagers.
Les industriels de l'automobile, les équipementiers, les opérateurs de transports, les énergéticiens, tous les acteurs de cette ex-filière, comme Ford, cherchent le nouveau Fordisme – Lean – … Le concept même de filière est questionné puisqu'il ne s'agit plus d'être en ligne, à la suite d'un autre, mais en nuage, connecté et relié. Nous parlerons d'écosystème en mutation. Quand au contexte, il ne fait plus de doute : le chaos en est la principale caractéristique. Imprivisibilité, forts effets des réseaux et des connexions, grande importance d'un petit évènement, une personne (Président Directeur) ne peut pas prévoir et guider, une personne (CEO) peut tout changer.
Quel sera le(s) prochain(s) concept(s) dominant pour innover dans un écosystème complexe en mutation ? "Incapable de prédire objectivement ce que sera l’avenir, c’est à dire plus précisément quel produit fabriquer, l’entrepreneur met alors à contribution son environnement et essaie de trouver un acteur qui, aussi perdu que lui, est néanmoins prêt à avancer d’un pas avec lui.", nous propose Philippe Silberzahn. Et ce dernier de poursuivre "L’effectuation estime au contraire qu’en incertitude, ni l’entrepreneur, ni le client, ni même d’autres parties prenantes, ne savent quoi faire, et que la seule façon de le déterminer est de travailler ensemble côte à côte pour faire émerger des buts dont la base est subjective, et non objective." La co-création comme modèle, permettant aux deux parties de se tenir l'une l'autre et d'avancer.
Dans un écosystème en mutation, la position des acteurs n'est pas établie, stable et les notions de rang disparaissent. Il s'agit de se lier les uns les autres par la démonstration de compétences spécifiques et si possible uniques (individuation), mais également par la capacité à travailler en co-création avec d'autres (reliance). Nous retrouvons là les mécanismes propres en collectif de personnes qui, dans un environnement numérique, mettent en oeuvre les mêmes dynamiques : individuation, reliance (lire un article sur ce sujet : les nouveaux nomades).
François Bellanger propose de parler de "piéton PME". Raccourci parfait pour décrire les futurs usagers, citoyens. A la fois unique, seul et individué mais relié en permanence. Comment donc travailler avec des piétons PME ? Quels sont les services et produits utiles pour des piétons PME, pour augmenter leur individuation et reliance ?
Dans cet environnement fractal et distribué, devant s'adresser à la mutlitude de piétons PME, quelles solutions pour des structures lourdes et pyramidales ? Il s’agit maintenant de donner la capacité à chacun de se positionner individuellement dans le collectif, de décider seul ou en groupe comment évoluer, apprendre telle compétence, se relier à telle personne ou collectif. Renforcer ainsi les qualités auto-adaptatives de ce système complexe en améliorant à la fois le nombre de connexion, la qualité des liens et des boucles retroactives, les compétences individuelles, les outils pour appréhender le collectif et mieux agir ensemble sans structure de pilotage. Nous connaissons des collectifs entraînés pour agir en permanence en situation d’holoptisme : Une équipe de sport collectif, un groupe de musique, une tribu. Pour de plus grands collectifs, tout est à inventer. S’appuyant sur les acteurs pionniers de la consommation collaborative, sur les outils numériques des réseaux, nous avons besoin d’identifier ces pionniers pour mettre en œuvre les prochaines étapes : l'hybridation des structures.
L'incubation, l'excubation, l'intraprenariat, l'open innovation sont des formes transitoires conduisant à la recherche de la 3ème forme après le fordisme et le toyota lean. A travers l'Europe, les groupes industriels cherchent à se relier aux startups, à muter pour devenir plus résilients. Mais en général, ils font cela en oubliant que chacun d'entre nous porte en lui la culture de l'ensemble. Le "Nous" est dans le "Je". Chaque personne composant un groupe industriel a intégré dans son mental, la culture du collectif par le biais de son langage, de ses processus, de sa vision du réel. Sans préparation, sans un entraînement adapté, en dehors de l'entreprise, il reproduira les mêmes automatismes. L'entreprise est un corps vivant en tant que tel qui ne peut pas évoluer à la vitesse des progrès techniques sans un travail spécifique et singulier.
Quelle pourrait être cette 3ème forme d'organisation ? Cette fois-ci, l'entreprise devra s'engager dans un processus intégral, pour se remettre en contact avec la multitude (lire cet article de Philippe Méda):
(Complément ajouté) Frédéric Laloux nous décrit dans un entretien très inspirant [vidéo] plus de 10 organisations de 100 à 40 000 salariés qui préfigurent cette 3ème forme d'organisation. Pour Frédéric, il s'agit de la 6ème étape dans l'évolution humaine !