Un cygne noir est un événement hautement improbable doté de 3 caractéristiques principales : Il est imprévisible, engendre des conséquences majeures et une explication a posteriori est toujours donnée afin de rendre celui-ci plus rationnel, lui conférant ainsi une apparente et sécurisante prévisibilité. Le succès phénoménal de la start-up Google a été un cygne noir de même que le furent les attentats du 11 septembre 2001, la bataille de Waterloo.
Pour mieux préciser les choses, Nassim Nicholas Taleb (auteur du livre – le Cygne Noir) estime que le « black swan » est un événement qui possède trois caractéristiques. En premier lieu, il s’agit « d’une observation aberrante », car rien, dans le passé, n’a laissé prévoir de façon convaincante et étayé sa possibilité. Qu’un trader lambda puisse faire perdre 5 milliards de dollars à la Société Générale n’a ainsi jamais fait partie des hypothèses plausibles au sein de cette banque qui a longtemps été perçue comme efficace en matière de contrôles internes. Ou qu’une crise sur le crédit immobilier aux Etats-Unis nécessite quelques mois plus tard, des milliards de soutien public dans la branche de l’automobile en Europe.
En second lieu, cet événement inattendu a des considérations considérables. « Considérez le grain de poivre et mesurez la force de l’éternuement », dit un proverbe persan. Et c’est bien de cela qu’il s’agit. Jérôme Kerviel, par ses agissements supposés, a mis en branle une mécanique dont on ignore encore toutes les conséquences.
La troisième et dernière caractéristique est liée à la nature humaine et à notre besoin permanent de rationaliser et de donner de la cohérence au monde et aux événements qui nous entourent. Pour le philosophe, le « cygne noir » est aussi un événement vis-à-vis duquel nous « élaborons toujours après coup des explications qui le font paraître plus prévisible et moins aléatoire » qu’il n’était vraiment. En clair, c’est un événement dont nous cherchons coûte que coûte à gommer le caractère inattendu ou improbable.
A ce sujet, les attentats du 11 septembre sont un exemple parfait. Personne ne les a vus venir, ils ont déclenché une onde de choc qui n’en finit pas de bouleverser la planète, mais tout le monde ou presque affirme aujourd’hui qu’ils étaient prévisibles, voire que l’on pouvait les empêcher.
Tous ces signes avant-coureurs que les médias énumèrent sont censés nous convaincre que l’on aurait pu détecter la fraude avant qu’elle ne débouche sur la catastrophe que l’on sait. Après coup, cela a le mérite de nous rassurer et il suffit de dire qu’il faudra être plus vigilant à l’avenir pour que cela ne se reproduise plus. C’est une manière commode d’évacuer le fait que l’on ne peut pas toujours prévoir l’imprévisible et qu’il y a des événements dont il faut admettre qu’ils échappent à notre entendement.
Ce qu’il y a d’intéressant dans la réflexion de Nassim Nicholas Taleb c’est qu’il s’en prend à un grand pan de la philosophie classique en critiquant par exemple les platoniciens parce qu’ils ont encouragé l’être humain à préférer « des théories simples à la réalité confuse ».
Au lieu d’élaborer une pensée « probabiliste complexe », nous continuons à voir le monde à l’aune de la courbe de Gauss, c’est-à-dire, quelques rares extrêmes de part et d’autre et une cloche où se concentre la plus grosse moyenne. Or, justement, les « cygnes noirs » sont autant d’événements pour lesquels la courbe de Gauss n’est pas valable. L’occurrence de tremblements de terre, de tsunamis ou de crises financières ne peut se décrire qu’avec des modèles mathématiques plus compliqués que la courbe de Gauss.
En partant de ces constatations, Taleb propose un prolongement intéressant du concept de « cygne noir ». Pour lui, nous ignorons le monde tel qu’il est parce que nous pensons que, grosso modo, nous partageons tous le même quotidien. Or, la réalité, c’est que notre monde est de plus en plus régi par des éléments qui échappent à la courbe de Gauss et que le philosophe qualifie « d’Extremistan » ce qui, en employant une expression triviale, pourrait se résumer par « un monde de toujours plus et d’encore plus ». Les exemples sont légions. Les milliardaires dont le nombre ne cesse d’augmenter quand celui des pauvres est loin de diminuer. La réflexion de Taleb vaut aussi pour les livres. Dans la masse impressionnante d’ouvrages qui sont publiés chaque année, la plus grosse part des ventes va à des best-sellers « qui sont de moins en moins nombreux mais qui se vendent encore mieux ». En littérature comme en finance, il semb
le bien que c’est la loi de l’Extremistan qui règne désormais.
En matière de transports, la crise actuelle, prévisible et de grandes ampleurs vécue par le secteur automobile est également abordée avec des recettes du passé. Comme si l’arrivée conjointe de tensions énergétiques et environnementales, d’évolutions dans les comportements et les modes de vie, et de surcapacité de production, ne nécessitait pas de sortir de la classique courbe de Gauss. Les évènements qui se préparent ne sont, comme les derniers qui ont changés le monde, absolument pas prévisibles. Ces industries lourdes de l’automobile tentent de s’y préparer en reproduisant des mécanismes d’innovation, qui restent malgré tout faiblement rémunérés (voir graphique ci dessous), en délocalisant dans les pays encore en expansion automobile (Renault et PSA produisent deux fois moins de voitures particulières dans l’Hexagone qu’il y a 4 ans) [source Rapport du CAS, Sortie de crise – vers l’émergence de nouveaux modèles de croissance ? présidé par Daniel COHEN].
Ce dernier rapport du CAS sur la crise économique souligne les difficultés du secteur automobile et propose par exemple de « retrouver des territoires accueillants et dynamiques […] La qualité cognitive et culturelle des infrastructures est devenue essentielle pour fixer sur un territoire des activités non seulement de haute valeur ajoutée mais tout simplement stables. »
Pour accroître la robustesse de nos systèmes de mobilités à ces crises à venir, il faudra élargir le jeux d’acteurs pour construire cette pensée probabiliste complexe : territoire, infrastructure, réseaux d’énergies, urbanisme, véhicules, informations, citoyens/consommateurs, autorité de transports… Et dans certains cas, développer des services adaptés à des communautés.
3 commentaires
Post très intéressant!
Si l’on considere que « cygne noir » signifie evenement imprevisible, ce terme peut certes etre employe pour nombre d’evenements et surtout dans le domaine de la finance ou ces dernieres annees de nombreux problemes ont eclate que nul n’avait vraiment prevu.
L’analyse l’accident de Fukushima
http://fr.wikipedia.org/wiki/Accident_nucl%C3%A9aire_de_Fukushima
au regard de la théorie du Cygne noir décrite ci-dessus, cela montre la pertinence des trois axes sur lesquels reposent la théorie.