Plusieurs notes ont été écrites sur l’automobile et son futur, notamment celle sur l’automobile foxconnisée (avant que Foxconn n’annonce son développement dans le véhicule électrique), une métanote sur l’avenir de l’automobile ou encore l’Art de la guerre. Ce présent article porte sur un « détail » de l’automobile moderne : sa connectivité.
Inimaginable qu’elle ne le soit pas, connectée. Forcément. Mais pourquoi faire ? et surtout pour qui ? En quoi la façon dont l’automobile est « connectée » est un puissant révélateur de la vision du monde des constructeurs. Revenons d’abord sur les 30 dernières années…
Après un développement industriel pour « remplir » les pays d’automobiles, les constructeurs et les pétroliers furent rappelés par les états et les unions (USA, EU) en commençant par les polluants réglementés (CO, HC, NOx et PM) d’un côté et les teneurs en soufre, aromatiques (et autres composés) de l’autre côté. Puis vinrent les contraintes sur les émissions de GES. Les objectifs étaient simples : réduire les externalités négatives. Première leçon : les contraintes sont toujours en retard par rapport aux problèmes. Elles sont construites à partir des données disponibles pour estimer les externalités négatives et tenter de les contenir.
En parallèle, les états et unions apportèrent des centaines de millions d’aides aux constructeurs pour dépolluer, améliorer l’efficacité énergétique des groupes motopropulseurs puis plus tard pour maintenir l’activité dans les pays et ne pas délocaliser. Le deal était simple, il n’a toujours pas changé, malheureusement. Début 2000, le numérique, même s’il commençait à se plateformiser, n’avait pas généré d’entreprises technologiques dans l’automobile. Les constructeurs au niveau mondial se livrent une bataille précisément détaillée dans le dilemme de l’innovateur en sur-chargeant le produit de fonctions et caractéristiques dont le marché n’a pas réellement besoin, dans le seul but de pouvoir se différencier les uns des autres. En conséquence, ils choisissent de produire et vendre principalement des SUV, lourds à faible efficience énergétique, en moyenne au prix d’un bon fromage à 23 €/kg. Dès les années 1980, l’ADEME (AFME) finançait des programmes de véhicule à moins de 2 litres aux 100km. Ces véhicules légers et efficients donneraient aujourd’hui des résultats encore meilleurs en termes de consommation mais aussi de faibles prix de vente. Le potentiel technologique en matière d’efficacité énergétique a été détourné pour générer de la masse « marchande » et augmenter le profit. Deuxième leçon : les aides publiques sont facilement transformées pour servir un intérêt contraire. En conséquence, elles devraient être conditionnées à des réductions d’externalités négatives réellement observées en usage réel dans le marché.
L’électronique et les calculateurs équipent les véhicules depuis des décennies avec de nombreux avantages. La connectivité, quant à elle, est récente. Elle procède d’une logique complètement différente. S’appuyant sur des infrastructures numériques mondiales, les objets connectés communiquent leur état et des données pour générer des informations ou des services. Un des objets inspirants en la matière est la trottinette électrique en libre-service. Sa connectivité permet de débloquer le véhicule, facturer son utilisation et, plus intéressant, interdire un stationnement en poursuivant la facturation ou encore limiter sa vitesse maximale en fonction de son positionnement. L’automobile, elle, n’a toujours réussi à tirer profit du numérique. Le conducteur préfère bien souvent l’écran du smartphone que l’on « projette » dans le véhicule, qui apporte et produit les données.
Pourquoi l’automobile moderne, puisqu’elle est connectée, puisqu’elle respecte les normes d’émissions de polluants et de CO2, n’exploite-t-elle pas depuis des années les opportunités offertes par le numérique et sa connectivité ? Et bien tout simplement, parce que les constructeurs ont décidé de ne pas s’intéresser aux externalités négatives des produits qu’ils commercialisent. Juste répondre aux normes, dont nous savons qu’elles sont en « retard », restent largement imparfaites (hybride rechargeable) et falsifiables (Dieselgate). Ne surtout pas faire levier du numérique pour réduire les émissions réelles de polluants ou de CO2, pour réduire la vitesse maximale ou aider à réduire l’accidentalité, pour mieux gérer les stationnements ou maximiser l’usage de l’espace public. Non la voiture connectée c’est d’abord pour vendre à la carte des fonctions installées mais que le consommateur devra activer, c’est capturer une partie des données générées par son activité à bord de son véhicule pour les vendre à des tiers.
Et pourtant, dès maintenant, nous pourrions avoir des véhicules qui tirent profit du potentiel de la connectivité pour mieux connaitre et réduire les externalités négatives. Nous pourrions avoir des véhicules dont la vitesse maximale est automatiquement limitée en fonction de la position, de la voirie, de la météo, des horaires et du trafic. Nous pourrions avoir des véhicules qui ne peuvent pas stationner n’importe où, en avertissant puis en facturant immédiatement. Nous pourrions avoir des véhicules dont une partie des taxes kilométriques, aujourd’hui intégrée au carburant, pourrait être calculée et facturée en fonction de la conduite réelle, des horaires, du trafic, ou de l’historique ouvrant de nouvelles options aux Zones à Faibles Emissions. Nous pourrions avoir des véhicules dont les conducteurs décident de contribuer à des projets d’intérêt général en open data : cartes, trafic temps réel, etc. Nous pourrions avoir des véhicules qui auto-produisent en temps réel leurs externalités négatives, les comparent aux moyennes. Nous pourrions avoir un espace numérique sécurisé individuel avec toutes ses données indépendamment du constructeur, comme Mon Espace Santé.
Les 30 dernières années nous indiquent que, de tout cela, il n’y aura rien. Sauf si des (nouveaux) constructeurs automobiles décidaient de s’intéresser aux externalités de leur produit pour en faire une proposition de valeur différenciante.