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Après l’effondrement

par Gabriel Plassat

Il n’y a pas un effondrement. Il y a une infinité de disparition qui n’apparaisse que lorsque nous y prêtons attention. Mises bout à bout elles forment une forme de délitement. Aucun responsable clairement identifié non plus, chacun de nous en porte une part. Déjà la chute des populations d’insecte et d’oiseaux a lieu. Pas de grande marche, de cierge ou de Grand Plan engagé pour contrer cette tendance. Nous l’avons déjà intégré, malgré nous.

Il n’y aura donc pas d’avant, de pendant et d’après puisque ça a lieu maintenant, « petit à petit ». Seuls les géo-sociologues parle(ro)nt d’Anthropocène. Comme nous n’avons pas éduqué nos sens pour voir les signaux faibles, nous restons aveugles à cette transition en cours. Quand cela devient visible, l’irréversible a déjà eu lieu. Notre cerveau reptilien a été conçu pour réagir à aux signaux forts, aux menaces. Les médias exploitent ce filon et rares sont ceux qui aiguisent leurs sens pour percevoir les signaux faibles et « la forêt qui pousse ».

A cela se rajoute une autre difficulté. Il n’y a pas d’ennemi, d’adversaire, pas de lutte à engager « contre » quelqu’un. Dommage, nous avons construit tout un arsenal de posture, de croyance, de réflexe, de moyen et conditionnement. Non, il est en nous. En nous tous. C’est donc une lutte inédite qui s’engage dans l’histoire de l’humanité. Cela n’a rien à voir avec une « guerre contre le climat ». C’est une introspection planétaire.

Nous voilà condamnés à nous regarder en face, en-nous.

Durant cette phase, les réflexes, les schémas mentaux hérités de notre histoire qui nous a conduit dans cette situation, ne sont pas d’une grande aide. Pire, ils nous trompent et nous égarent. Les processus collectifs de nos organisations (entreprise, collectivité ou état) apparaissent, pour peu qu’on les analyse avec un peu de recul, comme totalement inadaptés pour comprendre et agir individuellement. Ces structures dites pyramidales utilisent et produisent des guides, normes, appelez ça comme vous le souhaitez, conçus dans des périodes stables et prévisibles qui se révèlent hors de propos puisque, par nature, nous entrons dans un territoire inconnu avec une vitesse inédite. A cela se rajoute une perception du réel altérée ou non eduquée. Nos bulles, nos asymétries cognitives et nos nombreux biais, plus ou moins amplifiés par notre culture et notre usage du numérique, construisent des obstacles sur lesquels nous buttons sans même nous en rendre compte. Olivier Auber dans Anoptikon propose d’apprendre à connaitre nos asymétries pour les « remettre à leur place » et ouvrir de nouvelles relations avec le numérique.

Il ne s’agit pas non plus de disparition de l’humanité. Ça serait bien plus simple. Pas de météorite qui conduirait à notre destruction. Même avec plusieurs degrés de plus, certains d’entre nous seront toujours vivants. La théorie du catastrophisme éclairé forgée par René Girard et JP.Dupuy fonctionne bien pour un risque de destruction. Dans ce cas, nous devons être convaincus que la catastrophe (jusqu’à présent nucléaire) est imminente pour mettre en œuvre les réactions permettant de l’éviter. Mais dans notre phase actuelle en transition, il n’y a pas de « moment » de bascule sur lequel nous pourrions nous focaliser collectivement pour enclencher une forme de réaction collective, un boostrapping. Rien, tout est, en apparence, lisse. L’effritement a, en fait, déjà lieu, en commençant par nous-même : ce sentiment de supériorité vis-à-vis de la nature et du vivant comme pour compenser nos manques et notre solitude. Les premiers signaux forts des conséquences nous reviennent maintenant.

Jamais nous n’avons été aussi puissants et nombreux, jamais nous n’avons été aussi fragiles et seuls face à la tâche à accomplir. Peut-être avons-nous encore en nous les ressources pour se lancer dans ce formidable voyage ?

Se centrer, se trouver, individuellement comme simple humain pour libérer ou créer de nouveaux schémas mentaux, de nouvelles postures. Se relier et s’engager collectivement pour les partager, les ajuster, les moduler et faire avancer le moi et le nous. Et si nous commencions par une œuvre en apparence simple : le générateur poiétique crée par Olivier Auber, pour toucher du doigt l’imbrication du moi et du nous ? Ces organisations collectives apprenantes ne rassembleront en rien aux structures connues aujourd’hui, utiliseront d’autres outils et médias pour dompter nos asymétries cognitives.

Existent-elles déjà ? Peut-on les voir et les comprendre ?

Les transitions en cours vont nous faire « atterrir » sur une autre planète, littéralement. Nous glissons déjà dans ce monde radicalement différent dans lequel « nous n’aurons pas le luxe de la collapsologie » pour reprendre l’expression d’Achille Mbembe [émission de France Culture]. Sans doute irons-nous puiser de l’inspiration dans les mégalopoles d’Asie ou d’Afrique, où « on y répare sans cesse. Une porte. Une voiture. Une étoffe. Des gens. Je [Achille Mbembe] préfère me concentrer sur ces micro-mécanismes de réparation et de relance du vivant » et non dans nos smart cities ?

Combien de structures mentales, de postures, de tradition devrons-nous remettre en question et transformer ? A quelle vitesse ? Et bien sûr vous vous en doutez, il ne faudra pas seulement éteindre la lumière en sortant de la pièce. Tout va y passer, en profondeur : alimentation, consommation, énergie, mobilité, mode de vie, même notre language pour commencer puis nos codes sociaux, notre relation aux autres et au vivant en général pour recommencer, itérer et chercher à aligner l’être et le faire. Nous ne pourrons pas faire l’impasse sur la matrice des matrices : la monnaie et son mécanisme de création, tant elle conditionne notre perception de la richesse, nos comportements et nos vies. Rapidement nous devrons également rendre visible ces transformations invisibles qui s’opère(ro)nt en nous ?

Vous l’aurez compris, c’est une nouvelle ontologie qu’il nous faut construire en engageant notre être, en s’autorisant à faire autrement, à se bricoler soi-même, à interroger chaque norme sociale. Il ne s’agit pas d’un effondrement mais d’une véritable évolution du vivant.

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