L’écriture a permis le passage de l’Intelligence Collective (IC) originelle, celle des tribus et petits groupes vers l’IC pyramidale, celle des Etats ou des entreprises. Internet constitue à la fois une nouvelle infrastructure et un nouveau média qui accompagne l’émergence d’une nouvelle forme d’IC. Mais il nous manque le protocole pour exploiter le potentiel du web en offrant à tout le monde de nouvelles capacités non plus uniquement de faire mais de faire ensemble. Pour le moment, le web n’est qu’une encyclopédie que l’on consulte à peu près de la même façon. Des plateformes commencent à nous permettre de nous coordonner en réseau mais elles restent insuffisantes, centralisées pour la plupart et fonctionnent sur des mécanismes de concentration de richesses.
On nomme protocole les conventions qui facilitent une communication sans faire directement partie du sujet de la communication elle-même
L’IC dite holomidale constitue cette nouvelle forme d’intelligence sociale augmentée. Cette IC vient du concept d’holoptisme, holo – le tout, optisme – voir, « voir le tout ». Cette IC permet la naissance de véritables « nations » de valeurs. Techniquement, elle s’appuie sur des cryptotechnologies capables d’intégrer ces valeurs dans le contrat social du groupe de façon simple. Il s’agit alors d’un nouveau protocole permettant aux individus de se coordonner en grand nombre sans effort. Comme nous avons ouvert le web et des ressources (chacun peut maintenant publier sur un blog, manipuler de grandes quantités de données, utiliser des IA open source), il sera possible d’exploiter le protocole pour configurer des règles de fonctionnement d’un collectif et ses objectifs. En étant totalement distribué à la fois d’un point de vue des données, du logiciel et du matériel, si d’autres personnes adhèrent à la démarche, le collectif grandira sans aucune limite de taille, ni de vitesse d’action.
Ce protocole intégrant de nouvelles capacités monétaires, de nouveaux contrats sociaux permettra de créer de nouveaux flux, des monnaies, finalement de nouvelles règles de jeu. Chacun pourra le faire mais la puissance du collectif sera déterminé par la création de valeurs communes, partagée et compréhensibles pour rallier un grand nombre de personne.
Les récents mouvements sociaux montrent à la fois les volontés sociales pour sortir d’un système et les limites pour se coordonner, décider et produire sans faire appel précisément au système dont il s’agit de s’extraire. Ces mouvements, constitués d’un grand nombre d’individus aux cultures hétérogènes buttent notamment sur leur capacité à se voir évoluer : la réflexivité. Seuls les médias leur renvoient une image floue et décalée de leur propre dynamique. Inévitablement, le collectif retombe dans une forme d’IC pyramidale pour avancer et revient alors dans la situation précédente.
Ce protocole permettra la coordination de dynamique sociale complexe composée d’individus « individués », c’est-à-dire ayant chacun une culture, des opinions, des critères. L’IC dite en essaim permet déjà de coordonner des milliers de fourmis ou d’abeilles. Mais le comportement de ces dernières sont déterminées par les gênes et l’alimentation, elles ne sont pas individuées, ne changent pas d’avis. Le protocole gèrera simultanément une multitude d’individuation capable d’avoir des opinions, des divergences et une dynamique collective. C’est inédit dans l’histoire du vivant.
En complément du protocole technique, une évolution culturelle, qui a déjà commencé, pourra se développer par la pratique dans des collectifs de plus en plus grands sur des sujets de plus en plus complexes. Il sera alors possible de rendre visible et supprimer les barrières créées par l’IC pyramidale pour exister : concentration monétaire, panoptisme, marketing et consommation de masse. Mais la vitesse de cette évolution va dépendre de la place disponible aux individus pour se lancer : les espaces vides.
Plus que jamais, la société a besoin d’espace vide pour se réunir, pour échanger, pour créer. Ce sont des espaces physiques mais également mentaux. Là où l’on va pour développer des idées, des projets qui ne rentrent pas dans les cases existantes, décidées par d’autres en général pour reproduire ce qui existe. Là où l’on va quand on cherche des avis, des partenaires, des critiques constructives. Là où l’on va quand les lieux, les entreprises, les incubateurs existants ne conviennent pas. Là où on ne juge pas à priori et où on améliore à posteriori. Là où l’on va quand on ne sait pas où aller. Ces espaces vides et les guides pour nous accompagner dans ces phases de lancement s(er)ont essentiels.
Les protocoles ne sont finalement qu’une banale question technique. Nous la résoudrons. Peut-être d’ailleurs qu’Holochain, Solid ou Duniter constituent déjà les composants de ce protocole. Comme les bases techniques d’internet, de l’aviation ou de tous autres systèmes complexes, les utilisateurs ne verront pas les couches basses, ils utiliseront les interfaces du protocole pour construire « au-dessus » de nouvelles formes d’action. Ces nouveaux projets feront émerger d’autres cultures, montreront par l’exemple, leur capacité à résoudre les problèmes modernes de nos sociétés bien mieux que les acteurs à IC pyramidale. Se faisant, ils attireront de nouveaux talents, une grande diversité et accéléreront la bifurcation du vivant. L’IC holomidale pourra alors déployer sa principale valeur : une évolution majeure de notre perception individuelle de soi et des autres, de nos priorités, de notre vision et compréhension du monde. En supprimant les barrières construites par l’IC pyramidale pour fonctionner, notre espèce poursuivra son évolution vers plus de complexité. Ne cherchons pas à faire résoudre les problèmes complexes aux structures utilisant l’IC pyramidale, elles en sont simplement incapables ; ce n’est pas de la mauvaise volonté, juste une limite structurelle. Investissons par contre dans le développement du protocole, des espaces vides et des guides.
Cette forme d’IC ne va pas pour autant supprimer l’IC pyramidale comme nous utilisons toujours l’IC originelle de nombreuses fois au quotidien. Mais la résolution de problèmes à haut niveau de complexité sera adressée principalement par des collectifs, dont la raison sociale reste à inventer, fonctionnant grâce au protocole.