Ou comment agir avec plaisir dans l’incertain et le complexe …
Mes cours commencent souvent par ce rappel : la mobilité est la rencontre à un instant donné pour une personne de quatre domaines : les infrastructures (un chemin ou une route), les énergies, les véhicules (son corps ou un vélo) et les informations. Chaque domaine appelle des industries spécifiques, des modèles d’affaires, des temporalités, des cultures différentes. Les innovations principales ne sont d’ailleurs plus dans ces domaines mais aux interfaces.
Bienvenue en terre inconnue
Je n’ai étudié que très récemment le sujet de l’effectuation. Il ne s’agit pas d’une méthode mais plutôt d’une posture. Chaque jour, cette « façon de penser et d’agir » apparaît particulièrement adaptée dans un monde Volatil, Incertain, Complexe et Ambigu. Pour progresser sur un sujet complexe comme celui des mobilités dans un monde numérique, les interactions, retroactions et les interfaces sont tellement présentes et influentes qu’il devient impossible pour le cerveau humain de pouvoir prévoir le futur. En étant plus précis, le domaine des mobilités se compose désormais d’un très nombre d’acteurs hétérogènes par leur taille, leur modèle d’affaire et leur structure. Liés les uns aux autres soient par la réglementation, par des modèles d’affaire ou tout simplement par les besoins de délivrer un objet et/ou un service à l’utilisateur final, les acteurs s’associent, se séparent, se concurrencent ou se rachètent en permanence. Le numérique ajoute de nouveaux éléments à cette effervescence : des échanges de données, l’utilisation de standard commun à plusieurs acteurs et enfin la disponibilité de nouvelles ressources gratuites et utiles qui conduisent à augmenter sans cesse le nombre de personne qui viennent « perturber » le système. De nouveaux partenariats émergent en continu, des capacités de calcul ou des logiciels de traitement de données deviennent accessibles au plus grand nombre. Tout cela ne va pas s’arrêter et il n’y aura plus jamais de filière d’acteur alignés avec des donneurs d’ordre et des sous-traitants, sauf pour ceux qui seront foxconnisés (lien vers l’automobile foxconnisée). Le caractère VICA devient la norme dans laquelle chacun doit être capable d’agir mais donc doit se sentir à l’aise.L’Effectuation consiste non pas à partir des objectifs pour déterminer les ressources nécessaires pour les atteindre, mais au contraire de considérer les ressources dont on dispose pour déterminer les buts possibles (le Blog de Philippe Silberzahn est parfait pour creuser le sujet).
En commençant il y a 10 ans, les premiers articles du blog Les Transports du Futur même s’ils décrivaient des visions étaient d’abord construits sur les principales tendances de fond, celles qui restent d’ailleurs à l’œuvre aujourd’hui. C’était à ce moment la seule chose que je pouvais engager : de nouvelles propositions pour penser la mobilité du futur. Pour progresser dans la complexité, le blog m’a permis d’une part de faire connaitre ces visions mais surtout de découvrir de nouvelles personnes renforçant le réseau et donc les articles. Mon but possible était alors de constituer un socle de connaissance partagée, utile à tous les acteurs dont les entrepreneurs. Ce but atteint, le réseau d’acteurs ainsi constitué devenait une nouvelle ressource pour engager une seconde étape et déterminer dans un autre but possible.
La FabMob, une machine à produire des communs
La Fabrique des Mobilités, s’appuie sur ce large réseau d’acteurs et ces connaissances. Son but est d’apporter de nouvelles ressources directement exploitables aux entrepreneurs. Sans l’avoir décrite comme telle, la FabMob est un dispositif qui alimente directement les démarches effectuales des entrepreneurs. Plus il y aura de ressources ouvertes, documentées, donc directement utilisables sans demander d’autorisation, dans le domaine des mobilités, plus il y aura d’entrepreneurs et plus ils seront performants. Il n’est pas question ici de faire de grands projets sans en avoir ni les ressources ni les moyens, mais « simplement » de produire maintenant des briques utiles et exploitables par un maximum d’entrepreneurs.
Ce choix déterminant de la FabMob de se centrer sur les communs, n’a pas été fait en connaissant l’effectuation, mais en poursuivant l’objectif d’aider les entrepreneurs tout en étant contraint dans les capacités d’action et les moyens.
La FabMob est, elle même, produite pour être répliquée par un maximum de monde, elle n’utilise que des outils open source et ne nécessite pas de gros moyens financiers. La FabMob Québec, les actions en Afrique confirment cette capacité. Un réseau mondial de Fabrique pourrait se constituer pour enrichir rapidement l’écosystème de ressources ouvertes et utiles aux entrepreneurs. Ce réseau sera un catalyseur des démarches effectuales de nombreux entrepreneurs, les aidant à se lancer et à capitaliser pour les prochains. Et la dynamique est bouclée puisque plus il y aura d’entrepreneurs utilisant les ressources ouvertes, plus elles vont s’améliorer par leur contribution et plus elles seront attractives.
Sans vouloir directement changer la mobilité ou encore engager des projets planifiés sur plusieurs années, la Fabrique vise à maximiser le potentiel créatif des entrepreneurs, à augmenter le nombre d’entrepreneur et à documenter leurs parcours, leurs échecs et leurs réussites. Le blog a constitué le point de départ pour constituer un réseau de compétences indispensables comprendre la complexité de cet écosystème, créer les premières communautés d’intérêts capables d’identifier les premières ressources à produire.
En intégrant la pensée effectuale, il devient délicat de continuer à agir dans des démarches opposées dites causales, surtout dans des domaines complexes. En plaçant les entrepreneurs dans des situations principalement causales comme les appels à projets, pour résoudre des problèmes complexes avec de nombreuses rétroactions, nous réduisons grandement les chances de succès sans produire ni connaissance ni ressource utile pour les suivants. Il est urgent d’enseigner l’effectuation et pour ceux qui la pratiquent d’en montrer de façon explicite toutes les vertues.
Quelle pourrait être la prochaine étape ?
Le but de la Fabrique une fois atteint, pourrait permettre de disposer d’une machine à produire des communs utiles aux entrepreneurs et plus largement à l’écosystème. Ces communs et ce réseau de Fabrique constitueront alors des nouvelles ressources pour se lancer dans un 3ème but : celui de devenir un tiers de confiance reconnu et utile à l’écosystème pour équilibrer les tensions entre les forces du marché et l’intérêt collectif, entre les acteurs privés et les collectivités, entre les plateformes et le citoyen.
PS : Cet article complète les 3 posts sur ma transformation numérique sous l’angle de l’effectuation. Il prépare une conférence SKEMA avec D.Vian, théoricien du sujet.
1 commentaire
Et si finalement toute cette approche devenait simplement VIRALE? Ainsi elle témoignerait de la force des énergies collectives, d’une forme de structuration des intelligences individuelles pour répondre à l’ensemble des préoccupations soigneusement cachées ou mal définies. Bravo pour ce travail.