L'industrie automobile rassemble d'innombrables talents et compétences étendues, distribuées dans de vastes organisations hiérarchisées, ordonnées, verticalisées. Des constructeurs puis des équipementiers de rang 1 à N et des ressources intellectuelles dans des laboratoires et des cabinets mondiaux d'ingénierie composent cette filière. Quand le contexte est stable et prévisible, cette organisation conçoit et produit en même temps des composants, des véhicules et des processus permettant de faire "plus vite, plus loin, plus distribué, moins cher". Ces processus se composent de méthodes de validation, conception, production mais également d'organisation. Ils représentent l'histoire en capitalisant les erreurs/réussites du passé pour ne pas les oublier.
Dans des environnements instables et non prévisibles, dans des contextes où de nouveaux acteurs arrivent et produisent de nouvelles expériences de mobilités, ces processus figent au lieu de faciliter car ils portent en eux les modes de pensées du passé. Aujourd'hui et demain, qui possède les compétences pour faire émerger les besoins réels, non exprimés des citoyens, ceux qui obligeraient à modifier totalement les processus existants ? Qui possède les compétences pour rédiger le cahier des charges fonctionnel des services de mobilités, des véhicules serviciels permettant de réaliser ces services ?
Et si de nouvelles alliances industrielles permettaient de démultiplier les capacités d'innovations ? Et si les constructeurs automobiles étaient structurellement prisonniers des processus existants ? Kodak avait parfaitement prévu le numérique, mais n'avait pas été capable d'allouer des ressources pour une telle rupture, pour s’engager dans une voie avec des clients, des modèles d’affaires, de canaux de distribution inconnus (lire cet article Toyota vs Google ou le dilemme de l’innovateur). Obliger de penser le futur à travers la pellicule, Kodak avait proposé l'Advantix, appareil photo numérique avec pellicule. Puisque l'avenir sans pellicule est inimaginable par Kodak, alors l’appareil photo du futur aura forcément une pellicule … La voiture dite connectée n’est pour le moment qu’une voiture dans laquelle il est rajouté du numérique. L’objectif est toujours le même : vendre la voiture en « sur-satisfaisant » les mêmes clients, comme l’Advantix de Kodak. Or les expériences de mobilités restent toujours pauvres au quotidien, même pour les propriétaires de voitures neuves (lire l’article Point Break). Cette insatisfaction étendue ouvre des marchés mondiaux pour de nouveaux acteurs, obsédés par l’expérience de nouveaux clients.
Comment comprendre cette multitude de mobilités insatisfaites pour industrialiser de nouvelles mobilités ? Soit en s’engageant avec un premier service de mobilité pour ensuite itérer et s’étendre très rapidement par ramification avec d’autres solutions, une fois la multitude séduite. C’est la stratégie d’Uber (lire l’article sur Uber). Soit en équipant la multitude de capteurs pour connaître les flux, cartographier, informer et plus tard venir aux services. C’est la stratégie de Google (lire cet article sur Google Mobility Service). Soit en fournissant à la multitude des outils pour co-concevoir simultanément les véhicules serviciels, donc fortement imprégnés de numérique, et les services de mobilité.
Le véhicule link&Go couplé à la plateforme 3DS offrent une plateforme de très haut niveau permettant à des acteurs industriels d’itérer sur une maquette numérique intégrant tous les composants. Et si cette maquette était totalement ouverte élargissant ainsi la base et démultipliant les capacités des explorateurs ? Et si des territoires se portaient volontaires pour expérimenter prototypes physiques et prototypes serviciels avec des citoyens ? Et si les moyens de production décentralisés offraient des capacités inédites d’ajustement à cette nouvelle « demande » ? Et si ce dispositif complet [plateforme 3DS ouverte + prototype link&Go + territoires pionniers + micro usine] était un nouveau moyen de se lier à la multitude en amenant de nouveaux entrepreneurs ?
La Fabrique de la Mobilité esquissée dans cet article pourrait intégrer un tel dispositif. Le modèle d’affaires pour Akka & Dassault reste à définir mais il tournera autour de services et de conseils à destination de territoires, d’entrepreneurs et de laboratoires. Plus la plateforme sera utilisée, plus elle gagnera en connaissances. Elle capitalisera les savoirs communs et en offrira, selon des modèles d’affaire variables, l’accès : en fonction de la taille de l’entreprise, en fonction de son usage, en fonction de son capacité à alimenter lui-même la plateforme…
Déjà des acteurs comme Wikispeed, 4H Défense, OSVehicle, FabCar, EDAG ou Local Motor (voir également cette liste complémentaire) s’engagent dans des modèles de conception ouverts, bottom-up. N’ayant aucun modèle d’affaire imposé par l’histoire, ils sont libres de s’inventer pour satisfaire les besoins de mobilités de la multitude.
Seront-ils les seuls à explorer les frontières de l’innovation ? Le temps de devenir LA plateforme est arrivé (Lire les articles Les plateformes vont dominer et De la PFA à la PF des mobilités).