Accueil Transformation du Travail donc des mobilités, vers plus de complexité

Transformation du Travail donc des mobilités, vers plus de complexité

par Gabriel Plassat

[inspiré par l'excellente conférence du LIFT with FING]

Seuls

La robotisation et le numérique amènent progressivement mais sûrement de plus en plus de personnes devant un écran, seuls et « connectés ». Bouleversant les silos établis au niveau des lieux, des modes de transports, des temporalités et finalement de la cité entière, ces évolutions renforcent des fractures existantes au niveau individuel et collectif.

Indépendants, auto-entrepreneurs, de nouveaux nomades émergent, décrits par plusieurs auteurs, ils surfent sur les flux. Ces nomades cultivent comme une richesse leurs multiples réseaux pour construire une extrême individuation. Maîtrisant les techniques numériques, ils se forgent des robots sur-mesure qui démultiplient leur présence et leur action.

D’un autre côté, des personnes isolées travaillent pour le compte de robots, à la tâche (comme le mechanical turk), sollicitant l’aide de micro-réseaux de quelques personnes au quotidien et manipulant quelques ressources numériques simples. Isolés, sans aide extérieure, les barrières les enfermant augmentent sans cesse.

En même temps, de nouvelles pratiques collectives se déploient. Elles modifient simultanément l'intelligence collective, les connaissances, les processus et donc notre façon de travailler ensemble. Les mobilités quotidiennes en seront profondément bouleversées, moins prévisibles, potentiellement plus locales, forcément plus complexes. Qui est prêt à augmenter la complexité ?

Ensemble

Ainsi de nouvelles organisations collectives modifient cette fracture. Esquissés par Jérôme Introvigne ex-Poult (présenté au LIFT 2014), l’engagement et l’ « empowerment » individuels résultent en partie de l’organisation structurelle, de processus et de règles de l’entreprise, qui influencent son développement et notamment sa capacité à changer, à innover, c'est-à-dire à prendre des risques.

Décloisonner, faire circuler toutes les informations, donner le droit de faire des erreurs pour mieux ré-essayer, co-concevoir c'est-à-dire donner à d’autres le pouvoir de décider autrement. Ces organisations mettent en œuvre de nouvelles formes d’intelligence collective distribuées. Le numérique y sera d’abord utilisé pour faciliter la circulation des flux, anguler les différents points de vue, et enfin apporter à chacun la vision des conséquences de ses actions et de celle de tous. Individués et reliés. Progressivement, ainsi outillés, les salariés feront de cette réflexivité un atout pour augmenter encore la rapidité de circulation de l’information, raccourcir encore les processus de décision, rendre encore plus poreuses les frontières historiques, se former chacun dans des domaines très variés à de nouvelles compétences. De ces collectifs entraînés, émergeront aussi de nouveaux nomades, capables d’essaimer à l’extérieur de l’entreprise en démontrant par l’action. Le « bootstrapping social » commence par endroits, dans certaines entreprises et territoires puis se diffuse comme un rhizome.

Bootstrapp

Augmenting the Collective Intelligence of the Ecosystem of Systems Communities: Introduction to the Design of the CI Enhancement Lab (CIEL)

En poursuivant ainsi, les frontières de l’entreprise elle-même deviendront plus poreuses. Sollicitant ou fournissant à d’autres compagnies ces compétences hyper-spécialisées, les employés polliniseront ainsi à la fois d’autres collectifs  et l’entreprise "mère" elle-même. Appelant de nouveaux contrats de travail, toutes les compétences seront reconnues et valorisées au maximum de leur potentiel. Pour Thierry Crouzet (lire mes extraits du livre L’alternative Nomade), « L’individuation s’accomplit non seulement quand nous différons des autres, mais quand nous avons donné sens à nos différences».

« Je suis le lien que je tisse avec les autres »

« Nous sommes en train de créer une nouvelle génération d’artisans qui peuvent changer de carrière tous les dix mois, inventant des métiers qui n’avaient jamais été imaginés avant », écrit Cory Doctorow dans Makers.

Les compétences individuelles acquises dans les différents collectifs forgeront progressivement de nouvelles identités professionnelles, appuyées sur d’autres indicateurs, loin de nos diplômes actuels. Hébergés dans des collectifs pollinisateurs, certains prendront plus de temps pour se lancer, pour trouver leurs talents, pour s’individuer et se relier.

Thierry Crouzet dans l’alternative nomade : « Plus l’interconnexion s’accroît, plus l’interdépendance s’accroît, plus nous vivons en interactions répétées avec les autres, plus nous coopérons avec eux. En prime, comme le montre Axelrod, cette coopération n’a pas besoin de coordination centralisée, elle peut s’entretenir elle-même, ce qui paraît la méthode la plus économique et la plus efficace (en évitant de devoir sans cesse accroître la complexité de l’organe de contrôle).Interconnexion => Altruisme => Coopération ».

Le récent Appel d'offre de la SNCF pour mettre en oeuvre des tiers lieux dans les gares témoigne des dynamiques en cours au niveau des infrastructures. Mutations simultanées des solutions de mobilités, d'immobilité pour s'arrêter au "meilleur endroit", de l'organisation des activités, appuyées sur des nouvelles compétences individuelles et collectives. L'augmentation de la complexité des flux ne fait que commencer.

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