[Suite d’un premier article]
Pourtant Laetitia Vitaud nous dit que le salariat ne va pas disparaitre. L.Vitaud parle d’une nouvelle forme de salariat, permettant de maintenir ces compétences, d’être protégé au niveau de son logement et sa protection sociale pour pouvoir entreprendre. Rappelant que “dans certains cas, le salariat est au contraire préférable pour une firme : plus besoin, par exemple, de recruter et de former chaque jour un travailleur journalier pour s’acquitter des différentes tâches dans l’entreprise. Un lien contractuel avec les travailleurs permet aussi d’éviter de négocier constamment leur rémunération”. Le salariat n’a donc jamais été aussi important et souhaité. Mais quel salariat ? Le salariat est déjà en train de se transformer : salariat en entreprise & travail indépendant, auto-entrepreneurs & salariés, entrepreneur & chômage.
Et L.Vitaud de rajouter un point essentiel sur cette transformation : “En revanche, l’intégration dans l’institution salariale des composantes hétérogènes que sont les revenus, la protection sociale et le statut social, longtemps garantie par les grandes entreprises, est en voie d’affaiblissement. C’est bien le “dégroupage” des composantes du travail salarié qui est à l’oeuvre aujourd’hui. Et la raison de cette désintégration du salariat est l’affaiblissement des grandes entreprises fordistes […] On assiste à la création d’institutions inédites visant à sécuriser leur situation et recréer pour les freelancers la sécurité économique qui a fait l’attractivité et la puissance du salariat”. Comme souvent nous manquons de mot et de recul sur notre propre regard pour décrire plus finement les transformations en cours. Le travail se transforme donc, il est en transition. Seul le mot reste, et nos imaginaires …
« We can’t see our culture very well, because we see with it« , William Gibson
La précarité n’est plus liée uniquement à des difficultés de contrat mais plus globalement à celles pour s’individuer et se relier à des réseaux étendus de compétences. Les entreprises en croissance auront tout intérêt à fidéliser des travailleurs par de nouveaux “contrats” à la fois stables et poreux, adossées à des conditions de développement adaptées pour les retenir. Ainsi, des formes hybrides se révèleront entre l’intermittence, le salariat et le freelance. De nouvelles solutions de protection des plus fragiles devront être inventées pour leur permettre de se révéler vraiment pour ensuite se former, s’individuer et se connecter.
Ainsi organisés, les collectifs apprennent et se développent tout autant par le chemin pour faire aboutir le projet que dans la finalité du projet lui-même. Les innovations sociales procèdent avec de telles subtiles alchimies.
Nos façons de travailler, d’exploiter les machines pour nous libérer de l’emploi, faire apparaitre tous les talents, outiller tous les collectifs sans forcément attendre une production comptable, conditionneront un nouvel éther, l’ambiance de nos quotidiens. Dans ces nouvelles conditions de travail, apparaitront alors de nouvelles architectures sociales aujourd’hui peu invisibles. Dans ce compost le plus varié possible, pourra alors se développer des collectifs éveillés conscients des limites de la seule technique, capables d’innover dans les processus, dans les usages, dans le droit, simultanément aux niveaux individuel et collectif. Les techniques seront alors exploitées pour équilibrer les échanges, mettre en oeuvre des plateformes contributives, réduire les externalités négatives car elles ne seront plus des finalités mais simplement des moyens.
Kevin Kelly brosse un portrait intéressant des évolutions des technologies en posant une question singulière : “Qu’est ce que la technologie veut ?”. Pour K.Kelly, la technique est le moyen permettant à chacun de trouver son travail, de se révéler.
La technique non comme une finalité mais comme un moyen d’individuation pour une pleine reliance et de nouvelles façons de faire ensemble.
Comment commencer aujourd’hui ? En créant des espaces, des places vides celles qui rendent possible des choses qu’on ne peut pas faire ailleurs, car nous avons besoin d’infrastructures : physiques pour nous rencontrer, nous voir et échanger, logiciels pour continuer, documenter, mais aussi de bacs à sable pour essayer, se tromper, apprendre et recommencer.
“La Cantine avait cette fonction là, celle de gérer les transitions, les mutations, les nouveautés, les décalages, de remplacer les lieux qui n’existent pas encore, ou qui ne sont pas adaptés, car ça va trop vite et trop lentement en même temps… Une sorte d’espace incertain, à la frontière entre le présent et le futur, là ou ça frotte, dans un endroit spécial pour ça.” – La Cantine ou le paradoxe de la place vide, P.Richardet
Dans l’ordre (ou pas), quelques propositions pour construire une plateforme coopérative ou contributive : Partir des problèmes en éloignant le plus possible toute solution et impliquer le maximum de personnes volontaires et/ou intriguées et/ou fortement hétérogènes et/ou hackeurs bienveillants. Etre toujours en retard sur les solutions possibles, entourer vous de facilitateurs d’expériences, revenir sur les problèmes pour faire émerger le minimum à faire “tout de suite, maintenant” et oublier le reste. Identifier les différentes formes de talents et compétences présents qui se révèlent dans l’action. Equipez vous alors d’une smart platforme minimaliste, transparente, contributive et réflexive pour voir aussi bien le détail que le tout, l’indivuation et la reliance. Challenger les choix techniques et choisir souvent le plus simple et tester, en ouvrant de nouveaux champs juridique, réglementaire, économique. Recommencez et prenez du recul pour permettre à tous d’observer le collectif…
Poursuivre avec : Platform Cooperativism (NYC et Berlin).