« Chaque entreprise et même chaque organisation sera obligée de se transformer dans les prochaines années », Tim O’Reilly – 2015.
Après la révolution numérique, de nouvelles entreprises monopoles ont émergé, proposant de nouvelles expériences, de nouvelles façons d’interagir avec les marques. Les citoyens devenus connectés ont également mis en œuvre de nouveaux modes d’actions pour échanger, pour consommer, pour gérer leur excès de capacité. De nouvelles alliances se sont ainsi créées. Elles sont puissantes, elles sont à rendement croissant, renforçant ainsi chaque monopole. Ces alliances s’appuient toutes sur des plateformes. Construire et maîtriser une plateforme n’est plus une option. Les entreprises productrices organisées en filière ont été, sont ou seront dominées par des plateformes. Ces dernières affichent de nombreux avantages comme l’antifragilité (au sens de N.Talleb) en intégrant au plus près les boucles rétroactives des utilisateurs et la capacité à tirer profit des effets de réseaux. Mais la principale force tient dans la re-distribution des capacités d’innovations à tout l’écosystème puis la re-concentration. Une plateforme dominante offre des avantages aux développeurs via des API, aux consommateurs via des produits/services compétitifs, à chaque acteur de l’écosystème et à d’autres plateformes. Structurellement, elle « encapacite » d’autres acteurs, puis concentre leur production et leur redistribue une partie de la valeur créée via la plateforme.
Les GAFA, toutes issues d’une startup, dominent aujourd’hui des secteurs et se propagent. Nous pouvons tout attendre des startups. Pour autant les firmes multinationales historiques composent encore aujourd’hui la principale part des écosystèmes industriels. Nous ne pouvons pas tout attendre des startups.
Chaque entreprise est spécifique dans ses produits, ses clients, ses réseaux, son écosystème, sa culture, sa raison d’être. La menace de structure plus agile et rapide n’est pas nouvelle. Elle est maintenant permanente, multiforme, mondiale, démultipliée en amont et en aval. Dans un monde V.I.C.A. , « chaque entreprise et même chaque organisation sera obligée de se transformer dans les prochaines années », Tim O’Reilly – 2015
Face à ces plateformes à forte culture numérique, le soutien public à l’innovation doit se ré-inventer.
Vers un nouveau contrat
Une piste à étudier : reprendre les principes des plateformes numériques mais redistribuer les externalités positives. Ainsi des méta-plateformes pourraient émerger, rassemblant des acteurs autour de problématiques mondiales. Habiter, se nourrir, se former, se déplacer avec La Fabrique des Mobilités, etc.
A l’inverse des GAFA, la méta-plateforme va alors reverser toutes les externalités positives générées par l’activité des utilisateurs à tous les acteurs de l’écosystème concerné. Ces externalités sont ainsi “condensées” dans des communs : données, logiciels, matériels et connaissances. Les communs matérialisent et capitalisent l’activité des acteurs, de chaque projet.
Le contrat au départ est donc radicalement différent : “La Méta-plateforme vous donne accès à son environnement « protecteur », ses réseaux, ses plateformes techniques ouvertes (les communs) et un accompagnement à la condition que chaque projet, chaque acteur s’impliquent dans les communs qui deviennent ainsi les nouveaux actifs de l’écosystème. La Méta-plateforme garantit une gestion neutre des communs sur des temps longs vers tous les acteurs pour accompagner les transitions numériques et écologiques.”
Pourquoi des plateformes techniques ouvertes ?
- la transparence : tout peut être audité,
- la qualité : les meilleurs de chaque domaine y contribuent librement, les produits et procédés étant précisément détaillés sont facilement contrôlables, et les solutions aux éventuels problèmes de qualité sont mutualisées,
- l’efficacité économique : pourquoi réinventer les logiciels, la roue, le chassis, etc… En ouvrant et en fonctionnant par sous-ensemble, les interfaces, les connexions deviennent stratégiques pour permettre des développements séparés. Ces contraintes conduisent à développer des interfaces et connexions facilement “standardisables”,
- la diversité : une plateforme permet la construction de superstructures servicielles répondant à des besoins très variés qui ne sont pas spécifiables dans des approches traditionnelles. La diversité est alors adressée en partant localement,
- la résilience : les plans sont disponibles et peuvent être repris, même après la fin des projets créateurs. Les innovations et retours apportés par des utilisateurs peuvent être mutualisés,
- l’agilité : chaque acteur contribue selon ses compétences en déployant un minimum de ressources pour un maximum de résultats.
Les Méta-plateformes serviront de bases pour faire évoluer le droit dans un secteur industriel, développer de nouvelles théories en matière de management de l’innovation mais aussi pour mettre en œuvre et valider des développements théoriques au plus près des usagers. La complexité des problèmes actuels (au sens d’Edgar Morin) impose désormais de passer par ces méta-plateformes, seules capables de reproduire les retro-liens tout en offrant des capacités d’itération, d’apprentissage et de capitalisation. Les méta-plateformes seront outillées d’un ensemble de plateformes techniques par communauté d’intérêt, par sujet.
Synchroniser et mettre en situation de création
Ces plateformes permettent aussi de synchroniser des collectifs mondiaux hétérogènes, c’est-à-dire constitué d’entreprises privées, d’agence publique, de laboratoire, de territoire, d’indépendants privés sur des objectifs communs. La plateforme joue plusieurs rôles en même temps. Elle est « angulée » offrant pour chacun une grille de lecture adaptée. Elle permet :
- à une communauté de se définir des objectifs clairs et partagés,
- à chacun de s’engager en fonction de ses compétences,
- de rassembler des acteurs hétérogènes, voire concurrents pour les fédérer autour d’un objectif neutre, important pour tous, mais non compétitif dit « non rival »,
- à chacun de voir progresser l’action collective et à tous de voir le rôle et l’action de chacun dans l’avancement du tout. Cette caractéristique majeure se nomme holoptisme.
- de réduire au minimum la structure centrale par la distribution de processus de décision,
- d’abaisser les barrières à l’engagement en offrant des ressources, des connaissances de bases, des règles et des objectifs, et en invitant à venir construire « dessus »,
- ainsi d’outiller les communautés, de les fidéliser. La plateforme joue alors le rôle « d’objet lien» créatif,
- de créer des terrains d’expérimentation les plus complets possible (avec le plus de liens et retroliens) permettant aux organisations de tester avec peu de risque en reproduisant au mieux la complexité.
La Méta-plateforme intègre à la fois une coordination, un objectif, une vision et des processus non coordonnés apportant inconnu et sérendipité. Elle constitue un intermédiaire entre la filière organisée et le marché totalement ouvert.
Source Platform Design Toolkit 2.0
Une Méta-plateforme sera constituée d’une multitude de plateforme technique travaillant à la création de données, de logiciels, de matériels développés en tant que communs. Considérés comme indispensables mais non rivaux, chaque commun s’appuie sur une communauté d’acteurs et des règles de production et gestion du commun. Mutualisés à l’échelle d’un écosystème, ils constitueront progressivement les actifs matériels et immatériels de grandes valeurs de la Méta-plateforme.
L’action publique
Les acteurs publics pourraient jouer un rôle majeur de co-financeur, de protecteur des enclosures, de garant de l’équité d’acccès et de stabilisateur sur des temps longs. Chaque plateforme sera un véritable laboratoire dans son domaine allant de la recherche amont aux applications sur des marchés. Progressivement une partie des financements à l’innovation pourraient être transférer sur le co-financement des communs quand ces derniers sont mis en œuvre, utilisés et validés par une communauté active.
Les communs constituent ainsi une nouvelle production des projets protégés par des licences. Ils ne sont ni-public, ni-privé. Mais ils n’existent et ne se développent qu’avec la bienveillance du public et du privé. Au début, les premiers communs seront mis en œuvre par des personnes capables de convaincre les organisations au plus haut niveau ou par la périphérie des organisations comme les labs des entreprises. Ces intrapreneurs sauront faire accepter les risques grâce à ces nouveaux terrains de jeux à la fois à l’extérieur de l’entreprise mais relativement protégés. Puis il est probable que les communs et les communautés associées deviennent stratégiques pour les entreprises leur permettant d’explorer en dehors de leur zone de confort sans trop de risque.
Les communs prolongent ainsi les organisations pyramidales en dehors des structures pyramidales, mettant en œuvre de nouvelles communautés œuvrant avec d’autres modes de gouvernance.
Sur chaque plateforme et sur la méta-plateforme, des outils de réseaux permettront de voir, de comprendre, de qualifier et de quantifier les flux entre les entités : projets, entreprises, personnes, communautés échangeant des richesses sous de multiples formes. De façon neutre et transparente, la réputation des entités impliquées (voir BackFeed) pourra être révélée et qualifiée facilitant l’engagement, l’organisation, les décisions, mais aussi la sortie ou l’exclusion. Tous les acteurs seront invités à produire des communs selon leur capacité, leur spécialité et leur bénéfice.
En résumé
Une Méta-plateforme outillée combine quatre dynamiques différentes et liées qui induisent de fortes synergies :
- accompagner des entrepreneurs dans la mise en oeuvre opérationnelle de leur projet en leur demandant de contribuer aux communs [4.]. Il s’agit de la première proposition de valeur de la Méta-plateforme permettant d’alimenter les suivantes,
- accompagner les transitions numériques et environnementales des partenaires (industries, territoires, labo, … en s’appuyant notamment sur des projets comme Transitions²) en nouant des synergies avec les projets portés par les entrepreneurs [1.] et les communs [4.],
- grâce aux partenaires [2.] et aux projets [1.], créer des communautés d’intérêt dans plusieurs domaines pour développer des plateformes techniques ouvertes [4.],
- construire des communs sous forme de plateformes techniques ouvertes, apporter la culture de l’innovation par les communs [1.][2.], et ainsi abaisser les barrières pour faire venir des entrepreneurs [1.] et amener des financeurs publics et privés.
Dans les transports, nous travaillons pour faire de la Fabrique des Mobilités, la Méta-plateforme européenne. Et nous avons besoin de tous les talents. Rejoignez nous !
Pour en savoir plus :
- Blog de la Fabrique des Mobilités
- Les communs et l’action publique par Valérie Peugeot
- Platform Design Toolkit 2.0
- Association VECAM : Citoyenneté dans la société numérique
- Vers des plateformes réellement coopératives, Internetactu par Hubert Guillaud
3 commentaires
Merci Gabriel pour cette « métanote » qui dessine les contours ce que pourrait être une « métaplateforme » dans laquelle les externalités positives seraient redistribuées/ « condensées » dans les communs ….
Une remarque/question :
Au niveau technologique il me semble que la tendance ne va pas vers des méta/méga plateformes ouvertes mais plutôt vers des protocoles décentralisés qui à terme et progressivement pourraient se substituer aux plateformes existantes…
Bref n’y a-t-il pas là une contradiction ? ou alors ne faudrait-il pas parler de protocoles ouverts plutôt que de plateforme technique ??
Bonjour Marc, tu as raison. De mon point de vue, il y a des plateformes ouvertes qui contiennent des richesses accessibles (sous condition oupas) et également comme tu l’indiques des protocoles pour pouvoir y accéder. Il faudrait donc aborder à la fois les protocoles décentralisés et les plateformes ouvertes.
Dans un monde « VICA » ou plutôt « VUCA » ? cf. 3e paragraphe
Merci pour cette lecture passionnante 🙂 Isabelle