"Google, et je ne dis pas cela négativement, ils voulaient tout maintenant". Cette phrase a été prononcée par M.Posner, lobbyist pour Google, dans la procédure de validation permettant à des véhicules sans chauffeur de rouler en Californie. Elle résume à elle seule la situation : Google veut opérer des véhicules robots dans l'état américain le plus puissant, rapidement.
Trois articles précédents ont été rédigés sur le sujet des voitures autonomes (Google car, prolongement de tous les services de mobilité – Google car bouleverse tous les modes de transports publics et privés – le choc entre les industries automobiles et numériques). En résumé, l'introduction de robot roulant en usage réel peut avoir de grandes conséquences :
- pour les usagers, en supprimant les frontières entre le véhicule individuel privé et le transport collectif public. Des sièges libres seront en circulation, un système central optimisera sous contraintes leur attribution selon différents modèles d'affaires.Notre assistant numérique (smartphone) gèrera la commande du robot en fonction de notre agenda et de nos demandes (budget, temps, connectivité). Le robot sera à la fois un taxi, un bus, une voiture privée, une voiture partagée en libre service, une voiture partagée en covoiturage. Une flotte de robot gérée en cohorte remplacera 10 fois plus de voiture, et supprimera les transports publics sous exploités. Les gains économiques, énergétiques et environnementaux pourront également être importants sous certaines conditions.
- pour les industries automobiles et les opérateurs de transports publics, en modifiant profondément les modèles d'affaires, les usages, en bouleversant surtout les imaginaires collectifs. En supprimant le conducteur, tout change.
- pour Google lui-même, en faisant rouler des robots équipés de technologies de capture, Google pourra mettre à jour en permanence sa base de connaissance cartographique. Google indexe actuellement le monde physique grâce à des outils de capture de connaissance de toutes les images des véhicules utilisés pour Street View, mais ces données seront à maintenir : les robots le feront en même temps qu'ils déplaceront des personnes.
Robot roulant : producteur/consommateur de données impose de nouvelles lois.
La boucle est bouclée. Les robots utiliseront des données cartographiques et de connaissances provenant notamment des robots en circulation (et même des drones aériens). La courbe d'apprentissage sera rapide, multidomaine, renforçant les positions de Google dans de nombreux domaines. La connaissance du monde physique alimentera les outils numériques.
Pour arriver à faire rouler des robots en Californie, Google a effectué un lobby détaillé dans cet article. Il est notamment souligner que le DMV doit maintenant rédiger les règles pour faire circuler les robots et notamment définir le "car operator" responsable en cas d'accident. Là encore, le numérique modifie les usages que l'on fait des objets, ce qui impose simultanément de revoir les règles, les lois. Rien ne sera simple, mais nous ne pourrons pas faire l'économie de cette transition.
De nombreux constructeurs automobiles sont également sur les rangs : Audi, VW, Volvo pour expérimenter en Californie également. Leurs objectifs sont différents : fournir d'autres fonctions au conducteur, lui permettre de faire autre chose. Mais structurellement il devra, pour eux, rester un conducteur, car c'est celui qui achète. Ensuite, comment accéderont-ils aux connaissances de l'environnement permettant de faire fonctionner des robots ? Google leur proposera peut-être de les alimenter. Après tout, les données sont le carburant du futur. Google a donc tout intérêt à avoir des constructeurs automobiles, du moins au début.
Risques et opportunités dans le monde des transports
Bien sûr il y aura des critiques, il y a de nombreux risques, mais il s'agit également d'un gisement d'économie d'énergie et d'un nouveau mode de transport qui peut avoir une place. Notons également qu'aux USA, il a été décidé d'implanter des boites noires dans tous les véhicules neufs; le partage des données issues de ces boites est encore débattu. La production de nouvelles données stratégiques est donc lancée; qui accédera à ces données ? comment seront repartis les bénéfices avec les usagers ?
La France dispose dans ce domaine de nombreux atouts scientifiques (INRIA, IFSTTAR, LASMEA CNRS notamment) et industriels (INDUCT, ROBOSOFT, …). « Une voiture ressemble à une puissante plate-forme informatique mobile, un peu comme un gros smart phone, explique Gérard Lopez, dirigeant de Mangrove Capital Partners et président de Lotus Renault GP, qui a investi dans INDUCT. Les sociétés d’e-commerce et les réseaux sociaux s’insèrent dans notre vie à tout moment aujourd’hui. Mais il reste un endroit où ils ne sont pas intégrés facilement, et cet endroit est crucial pour nous tous, notre voiture. »
La transition ou le choc ?
Les industriels de l'automobile ont oublié depuis des dizaines d'années de s'intéresser à deux éléments essentiels de leur écosystème : l'environnement et les infrastructures d'une part, et le citoyen consommateur d'autre part. Le numérique bouleverse ces deux sujets. Des acteurs se livrent un combat sur les cartes (Google, Apple et Amazon) car elles concentrent la connaissance et donc la maîtrise du monde réel. Aujourd'hui, qui connaît le mieux toutes les routes, chemins, pistes, panneaux de signalisation et l'intégralité des informations le long des routes ?
Du coté du cit
oyen consommateur, son évolution facilitée également par le numérique lui permet de changer de position. L'article d'InternetActu portant sur les récents de Von Hippel va dans ce sens : “Nous sommes au milieu du plus grand changement de paradigme dans le management depuis des décennies”, estime le célèbre professeur de management. “Nous passons du paradigme Schumpeterien d’une innovation centrée sur les producteurs à une innovation centrée sur les utilisateurs. Pour Schumpeter dans La Théorie du développement économique (1934), “ce sont les producteurs qui initient le changement économique et, si nécessaire, éduquent les consommateurs qui les suivent”. Dans ce paradigme, seuls les producteurs avaient les revenus et les espérances de revenus pour innover. Ce sont eux qui identifiaient les besoins des consommateurs et développaient les produits adéquats. Pourtant, les recherches de von Hippel montrent que c’est loin d’être le cas. Pour lui, ce ne sont pas tant les producteurs qui innovent, que les Leads users, les “utilisateurs pilotes”. Aujourd'hui, qui est capable d'attirer, de faire participer ces Leads users pour co-concevoir les véhicules mais également les fonctions, les usages et demain les expériences ?
Finalement tout change dans l'écosystème de l'objet automobile : la connaissance de son environnement physique, les pratiques et les usages des citoyens, et l'arrivée d'un nouveau carburant nécessaire à son déplacement, la donnée. Pour le moment, les objets ne changent pas. Jusqu'à quand ?
2 commentaires
Mais jusqu’où veut aller la société Google! C’est pas surprenant que ce géant veule mettre des billes dans des projets pareils, donc à voir pour la suite.
L’appetit ne vient-il pas en mangeant ?! Ma foi, si la conjoncture le permet ! Il me semble cependant pas tres raisonnable de laisser un consortium grandir a ce point.