Reprenant un article de l'usine nouvelle (voir ici), qui complète bien le billet précédent sur les risques des mobilités 2.0 (voir ici). A retenir, à Shangaï, posséder une voiture coûte 4700 euros – hors prix de la voiture… Il faudra en avoir une pour le statut, mais se déplacer avec est une toute autre histoire.
L’envol du parc automobile mondial semble irrépressible. Cette industrie devient un marqueur du développement des nations.
C’est un cauchemar pour écolos autant qu’un fait géopolitique. La voiture, célébrée au Mondial de Paris, est devenue l’un des symboles de la mondialisation. Et d’abord parlons chiffres: le parc mondial est estimé à 800 millions d’unités (hors utilitaires). La récession et la plongée des immatriculations dans l’OCDE n’ont fait que retarder sa progression. On le prédit à 1,2 milliard d’ici 2020. Pas mal, pour une «industrie du passé». à cela deux raisons. La première est la rémanence de la voiture en Occident. Ainsi, en dépit des idées reçues, le parc français est stable (31 millions). La seconde est, bien sûr, le poids croissant des classes moyennes dans les pays émergents. Car pour un cadre chinois, indien ou brésilien, accéder à l’automobile, c’est avoir un choix plus grand en matière d’emploi ou de logement, changer de statut social et plonger dans la société des loisirs. Irrépressible liberté.
Dès 2012, selon PWC, les émergents pèseront la moitié du marché. Déjà, la Chine est passée en tête (15 millions en 2009), faisant la fortune de SAIC, Geely ou autres Great Wall comme des étrangers ayant leur sésame chinois (Toyota, GM,VW…). Mais l’empire du Milieu n’est qu’un exemple. En Indonésie, oùmoins de4%de la population détient une auto, après un trou d’air, le marché redécolle. Il devrait vite dépasser le million. EnMalaisie, le taux d’équipement est déjà de 15%, au Brésil de 20%. Et en Inde, l’engouement pour la Tata Nano ne se dément pas. L’Afrique, avec1million de véhicules par an pour1milliard d’habitants, reste à l’écart. Dumoins pour le neuf. Car nos vieilles guimbardes débarquent par cargos entiers à Lagos, Dakar ou Tamatave, remises sur pied par l’incroyable ingéniosité desmécanos africains. Cette vague planétaire, comparable à celle des télécoms, a bien des effets, retenons en trois.
Le premier est urbanistique. De São Paulo à Mumbai, chacun se dispute la palme des plus terribles bouchons. L’envol de l’auto a pour dommage collatéral des infrastructures toujours en retard d’une phase. Au risque d’assécher les budgets (transports publics compris). à Shanghai, on pratique désormais la sélection par l’argent. Les immatriculations sont mises aux enchères. Cote du moment? 4700 euros.
Le second est environnemental. La voiture compte pour 15% au moins des émissions de CO2 fossile. Ce chiffre ne peut qu’enfler. Imaginons une Chine affichant le taux d’équipement de l’Europe (50 voitures pour 100 habitants contre 4 aujourd’hui), la demande d’or noir s’en trouvera dopée de 6 à 8 millions de barils par jour. Et si le véhicule électrique s’imposait? Remplacez le pétrole par son équivalent en charbon…
Le dernier point a trait à la richesse des nations. De par ses prérequis (R&D, supply chain, formation…), cette industrie devient un marqueur de développement. Le Brésil a compté sur elle pour asseoir sa modernisation. La Russie l’a compris, tard, et lutte contre son retard. Pour les investisseurs, l’usine Renault de Tanger change le statut du Maroc. Et combien était symbolique du mal américain, la faillite de GM! Dans ce monde sorti de la Guerre froide, où l’économie domine, un pays se jauge à l’agressivité de ses entreprises, plus guère à ses ogives nucléaires. A ce petit jeu, l’automobile, comme l’armement ou l’énergie, devient une industrie de souveraineté. Et l’«homo automobilicus», un petit soldat.