Cette affirmation de Mme Asensio mérite que l’on y prête attention tant les conséquences pourraient être importantes pour les constructeurs automobiles. Cet article du journal Le Monde présente sur la base d’un entretien la vision de cette personne expérimentée en matière de design automobile. Quelques extraits :
« Les clients ont énormément changé, et l'industrie automobile n'évolue pas assez vite. Les jeunes générations (25-35 ans) ont l'habitude de customiser, de personnaliser tout ce qu'ils possèdent, de leur téléphone à leur page Web. »
« C'est pourquoi il est devenu essentiel – mais c'est vrai pour tous les biens industriels -, de placer l'utilisateur au coeur de la conception. »
« Internet nous permet d'accéder à des informations concernant des consommateurs. La difficulté est de savoir comment les utiliser, les exploiter, les interpréter et les mettre en amont de la conception. »,
« Les matériaux statistiques définis à partir d'une segmentation de la clientèle (cadre supérieur parisien, retraité de province, femme au foyer…) sont devenus obsolètes. »
Mme Asensio a raison, la clientèle change et les constructeurs automobiles n’ont plus les outils pour suivre cette demande qui souhaite personnaliser, dire ce qu’elle veut, participer. Plusieurs notes de ce blog ont déjà présenté quelques exemples d’open innovation, de participation des consommateurs à la conception de tout ou partie d’un système pouvant aller jusqu’à l’automobile complète (voir ici et là). Mais c’est là que tout peut changer. Le consommateur/citoyen ne s’arrêtera pas là où le constructeur le souhaite ou le pense. Après s’être intéressé aux accessoires, certains demanderont de revoir les performances même du véhicule, la masse, source de profit pour les industriels, pour concevoir et faire réaliser des objets réellement adaptés aux besoins d’une mobilité urbaine (Voir la note décrivant le faible besoin énergétique pour déplacer un véhicule ici).
Mme Asensio a raison, il est essentiel de placer le consommateur au cœur de la conception. Mais pourquoi est-ce que cela n’a pas été fait avant ? Ce dernier n’attendra pas que les constructeurs automobiles le fassent, et il ira chercher ailleurs l’objet puis le service le mieux adapté à sa mobilité.
Mme Asensio a raison, Internet permet d’accéder à des informations concernant les consommateurs. Mais Internet permet déjà aux consommateurs d’obtenir des informations clés sur les industriels, leurs bilans environnementaux (voir ici), et permettra demain de connaître la performance environnementale réelle d’un produit (voir ici). Pour la première fois, comme il est indiqué dans la théorie économique, le consommateur possédera l’information pour choisir.
Le texte complet :
Vice-présidente Design Experience chez Dassault Systèmes depuis 2007, Anne Asensio a fait carrière pendant plus de vingt-cinq ans dans l'automobile : chez Renault, où on lui doit la Scenic, puis chez le géant américain General Motors. Elle fait partie du jury du Festival automobile international, qui devait désigner, jeudi 4 février, "la plus belle voiture 2009". Dans un entretien au Monde, elle explique comment le design est en train de mettre l'automobiliste au centre de la conception des voitures.
Comment définiriez-vous les tendances et les a
pports actuels du design sur l'automobile ?
C'est devenu un facteur de succès pour les constructeurs automobiles. L'impact du design sur la société est reconnu. Le choix d'un véhicule pour un client répond à un processus très complexe, à une démarche inconsciente et émotionnelle souvent inarticulée, voire rejetée par le client lui-même. Le designer est considéré, depuis une vingtaine d'années, comme la voix du client dans les processus. Le design apporte un peu plus qu'un raisonnement fonctionnel. Il apporte cette part d'émotion, la justifie et la met en valeur. C'est la partie émotionnelle qui gère l'émergence de l'inconnu, de la nouveauté.
Les hommes et les femmes ont-ils toujours un rapport distinct à l'automobile ?
L'automobile a longtemps reposé sur des valeurs masculines : la performance, la puissance… Elle a été, à ses débuts, un élément de statut, un indicateur de puissance. Il y a eu, progressivement, un déplacement du positionnement de ces valeurs. Dans les années 1970, la Renault 5, par exemple, a été une des illustrations de l'émancipation féminine. Les voitures sont devenues petites, urbaines, malignes.
Aujourd'hui, les femmes intègrent de façon beaucoup plus homogène et harmonieuse la part émotionnelle de leur jugement. Elles ont un contact à l'objet automobile beaucoup plus holistique. Au-delà de l'aspect fonctionnel et esthétique, elles vont être sensibles au bien-être à bord et mieux intégrer que les hommes la partie services autour de l'automobile. Depuis que ces derniers ne sont plus en mesure de mettre les mains dans le moteur où règne l'électronique, la femme n'a plus de complexes et ne craint plus d'être prise pour une cruche… La marque Saturn (abandonnée par sa maison mère General Motors en septembre 2009) avait bâti sa réputation sur une approche relationnelle à sa clientèle. Elle avait acquis sa notoriété davantage par le service qu'elle accordait à ses clients que par les produits qu'elle livrait. Les femmes, et ce n'est pas un hasard, comptaient parmi les principales clientes de cette marque.
Comment le design peut-il prendre en compte les usages de l'automobiliste qui connaissent aujourd'hui d'importantes mutations ?
C'est une question centrale. Les clients ont énormément changé, et l'industrie automobile n'évolue pas assez vite. Les jeunes générations (25-35 ans) ont l'habitude de customiser, de personnaliser tout ce qu'ils possèdent, de leur téléphone à leur page Web. Le carry over part, qui consiste à mettre les mêmes accessoires sur toutes les lignes de modèles, est devenu une sorte d'agression pour le client. Les objets nomades qu'ils utilisent au quotidien s'adaptent à leur style de vie. La voiture ne peut pas faire exception à cette règle. C'est pourquoi il est devenu essentiel – mais c'est vrai pour tous les biens industriels -, de placer l'utilisateur au coeur de la conception.
Comment vous y prenez-vous pour placer l'utilisateur au coeur de la conception ?
Internet nous permet d'accéder à des informations concernant des consommateurs. La difficulté est de savoir comment les utiliser, les exploiter, les interpréter et les mettre en amont de la conception. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité travailler chez Dassault Systèmes (qui développe des solutions logicielles complexes, notamment en matière de simulation).
De quels nouveaux outils disposez-vous pour appréhender l'évolution des usages des automobilistes ?
Grâce à Internet, à la 3D ou à la virtualisation, nous créons des applications qui permettront à quiconque, via des expériences très réalistes, d'interagir avec un véhicule avant de se lancer dans la conception d'une voiture. Au final, on pourra décider si telle voiture à un "droit d'existence", et éviter de produire pour remplir des showrooms ou des parkings de véhicules que l'on veut imposer aux gens. Certains constructeurs sont déjà en train de tester ces outils. Ils vont se répandre très vite. Ça, c'est du développement durable à son niveau optimal.
Jusqu'alors, on concevait les voitures à partir d'une succession de contenus fonctionnels définis par des ingénieurs. Puis, épaulé par des spécialistes du marketing avancé, le designer a défini les produits à partir du style de vie des gens, de leurs usages et non pas à partir de ce que l'usine peut produire. Cela a créé une tension. Les matériaux statistiques définis à partir d'une segmentation de la clientèle (cadre supérieur parisien, retraité de province, femme au foyer…) sont devenus obsolètes.
A quoi ressemblera, selon vous, l'automobile de demain ?
Demain, ce n'est ni l'électrique, ni la pile à combustible, ni le thermique qui l'emportera : c'est un peu tout cela. Les automobilistes configureront leur voiture en fonction de leurs besoins.