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La logistique du futur

par Gabriel Plassat

Le transport de marchandises est le reflet visible de notre mode de vie. Nous sommes ce que nous achetons, ce que nous mangeons. Nous partirons de deux citations de A.Tocqueville et A.Smith pour tenter de comprendre les tendances de fond dans le domaine de la logistique pour les poursuivre en intégrant des innovations venant du numérique.

Je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres. Tocqueville, De la démocratie en Amérique 1835.

 « Peu importe que les autres convoitent ce qui ne mérite pas d’être convoité, ce qui compte c’est le regard de convoitise lui-même. C’est de ce regard que, sans le savoir, chacun est friand ». Reprenant un des pères de l'économie, Adam Smith, et son ouvrage Théorie des sentiments moraux, J-P.Dupuy, dans l’avenir de l’économie, nous rappelle que les agents économiques (nous) croient poursuivre l'utilité (bien être matériel), mais en fait, ils recherchent « le regard des autres », l'approbation. Ce « mensonge collectif à soi-même » est profond, d'autant plus que les agents sont dans l’opacité sur leurs propres motivations et sur celles des autres.

Notre consommation de biens matériels semble être une tendance de fond bâtie sur l’individualisme et un mensonge collectif à soi-même, tout en essayant de réduire les impacts collectifs. Pour répondre à ce « besoin », des professionnels ont développé et industrialisé des processus complexes permettant aux matières premières, puis aux produits intermédiaires et finis, de parcourir des procédés de fabrications industriels devenus mondiaux pour arriver aux bons destinataires. La logistique rassemble ces processus. Quelles évolutions peut-on attendre ?

Nous démontrerons à travers quelques exemples, que ce système de transport de marchandises présente un très haut niveau de complexité avec de nombreuses boucles rétroactives : les effets rebond sont nombreux et non prévisibles à ce jour. Cela rend d’autant plus difficile la mise en œuvre de solutions pour atteindre un objectif.

Il est particulièrement remarquable que, pour ce secteur, l’écart augmente entre les objectifs à atteindre en matière de réduction d’émissions de polluants (Respect des plafonds d’émissions et pénalités européennes), de GES (facteur 4), de diversification énergétique et les moyens permettant d’y arriver (technologiques, organisationnels et financiers). Il ne devient plus possible de les relier, de présenter une trajectoire crédible et souhaitable à tous les acteurs.

Exemple 1 : la mise en œuvre d’une mesure visant à réduire la consommation d’un mode peut conduire à augmenter les émissions de GES. Le développement des camions pouvant circuler à 60t – 25.25m (au lieu de 40t) peut, sans mesure additionnelle, conduire à renforcer l’attractivité de la route au détriment du rail donc augmenter les consommations/émissions du secteur global des transports.

Leçon 1 : nous ne pouvons pas garantir dans tous les cas l’impact d’une mesure à priori visant à améliorer un seul élément du système (ici le véhicule).

Exemple 2 : La mise en place de la Loi de Modernisation de l’Economie a réduit le délai légal de paiement des fournisseurs. Les distributeurs ont pour objectif de réduire leurs stocks centraux, voire de les éliminer. Leurs commandes sont désormais passées en fonction de la demande des magasins et les industriels sont invités à livrer le point d’éclatement des marchandises vers les magasins en cross-dock. Ce nouveau schéma en flux tendu est en train de se mettre en place mais il demande à être optimisé. La demande de livraison en cross-dock de la part des enseignes est difficilement tenable pour leurs fournisseurs. En effet, la part des coûts logistiques de ces derniers augmente car leurs livraisons sont fractionnées. Mais de ces demandes assez radicales des distributeurs de développer des livraisons en flux tendus, des solutions émergent, notamment la mutualisation logistique entre plusieurs industriels.

Exemple 3 : La loi Raffarin subordonne l’ouverture de surface de vente supérieure à 300 m² à une autorisation, afin de protéger le petit commerce local. Elle a conduit à transformer les réserves magasins en surface de vente (l’autorisation pour cette transformation est plus facile à obtenir). Cette transformation des réserves arrières en surface de vente a ainsi  poussé les distributeurs à la création des entrepôts et plates-formes. Elle a eu également pour effet d’accroître la fréquence des livraisons entre les entrepôts et les magasins (mise en tension des flux et dégradation du remplissage des véhicules).

Leçon 2 : des décisions externes au transport peuvent avoir des conséquences non prévisibles.

Le métasystème des transports de marchandises est à ce jour non modélisable d'autant que les changements en matière de consommation portés par le numérique sont nombreux et rapides (ebay now, amazon flow par exemple). Sur cette base il convient plutôt de développer et d’expérimenter des processus permettant de construire avec tous les acteurs, éventuellement par filière, des trajectoires crédibles et souhaitables, en se focalisant sur les indicateurs globaux (tonne GES, MTEP, autre ?) qui sont les seuls à garantir des progrès. Les moyens qui seront mis en œuvre par les acteurs resteront à sélectionner en fonction de chaque filière, territoire, et écosystème.

La vision de DHL, Logistics 2050

DHL dans sa dernière étude publique, Delivering Tomorrow Logistics 2050, propose 5 scénarios contrastés du Monde, soulevant des problèmes à résoudre, et appelant des progrès et innovations « gagnantes quelque soit l’avenir ». Ainsi, l’efficience énergétique, la transparence des indicateurs clés, l’adaptabilité aux conditions extérieures (résilience) dessinent les principales caractéristiques des chaînes logistiques du futur. Cette étude confirme également l’irruption du numérique à tous les niveaux, pour tous les acteurs, en incluant bien sûr le consommateur. Ce numérique qui va permettre de mieux connaître, de mieux comprendre, d’optimiser, de quantifier, de comptabiliser, de tracer ou surveiller.

Parce que l'internet mobile bouleverse le marketing (70% des américains tiennent compte des commentaires sur internet avant d'acheter un produit, 79% utilisent un smartphone quand ils font des courses), donc la relation consommateur – acteur économique, donc le choix du produit acheté. Créer, distribuer, proposer de meilleures informations, transparentes, et ouvertes devient essentiel, ouvrant des possibilités pour de nouveaux acteurs. De nouveaux assistants numériques rassemblant les intérêts des consommateurs pourraient apparaître, et permettre à la fois à chacun de maximiser son choix pour un produit ou un service, tout en estimant les impacts collectifs pour sortir de l'opacité décrite par JP.Dupuy : Google ZMOT, IBM, la [r]évolution du consommateur.

Quelques pistes de recommandations

Plusieurs recommandations peuvent alors être proposées pour donner de meilleurs outils de sélection au consommateur, et des trajectoires à suivre par les acteurs économiques pour respecter des intérêts collectifs :

  • Construire des méthodes partagées entre tous les acteurs pour identifier et suivre les indicateurs pertinents et les agréger : contenu carbone, affichage environnemental, si possible sur toute la chaîne logistique … 
  • Poursuivre l’organisation, la communication et les développements d’outils permettant de mettre en œuvre les moyens « classiques » visant à réduire les émissions et consommations énergétiques du secteur : engagements volontaires, soutien à la R&D, soutien au développement du combiné et au rail, programme marchandises en ville, etc… Nota : ces mesures seules, compte tenu des tendances décrites, ne permettront pas d’atteindre les objectifs. Mais elles seront indispensables pour opérer le changement, ce sont des « moyens ».
  • Former (ou s’assurer qu’ils sont) tous les acteurs du domaine au développement des TIC leur permettant de créer des données, d’utiliser des données pour assurer une chaîne numérique intégrale parallèle au flux de matière (internet du futur, internet des objets). L'académie des technologies appelle cela la 2ème main invisible. Il s’agit des industries, mais également des autorités organisatrices territoriales et nationales. Cette culture du numérique permettant de mettre en œuvre des chaînes numériques parallèles aux flux de produit/matière. Ceci nécessite de développer des formations, de communiquer et de soutenir la R&D dans ce domaine. Les TIC permettront rapidement et pour des coûts faibles d’accéder à de nouvelles données, de nouveaux savoirs permettant de construire les processus décrits en 2. Les mécanismes de quota, taxe et incitatif ne pourront pas être expérimentés à grande échelle sans une grande maîtrise des outils numériques par tous les acteurs.
  • Fournir avant, pendant et après l’acte d’achat au consommateur les données lui permettant de mieux choisir (open data, transparence, assistant numérique …).
  • Instaurer une gouvernance nationale et régionale, transparente et rassemblant les différents acteurs qui va proposer les objectifs à atteindre (énergies, Q.A., congestion, attractivité) au regard du contexte national et local, en utilisant les indicateurs et les méthodes (1.)
  • Développer et expérimenter par filières de produit et jeux d’acteurs des processus combinant taxes, quotas, et incitatifs positifs au changement permettant d’atteindre sous contraintes/récompenses les objectifs définis par l’autorité (4.). Ces processus permettront d’organiser les contraintes/récompenses pour atteindre les objectifs communs. Ces processus qui restent à inventer pourront combiner : quotas, taxes et incitatifs positifs aux changements. Ils seront portés par différents acteurs : grandes distributions, chargeurs, mais également consommateur. Ils concerneront tous les éléments du système : les véhicules (taxe kilométrique), les infrastructures (taxe sur le foncier), les énergies (quota) et seront facilités par l’utilisation massive des TIC. Ces processus conduiront les acteurs à mettre en œuvre les « moyens classiques » mais les effets rebonds seront mieux maîtrisés car ils seront pilotés par les objectifs.

 

1 commentaire

options binaire 17 août 2012 - 14 h 49 min

Envisager ce que sera le futur, l’an 2050, cela me parait bien difficile. La technologie surprend sans cesse avec ses nouveautes. Notre niveau de connaissances actuel nous permet-il de nous lancer une quarantaine d’annees en avant ?

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