La recherche de la vitesse a guidé les politiques de mobilité, sans résoudre l'engorgement et la congestion des villes ni réduire les usages de la voiture individuelle. Comment changer de paradigme et développer des politiques de mobilité pour ralentir dans la ville? Quels changements sont nécessaires pour réellement développer l'usage du vélo ou de la marche ? Le ralentissement s'accompagne-t-il d'une meilleure fluidité ?
La vitesse est bien entendu un élément stratégique essentiel car il structure aujourd’hui le rapport de force dans la rue aujourd’hui (lire Et si le vélo reprenait sa place dans la bataille de la rue). Il hiérarchise les positions en donnant accès à la seule richesse : le temps. Arnaud Passalacqua indique dans son ouvrage La Bataille de la route que la principale stratégie consiste effectivement à s'assurer un territoire rigide et bien à soi. Donc à abandonner ce qui caractérise les systèmes de mobilité : leur souplesse. Ce livre intéressant propose une plongée dans le monde violent de la mobilité, sur tous les territoires. Enjeu de la bataille, l'espace public, voit se nouer alliances et oppositions entre les modes de transport.
Il est démontré que les modes actifs conduisent à augmenter le chiffre d’affaire des commerces, il est démontré que ces modes sont « intégralement » positifs. Pour autant, ralentir est-il l’objectif à viser ? N’est pas plutôt un moyen pour nous permettre de mieux vivre ensemble, ou plutôt d’augmenter nos chances de mieux vivre ensemble ?
Le « ralentissement » fait partie des initiatives dites « alternatives ». Il y a en beaucoup, elles sont peu visibles, il faut les grouper et montrer ce qu’elles ont en commun, leur potentiel transformateur non pas uniquement pour les transports ou l’énergie mais plus largement pour notre « bien être ». Ces mesures sont à articuler avec toutes les actions visant à contraindre l’autosoliste volontaire et à récompenser tous les autres. On peut noter : l’économie sociale et solidaire avec toutes ses composantes : les coopératives de production ou de consommation, le mutualisme, le commerce équitable, les monnaies parallèles ou complémentaires, les systèmes d’échange local, les multiples associations d’entraide ; l’économie de la contribution numérique; les mouvements slow town ; les nouvelles pensées des « communs ». Il s’agit maintenant de les aborder elles aussi comme un système dans l’objectif de les coordonner, du point de vue de l’ingénieur, mais également de les rendre compréhensible, appropriable par tous.
Finalement, c’est la recherche d’un convivialisme, d’un art de vivre ensemble (con-vivere) qui permette aux humains de prendre soin les uns des autres et de la Nature, sans dénier la légitimité du conflit mais en en faisant un facteur de dynamisme et de créativité. L’idée de la convivialité est essentielle : comment vivre ensemble en s'opposant sans se massacrer ? C'est une question préalable, centrale dans toutes les sociétés humaines et indispensable à poser notamment pour partager les « communs », la rue, terre à la fois de friction et de rencontre.
En même temps, les techniques numériques structurent de plus en plus nos vies, certains travaux philosophiques montrent qu’elles commencent également structurer notre perception des autres et donc de nous-mêmes. Une nouvelle matrice ontophanique (perception de l’être) se crée. Le numérique bouleverse les notions « historiques » des vitesses : est-ce que je vais vite quand je ne me déplace plus pour commander un produit livré en 24h ? est-ce que je vais vite quand je fais une réunion de travail dans un café à côté de chez moi avec plusieurs personnes éparpillées en accédant à mes données dans les nuages ? De quelles vitesses parle-t-on ?
Par ailleurs, comment décidera-t-on des « nouvelles » règles dont celles des vitesses « conviviales » ? Il ne faut pas reproduire les mêmes méthodes : en vérifiant par des sondages si elles sont acceptables, non plus en écoutant les citoyens mais en concevant des dispositifs pour qu’elles émanent du collectif lui-même, d’où le besoin de définir ces règles de vivre ensemble par de nouvelles formes de concertation. Le numérique est ici un nouveau facilitateur potentiel extrêmement puissant.
La vitesse comme composant d’une expérience de mobilité
Le mode de transport, les infrastructures ne sont que des moyens matériels permettant de réaliser des activités. Les changements de comportement que l’on souhaite vers des modes plus « conviviaux » ne seront pas uniquement engendrés par des changements de vitesse autorisé, par des contraintes sur la voiture, mais également en co-concevant de nouvelles « expériences de mobilité » : plus ludiques, plus (dé)connectées, plus simples, plus économiques, plus … Là encore le numérique est un puissant outil pour travailler les changements de comportement à travers le design numérique.
Le numérique avait promis une certaine maîtrise du temps. Cette promesse n’est pas au rendez-vous, au contraire, il accélère, dé-synchronise et en même temps il peut permettre de gagner du temps. Le temps est bien une richesse renouvelable, mesurable et partiellement échangeable. Des monnaies temps existent et sont utilisées aux USA ou au Japon. Le temps est donc qualifiable en quantité, mais également en qualité. Est-ce que cette lenteur promise par la réduction des vitesses maximales, par le développement des modes actifs, est accessible à tous ? N’y a t’il pas des lenteurs riches d’expériences et d’autres lenteurs ? Le parisien qui traverse les parcs à pied sur un ou deux kilomètres pour se rendre à son travail vit-il la même expérience que le banlieusard marchant 500 mètres le long d’une autoroute ?
Il est proposé de penser la rue, la vitesse comme des leviers pour mieux vivre en convivialité. De concevoir également différemment ces nouvelles règles, ces nouveaux choix. De tisser le numérique à la fois dans la concertation, dans les propositions et dans les solutions de mobilités et d’immobilités. Nous avons besoin d
’une culture des « temps riches ».