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Re-boot Mobility

par Gabriel Plassat

L’automobile du futur est un sujet sans intérêt. Tout simplement parce que l’ADN de l’automobile reste le même. La masse marchande, celle qui « se voit », structure la pensée, l’organisation et l’allocation des ressources car elle est synonyme de profit. Le futur de l’automobile est nettement plus intéressant quand il s’agit de réfléchir aux pistes pour réduire (drastiquement) les émissions de GES, de polluants, la dépendance aux énergies fossiles, la consommation d’espace public.

Imaginez que vous soyez dans les années 1980. Imaginez que la pellicule photo soit un produit très polluant et que votre organisation soit chargée de réduire cette pollution. Vous seriez en train de travailler avec les producteurs de pellicule photo comme Kodak en leur finançant des projets de R&D visant à réduire tel composant, à modifier leurs procédés industriels. Vous seriez également en train d’expliquer au public que prendre des photos génère de la pollution, qu’il est préférable de limiter les photos. Une personne aurait même l’idée de supprimer la pellicule photo pour prendre des photos numériques. Les fabricants de pellicule bénéficieraient de subventions pour ces projets visant à supprimer la pellicule. Kodak déposerait des brevets et vous vous diriez « nous sommes sur la bonne voie ». Mais rien ne passait vraiment, car Kodak était incapable de penser son futur sans la pellicule. Et tout à coup, de nouveaux acteurs arrivent venant d’un autre domaine avec des conséquences violentes sur le marché de la pellicule photo…

Vous voulez regarder le futur de la pellicule photo ou le futur de la photo ?

Dans le domaine du futur de l’automobile, la robotisation y tient une place importante. Pourquoi ? Kevin Kelly, visionnaire influent de la Silicon Valley et fondateur de Wired, a eu ces mots :

Il nous a fallu longtemps pour comprendre que la puissance d’une technologie était proportionnelle à son incontrôlabilité intrinsèque, à sa capacité à nous surprendre en engendrant de l’inédit. En vérité, si nous n’éprouvons pas d’inquiétude devant une technique, c’est qu’elle n’est pas assez révolutionnaire

En d’autres termes, le vrai design aujourd’hui n’est pas la maîtrise mais son contraire. Comprenons-nous bien : la robotisation doit être maîtrisée en tant qu’application du point de vue de la sûreté et sécurité, mais les usages et les conséquences qui vont en découler sont tellement nombreux, tellement vastes, qu’ils sont imprévisibles dans la plupart des cas. Google a ouvert la boite de pandore il y a maintenant 10 ans, alors que les Fordistes étaient bien tranquilles avec des business modèles établis et prévisibles. Il n’est pas possible de revenir en arrière, au regard du caractère incontrôlable de la technologie qui attire désormais bon nombreux de « nouveaux » acteurs au niveau mondial.

Engager le boostrapping

La robotisation oblige à se hisser à d’autres niveaux de complexité et pas uniquement technique. La perception du temps y joue un rôle particulier car aucun acteur seul ne réussira à concevoir, expérimenter, produire et opérer des systèmes de mobilité robotisée. Seules des alliances pourront le faire. Et là se noue un autre problème : faire croire aux autres que nous allons réussir ensemble même si cela se passe sur des temps longs.

Dans ce cas, même si le robotaxi ne sera vraiment opérationnel qu’en 2042, il est essentiel d’être persuadé que ça arrivera demain. Et c’est parce que nous serons tous convaincu qu’il arrivera demain que nous serons prêt en 2042…

La façon dont nous décrivons le futur est un déterminant du futur. Dans un écosystème aussi complexe, la façon dont nous décrivons le futur se cumule avec la conviction que peuvent avoir les différentes parties prenantes à la réalisation d’un objectif collectif. Or seules les actions concrètes que nous mettons en œuvre sont capables de convaincre les autres de notre réelle volonté. Le passage à la robotisation engage une telle diversité d’acteurs et de compétences que l’alignement et la synchronisation détermine(ro)nt à grande partie le succès. La communauté d’acteur qui souhaite proposer des mobilités robotisées à grande échelle n’a pas d’autres choix que de s’engager dès maintenant dans cette mission en étant persuadée que d’autres sont sur le point d’y arriver demain.

Pourquoi doit on raisonner comme ça ? Laissez moi vous raconter l’histoire du baron de Münchhausen. Tombé dans un marais, le baron de Münchhausen réussit, dit-on, à s’en extraire en se tirant lui-même sur ces cheveux ou, dans une autre version, par les lanières de ses bottes. Cette fable a donné le bootstrapping, programme de départ qui active le programme principal. Dans notre cas, ce sont les images projetées en 2042 des acteurs synchronisés qui leur donne(ro)nt la volonté de croire et d’agir aujourd’hui pour que cette image se réalise. Par ailleurs, plusieurs raisons viennent renforcer ce bootstrap et l’intérêt d’agir dès maintenant :

  • Personne ne connaît la date précise à laquelle des robotaxis opéreront à grande échelle (et donc présenteront des risques pour ceux qui n’y ont pas cru), comme cela était le cas pour la pellicule photo,
  • Personne ne connaît la ou les formes qui trouveront un modèle d’affaire, ni le premier territoire dans lequel sera opéré des services de transport de masse robotisés.
  • Le risque à ne pas être un des 3 leaders dans ce domaine est immense à la fois d’un Point de vue industriel, social, environnemental mais aussi en terme de sécurité nationale
  • Une fois les principales technologies en place, les cadres réglementaires et les boucles d’apprentissage opérationnelles ce sera trop tard, les leaders seront en situation de monopole bénéficiant des rendements croissants des plateformes. Il y a donc une course qui a déjà commencé au niveau mondial.
  • Il sera également impossible de réglementer à postériori comme la ceinture de sécurité par exemple compte tenu d’une part de la lenteur des processus réglementaires nationaux et supra-nationaux et d’autre part de la vitesse de progression des technologie, notamment l’IA.
  • La fiscalité peut et doit être revue en profondeur pour éviter les effets rebonds et bénéficier pleinement de tous les avantages. Et ce travail peut (doit) être mis en œuvre dès maintenant pour construire un cadre clair, compréhensible et pertinent pour donner le cap des prochaines années et accueillir la robotisation dans les meilleures conditions.
  • Enfin, il faut faire du « by design » donc apprendre à concevoir simultanément technique, fiscalité, réglementation et juridique à la fois physique et numérique.

(Back in) The new race

C’est donc une course d’un genre nouveau qui mélange des compétences, des intérêts, des types d’acteurs, obligés de se coordonner dans le mouvement avec de nouvelles opportunités technologiques qui s’ouvrent au fil du temps. La synchronisation et l’alignement des moyens humains et financiers deviennent tout aussi importants que les compétences techniques. Ceci explique, en partie, l’intérêt pour Baidu d’avoir choisi la voie de l’open source avec apollo.auto.

En résumé le quatuor « Grappe d’industries / Territoire / Acteurs publics / Formation Recherche » qui sera le plus convaincu de l’arrivée imminente de cette solution pour servir en masse des citoyens dans des mobilités quotidiennes à grande échelle, se sera structuré pour progresser et évoluer dans l’incertitude, attirera autour de lui les meilleures forces créatrices et créera ainsi les meilleures conditions pour que se réalise sa « prophétie ». Même si le chemin à parcourir est encore long, que les applications rentables et pérennes restent à découvrir, il est absolument essentiel d’être convaincu de l’imminence.

Cette capacité à s’autotranscender est un point clé des futurs écosystèmes gagnants, capables de se projeter ensemble en dehors de leur zone de confort sur des temps longs.

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