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L’histoire de ma transformation numérique (1/3)

par Gabriel Plassat

L’exemple de Kodak montre donc qu’une entreprise meurt non pas d’avoir ignoré une innovation de rupture (c’est rarement le cas) mais d’avoir été empêchée d’agir pour la développer, malgré sa bonne volonté et la conscience du danger, en raison même du succès de son activité dominante. L’échec de l’innovation de rupture résulte donc d’un conflit de modèle d’affaire entre l’ancien et le nouveau, théorisé depuis sous le nom du « dilemme de l’innovateur ». L’entreprise est prisonnière de son modèle d’affaire.

Le numérique transforme tous les secteurs industriels dont celui des transports. L’automobile n’est pas née d’une évolution de la calèche mais d’une multitude d’industrie qui se sont alignées (automobile, pétrole, équipementier). Cette note se veut un support à de futurs échanges dans plusieurs domaines (communication, technique, stratégie, juridique). Elle vise en priorité à aider les structures publiques qui cherchent à accompagner au mieux les transformations en cours.

« Puisque les processus d’innovation changent, il devient essentiel de revoir les dispositifs publics et privés de soutien à l’innovation ».

Quelles industries s’inventent aujourd’hui ? Quelles sont celles qui vont mourir ? Comment réinventer son activité pour accompagner au mieux celles qui servent les objectifs environnementaux et de sobriété énergétique dans un monde numérique ?

Définitions pour bien se comprendre

  • Plateforme numérique : Qu’est ce qu’une plateforme numérique?
  • Entrepreneur: Un entrepreneur est une personne qui entreprend un projet. Il peut être salarié dans une collectivité, une agence publique, un cluster, une entreprise, auto-entrepreneur ou au chômage. C’est une posture associée à des compétences pour agir dans l’incertitude et la complexité.
  • Ressources: ce sont des actifs matériels et immatériels utiles aux entrepreneurs pour valider leurs hypothèses, pour expérimenter, pour se développer : connaissances, réseau de personnes et de compétences, données, logiciels, matériels, moyens d’essais et de calcul, argent …
  • Effectuation: Pour agir dans l’incertitude et la complexité, un entrepreneur met en œuvre une démarche dite effectuale. En résumé, l’entrepreneur se forge une raison d’être et une vision long terme puis se fixe des objectifs à court terme en fonction des ressources (compétence, argent, réseau, techno, …) qu’il peut utiliser autour de lui immédiatement. Une fois exploitées, ces ressources lui permettent d’atteindre une 2ème étape, de valider certaines hypothèses et lui apporte une nouvelle série de ressources. Dans un monde numérique, l’effectuation s’est vue « outillée » d’une grande quantité de ressources inaccessibles auparavant.

Un bon processus

[source Blog de P.Silberzahn] « Le 11 mai 1997, Garry Kasparov est battu par Deep Blue. Pour la première fois, un champion du monde d’échecs est défait par une machine. Kasparov dira plus tard qu’il a été battu par un réveil matin sophistiqué, utilisant la force brute, mais il n’empêche, le coup est rude et le champion est sonné. Depuis, les ordinateurs ont fait des progrès et battu les champions humains de Go, un jeu nettement plus complexe où la force brute n’est pas opérante car le nombre de combinaisons est simplement trop grand pour être calculable.

Kasparov n’en est pas resté là. Piqué au vif par la défaite, il s’est intéressé aux ordinateurs et a développé toute une nouvelle branche d’échecs, que l’on appelle les tournois hybrides. Dans ces tournois, plutôt que d’avoir des humains luttant contre des machines, ce qui n’a plus d’intérêt, ce sont des équipes d’hommes utilisant des ordinateurs qui luttent les unes contre les autres. Chacun est libre d’utiliser l’ordinateur comme bon lui semble. Là où cela devient intéressant, c’est quand on regarde ce que Kasparov a tiré comme leçon des tournois qu’il a organisés en regardant qui gagne ces tournois. Voici ce qu’il observe » :

Un humain moyen + une machine moyenne + un bon processus est supérieur à un super ordinateur

qui est lui-même supérieur à un humain expert + une machine + un mauvais processus

Inclure le numérique, revient à chacun de trouver un bon processus et d’utiliser au mieux les machines disponibles autour de lui. Ce n’est plus une option, juste une nouvelle façon d’agir. Pour toute entreprise, cela touche à la fois le niveau individuel et en même temps le niveau collectif (service, équipe projet, direction, entreprise entière). Cette note tente de décrire ces nouveaux processus.

Mon chemin

Ingénieur motoriste de formation, je n’ai aucune formation dans la mobilité ni dans le numérique. Ces 10 années m’ont permis de découvrir plusieurs filières industrielles en pleine mutation, d’y prendre une place singulière et d’apprendre de nouvelles façons de travailler.

Après des années dans les domaines des moteurs et carburants, en 2007, le sujet de la prospective dans le domaine des Transports et Logistique, au global, se présente à moi. A ce moment, la prospective se résumait au pourcentage de véhicule électrique, au taux de biocarburant mélangé au pétrole et de savoir si l’hydrogène allait devenir un carburant. J’estimais avoir fait le tour de ces sujets moteur/énergie. Plusieurs lectures dont une Brève Histoire de l’Avenir[1], Théorie des Sentiments Moraux[2] et le Phénomène Humain[3] me font changer complétement d’approche. Ma question devient : « En matière de prospective, que puis-je apporter d’utile aux acteurs ? Comment faire progresser le sujet dans son ensemble ?». Je cherche à identifier les acteurs et facteurs clés qui vont structurer le paysage du secteur des transports dans les 10 ans : le numérique s’impose.

En 2008, pas d’Android, pas d’Uber, pas de Waze, pas de GoogleCar. Google est un moteur de recherche qui a une carte depuis 2 ans. Street view a un an comme l’IPhone. Covoiturage.fr futur Blablacar affiche 18000 trajets par semaine, Nokia est là, les constructeurs français vendent 70% de Diesel et sont persuadés que la Chine va devenir un grand marché à remplir avec leur voiture.

Beaucoup de personne sont rencontrées en dehors du domaine des transports, pour apprendre et découvrir leur domaine pour formuler une série d’hypothèses à mesure que je découvre ces sujets. Ces hypothèses, je ne le sais pas encore, se révèleront d’une grande justesse et dépasse largement mes connaissances initiales et le cadre du secteur des transports. Ce sont les suivantes :

  • Le numérique va permettre une forte individuation tout en inventant des formes de reliance entre personne,
  • Le passage de l’objet Automobile aux Services de mobilité va s’engager,
  • Le renversement de la chaine de valeur va se produire des industries fordistes vers les industries numériques.

Ces hypothèses sont détaillées dans mon premier article de blog, nommé MétaNote N°0, rédigé en 2008 et publié en 2009, issu d’une année d’échanges et de réflexion. Frédéric Mazzella (CEO Blablacar) a une employée, Laure, qui n’a que des autocollants pour se faire connaître. Personne ne croit que l’on va monter dans la voiture d’un inconnu. Georges Gallais, fondateur de VULog[4], partage des voitures assez laides à Antibes que l’on peut géolocaliser et ouvrir avec un badge. Je propose le terme d’APM pour Assistant Personnel de Mobilité pour parler d’un outil de guidage temps réel.

Cette vision est partagée avec les acteurs publics et privés, le Comité des constructeurs français d’automobiles. La réaction est immédiate : « vous êtes sérieux ? ».

Première conférence organisée en 2009 à Sophia où nous abordons la Mobilité Servicielle, l’Open Data et la Gouvernance des mobilités grâce notamment au travail préalable de la Fing et Chronos sur ville 2.0. J’explore tous ces sujets en ouvrant un blog et en découvrant les débuts des réseaux sociaux. La suite est étonnante, tout se déroule comme imaginé : explosion des services, diffusion accélérée des smartphones, émergence des plateformes numériques, mise en tension des acteurs historiques puis plus récemment « éveil » de la Chine. Par contre, la vitesse des phénomènes avait été sous-estimée.

En parallèle des sujets numériques et mobilités, deux autres sujets apparaissent importants vers 2012 : l’open source et l’intelligence collective. De nouveau, lectures, rencontres, productions de contenus et tissage avec les sujets numérique & mobilité.

Ces 4 piliers [mobilités, numérique, open source, intelligence collective] forment désormais mon terrain de jeux, comme les couleurs primaires se combinent pour créer une palette.

L’intelligence collective m’amène à ouvrir un autre blog, plus confidentiel car, à priori, plus éloigné des transports du futur. Pourtant en passant d’une filière industrielle à un écosystème d’acteurs hétérogènes, les transports du futur mettent en œuvre tous les champs de connaissance de l’intelligence collective : architecture invisible, individuation des citoyens et réseaux pair à pair, objets liens (dont l’open source apporte des éléments). Il devient essentiel de revoir nos approches collectives, la façon dont nous aidons les entrepreneurs et nos modes de création.

En 10 ans, ce travail solitaire m’a permis de m’installer au cœur de l’écosystème des acteurs de la mobilité, des transports, tant au niveau des industriels que des laboratoires, des journalistes, des acteurs politiques, des collectivités, des associations et, plus que tout, des décideurs. Plusieurs outils numériques ont été utilisés pour infiltrer de nombreuses organisations mais c’est bien le contenu des articles, c’est-à-dire les idées et leur formulation, qui permet d’apporter une valeur ajoutée aux acteurs, de se relier à de nombreux experts dans des domaines stratégiques et de construire une position influente.

La mise en œuvre de ce dispositif numérique se construit dans la durée, dans une démarche horizontale. De nouveaux types de liens se créent avec des personnes ou des entreprises : échanges de connaissances, de compétences, conseils, informations, relais.

En complément, l’enseignement dans plusieurs écoles (Ponts, Telecom ParisTech, ESTACA, Univ Nice) et auprès de l’APM m’oblige à rassembler toutes les pièces du puzzle pour faire les liens entre les domaines et montrer qu’il devient essentiel de casser les silos. Plus récemment devenir élu d’une commune de 10000 habitants m’a grandement aidé à comprendre de l’intérieur les difficultés de mises en œuvre d’une idée ou d’un projet « avec les moyens du bord ». En endossant ces différents rôles et points de vue, il s’agit d’avoir à la fois une vue la plus large possible sur les sujets et des pratiques concrètes, pour mieux comprendre toutes les parties prenantes. [Suite dans la partie 2]

[1] Jacques Attali, 2006, Fayard

[2] Adam Smith, 1759

[3] Pierre Teilhard de Chardin, 1955, Editions du Seuil

[4] Leader mondial des technologies pour  l’autopartage

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1 commentaire

parodi.pascal@neuf.fr 13 mai 2021 - 22 h 00 min

Excellente analyse !

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