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Comment multiplier par 4 les déplacements à vélo en 5 ans pour atteindre 10 % de part modale en 2024?

par mchassignet

Article rédigé par Mathieu Chassignet : chef de projet Ecobonus mobilité, Métropole Européenne de Lille

Multiplier par 4 la pratique du vélo signifie passer de 2,5% à 10% de part modale, soit un gain de 7,5 points. La mise en place simultanée en 2019 de 3 actions d’envergure et réclamées par de nombreux acteurs du vélo permettrait d’atteindre cet objectif :

  • La création d’un Fonds vélo pour cofinancer les infrastructures cyclables des collectivités et doté de 200 millions d’€ par an
  • La généralisation de l’indemnité kilométrique vélo (IKV) à tous les employeurs publics et privés, avec un plafond de 35 € / mois
  • Le rétablissement d’une aide à l’achat de vélos à assistance électrique (VAE) attractive

Le coût pour les finances publiques est évalué à 500 millions d’€ par an. Au total sur 5 ans, le coût serait donc de 2,5 milliard d’€, soit un coût de 335 millions d’€ pour chaque point de part modale gagné. Ce coût reste très limité par rapport au coût d’une politique qui permettrait de gagner un point de part modale des transports collectifs ou de la voiture électrique par exemple.

Comme cela a été souligné dans une tribune récente signée par plus de 200 parlementaires, la France a vingt ans de retard par rapport à d’autres pays européens en matière de politique cyclable. La mise en œuvre conjointe de ces 3 mesures (notons que cela n’a jamais été fait dans aucun pays) permettra, en 5 ans, de rattraper ce retard et de se rapprocher de la part modale vélo constatée aujourd’hui dans des pays comme l’Allemagne ou la Belgique.

Création d’un Fonds vélo doté de 200 millions d’€ par an

Impact : multiplication par 2 de la part modale du vélo pour tous les motifs de déplacement

Coût pour l’Etat : 200 M€ par an

Ce Fonds vélo permettrait de cofinancer les infrastructures cyclables mises en place par les collectivités : réseau cyclable structurant, résorption des coupures urbaines, déploiement massif de stationnement vélo dans les gares, etc. Dans un premier temps, une logique de territoires pilotes pourrait être pertinente pour mettre en avant les meilleures pratiques et les disséminer sur l’ensemble du territoire national.

On estime que l’effet de cette mesure serait comparable à ce qu’on observe dans les agglomérations qui ont récemment amélioré leur réseau cyclable, notamment :

  • Grand Lyon : +14 % par an depuis 2010
  • Rennes Métropole : +35 % en 2 ans (2017 par rapport à 2015)
  • Bordeaux Métropole : +11 % en 2015 et 2016, +12% en 2017
  • Métropole Européenne de Lille : +20% environ en 2016 puis en 2017
  • Paris : + 13% en 2016

Une moyenne semble se dégager autour de +12% à +18% par an pour ces agglomérations dans les années récentes. Ces collectivités atteignent le montant recommandé par le Club des villes et territoires cyclables (CVTC) d’un budget de 10 € par habitant et par an pour leur politique cyclable. Un Fonds vélo doté de 200 M€ par an signifie 3 € par français et par an. Le montant moyen alloué à la politique cyclable par les collectivités françaises était en 2016 de 7,7 € par habitant et par an (Les politiques en faveur des piétons et des cyclistes dans les villes, CVTC, 2016). Le Fonds vélo permettra d’atteindre le seuil des 10 €, voire de le dépasser significativement en tenant compte d’un possible effet de levier de l’aide (le Fonds vélo financerait une partie seulement des projets).

En partant de l’hypothèse basse de +12% et en considérant que l’effet du Fonds vélo sera similaire en moyenne nationale à ce qu’on observe dans ces agglomérations, on obtient un doublement de la pratique en 2024.

Généralisation de l’IKV à tous les employeurs publics et privés

Impact : multiplication par 2 de la part modale du vélo pour les déplacements domicile-travail

Coût pour l’Etat : 190 M€ ; économies de dépenses de santé de 115 M€ par an

Il s’agit de rendre obligatoire l’IKV à tous les employeurs, comme cela a été proposé par un rapport remis à la Ministre Elisabeth Borne le 20 décembre 2017. Celui-ci, intitulé « Pour une généralisation de l’Indemnité Kilométrique Vélo » a été rédigé par un collectif d’experts et de représentants d’associations, autour du député Matthieu Orphelin. Cette généralisation permettrait, toutes choses égales par ailleurs, de multiplier par 2 le nombre de salariés se rendant au travail à vélo. Cette estimation est basée sur les résultats des 2 expérimentations menées par l’ADEME en 2014 et 2015 avec un panel d’entreprises volontaires. Ces expérimentations ont montré qu’une IKV avec un plafond de l’ordre de 35 € / mois permettait de multiplier par 2 le nombre de cyclistes dans les entreprises et d’augmenter de 125 % la part modale du vélo pour se rendre au travail. On fait ici l’hypothèse un peu moins optimiste d’une augmentation de la part modale de 100%.

Dans le cas où le plafond de l’IKV serait porté à 35 € / mois (contre 200 € par an pour l’IKV actuelle qui est facultative pour les entreprises), le coût pour l’Etat de cette généralisation a été chiffré 190 M€. Par ailleurs, l’augmentation du niveau d’activité physique résultant de cette mesure permettrait des économies de dépenses de santé qui atteindraient 115 M€ par an. Le coût net pour l’Etat serait donc de l’ordre de 75 M€.

Rétablissement d’une aide à l’achat de vélos à assistance électrique (VAE) attractive

Impact : 2,2 % de part modale pour le VAE fin 2023

Coût : 115 M€ par an en moyenne

L’aide à l’achat de VAE, mise en place entre février 2017 et janvier 2018, a permis d’atteindre sur l’année 2017 un total de 255 000 ventes, en augmentation de 90 % par rapport à 2016. Par rapport à la tendance d’une augmentation du marché de 30 % par an en moyenne sur les 5 années précédentes, on peut donc estimer que l’aide à l’achat a eu pour effet d’augmenter les ventes de 46% en 2017.

Maintenir une augmentation du marché de 30 % par an sur les 5 prochaines années n’est sans doute pas réaliste. En considérant une augmentation de 20 % par an à partir de 2019, les ventes atteindraient 562 000 unités en 2023 dans le cas où on ne remettrait pas en place une aide à l’achat dans les conditions de 2017. En revanche, si l’aide à l’achat était réintroduite, on estime que les ventes atteindraient 821 000 unités. Ces chiffres peuvent sembler élevés au premier abord, mais à titre de comparaison les ventes en Allemagne ont atteint 720 000 unités en 2017 (+20% par rapport à 2016) et elles auront très probablement dépassé le million avant 2023. Par ailleurs, rapporté à la population, le nombre de VAE vendus est encore bien supérieur en Belgique avec des ventes 2 fois supérieures au niveau de l’Allemagne : 218 000 VAE vendus en 2017 pour 11,4 millions d’habitants.

En cumulé, et en considérant que la durée de vie d’un VAE est de 6 ans, on aurait donc 3,2 millions de VAE en circulation fin 2023 dans le scénario où l’aide serait rétablie contre 2,2 millions dans celui où il n’y aurait plus d’aide. L’ADEME dans son Etude d’évaluation sur les services vélos, publiée en 2016, a interrogé les personnes ayant bénéficié d’une aide à l’achat de VAE. Les fréquences d’usage des VAE selon les motifs d’utilisation montrent qu’un VAE est utilisé en moyenne pour effectuer 420 trajets par an. Au total les 3,2 millions de VAE en circulation permettraient de réaliser 1,4 milliards de déplacements par an en 2024. Par ailleurs, d’après l’Enquête nationale transports et déplacements de 2008, les français font environ 60 milliards de déplacements par an. Etant donné que le nombre de déplacements par personne est stable et que la population devrait avoir augmenté de 6,5% en 2024 par rapport à 2008 d’après les projections de l’INSEE, on arriverait à 64 milliards de déplacement en 2024. Les 1,4 milliards de déplacements à VAE correspondraient ainsi à une part modale de 2,2%.

Sur la base d’une aide de 200 € par VAE, le coût pour l’Etat serait de 80 M€ en 2019 pour atteindre 164 M€ en 2023. Au total sur 5 ans le coût serait de 590 M€, soit 115 M€ par an en moyenne.

Synthèse et discussion

L’effet net des 2 premières mesures se fait « toutes choses égales par ailleurs ». C’est-à-dire que leur mise en place conjointe aurait pour effet de se cumuler. En effet, l’augmentation de la pratique du vélo grâce à l’IKV a été mesurée sans qu’il n’y ait eu en parallèle une amélioration des infrastructures cyclables sur les quelques mois de l’expérimentation. Inversement, la progression observée dans les agglomérations citées s’est faite sans que l’IKV n’y soit massivement mise en place.

Sur les déplacements domicile-travail, l’effet des 2 mesures se cumulerait donc avec une multiplication par 4 de la part modale du vélo qui passerait de 2,5 % à 10 % environ.

L’IKV ne concerne pas directement les autres motifs de déplacement mais induit tout de même un effet d’entraînement, sur des déplacements dits secondaires : les personnes qui se sont rendues au travail à vélo vont parfois l’utiliser après leur journée de travail pour se rendre à une activité de loisir, faire un achat ou encore rendre visite à un proche. L’expérimentation de l’ADEME a montré que 30 % des nouveaux cyclistes et 15 % des anciens cyclistes avaient, grâce à l’IKV, augmenté leur utilisation du vélo en dehors du motif travail. On estime que la part modale du vélo sur les autres motifs passerait de 2,5% à 3,5% grâce à l’effet d’entraînement de l’IKV et à 7% grâce au Fonds vélo.

Enfin le VAE attire des personnes éloignées du profil de l’utilisateur du vélo classique, et en particulier des personnes plus âgées. L’étude de l’ADEME confirme ce constat : seulement 15 % des acheteurs de VAE ont substitué ce nouvel usage à l’utilisation d’un vélo classique. Il est cependant légitime de ne pas prendre en compte ce report du vélo vers le VAE. L’augmentation de part modale obtenue grâce au VAE serait donc plus proche de 2% qui viendraient s’ajouter aux estimations précédentes.

En conclusion, la mise en place conjointe des 3 mesures permettrait d’atteindre en 2024 une part modale du vélo de 12 % pour les déplacements domicile-travail et de 9% pour les autres motifs de déplacement, ce qui correspond à une part modale de 10 % sur l’ensemble des déplacements. Le coût pour l’Etat serait de 2,5 milliards d’€ sur 5 ans ce qui reste très modeste au regard de l’efficacité du dispositif. Par ailleurs il conviendrait de retrancher les économies indirectes liées aux dépenses de santé évitées. Dans le cas de l’IKV, ces économies atteignent 60 % du coût direct pour l’Etat. La future Loi d’orientation des mobilités et le Plan vélo annoncé devraient permettre à la France de rattraper son retard en actionnant au plus vite ces 3 leviers.

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