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L’âge des écosystèmes conscients

par Gabriel Plassat

Constatons un certain nombre de chose. Allégeons-nous de réflexes et d’automatismes. Le temps presse. 2020 c’est demain et 2030 n’est pas loin. Dans un monde profondément VICA, l’allocation de la ressource principale, le temps, est à revoir.

Il est très improbable qu’un dispositif d’incubation et d’accélération transforme un groupe industriel pour lui permettre de devenir agile ou de mettre en œuvre une innovation radicale. De même, la probabilité que votre startup (ou celles que vous incubez) ne refasse Uber ou un équivalent est quasi nulle (et si, par bonheur/malheur, cela arrive que faites-vous ?). Pour autant, le nombre de challenge ne cesse de croitre et rien n’est plus important que d’accompagner tous les acteurs volontaires.

Individuellement, plus aucun acteur n’est capable de penser et d’agir seul dans la complexité pour délivrer sur le marché une solution. Jamais le besoin ressenti de collaboration et de coopétition n’a été aussi grand. Mais les réflexes de repli et les automatismes de fermeture sont tenaces. Ils sont partout, engrammés dans nos comportements collectifs et individuels : nos réunions tous assis autour d’une table, nos prises de parole sans vraiment écouter l’autre, nos processus de décision verrouillés et descendants notamment pour gérer notre temps et nos ressources. Tout cela est daté, d’un temps où l’environnement était stable et prévisible. Nous ne pouvons voir ces limites uniquement après avoir pris suffisamment de recul et être sorti du bocal. Imaginer que toute votre vie, depuis votre naissance, vous respiriez à travers une paille, ou portiez une pierre sur votre dos. Le corps, votre respiration, vos gestes et votre vie se seraient organisés avec ces contraintes. Vivre sans serait inconcevable puisque ça a toujours été.

Et paradoxalement, une petite équipe organisée et déterminée peut faire basculer un secteur industriel. Est-ce le hasard ou fonctionne-t-elle différemment ? Nous proposons de tirer parti des opportunités et d’apporter quelques nouvelles ressources sur un nouvel acteur : l’écosystème. En nourrissant l’écosystème de nouvelles richesses, les acteurs qui y seront le mieux connectés peuvent en tirer bénéfice et certains bénéfices enrichiront à leur tour l’écosystème. Ce flux de richesse est complémentaire aux approches traditionnelles en mode consortium fermé ou en mode filière. Il va par contre agir différemment sur l’acteur qui l’investit et nécessite, pour le faire, une vision très différente.

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Plus facile à faire un .xls ou .ppt que de rencontrer ses premiers clients

Nous continuons à vouloir tout prévoir alors que les principaux évènements des 6 prochains mois sont inconnus. Il n’est plus possible de planifier une stratégie pour les 10 prochaines années. Ce n’est pas grave, juste différent et cela libère des opportunités. Compte tenu du nombre d’acteur en croissance, de leurs connexions, du foisonnement et de l’architecture même des écosystèmes ouverts, seule la « raison d’être » de chacun doit être établie pour servir de guide : claire, crédible et souhaitable. La stratégie peut alors être co-créée en continue, ajustée avec les parties prenantes. Toutes les idées peuvent être explorées et éventuellement intégrées si elles servent la raison d’être. Et, cerise sur le gâteau, ce seront les premiers clients qui apporteront les feedbacks pertinents. Dès maintenant questionner en profondeur la relation que vous avez avec vos clients ? combien de personnes dans votre organisation sont en contact (réel) avec les clients ? Combien de temps vous faut-il pour engager 10.000 clients, 1 million ? Savez-vous si vos clients vous écoutent (vraiment) ?

Le pouvoir des communs

En ouvrant certains actifs, les communs (lien vers le wiki), les acteurs engagés ouvrent des opportunités et se transforment eux-mêmes.

Il n’y a plus de cahier des charges à respecter et des sous-traitants à sélectionner. Il y a des gisements de nouvelles options pour des partenaires invités à venir sur-traiter sur l’actif.

Chaque mot a ici un sens précis qui conditionne une posture très différente. Soyons clair en donnant un exemple. En proposant récemment aux partenaires de la Fabrique une plateforme roulante ouverte de Twizy, Renault change radicalement de démarche. L’actif (ici la base roulante de la Twizy) doit alors être séduisant (documenté) pour permettre à un plus grand nombre d’acteur avec le minimum de règles (équipotentialité d’accès, sans autorisation à demander) de passer du temps et des ressources sans prédéfinir au départ la finalité visée. De même quand Kisio décide de rendre Open Source son produit phare Navitia ou Transdev se lance dans une plateforme de données ouvertes avec Catalogue, l’entreprise shift d’une organisation pyramidale à une organisation holomidale (voir après …). Cette posture nouvelle implique de l’ouverture, de l’empathie, de la modestie, de la bienveillance, de la curiosité pour capter les signaux faibles, remettre en question des choix et s’engager dans de nouvelles voies. Et seule la mise en pratique réelle permet d’activer ces changements qui sont alors difficiles à comprendre par des observateurs externes. Le commun génère plusieurs externalités positives :

  • c’est une ressource utile, directement actionnable, qui permet de commencer un projet sur une base solide sans repartir de zéro,
  • il entraîne, chez l’acteur qui le propose, une évolution majeure à plusieurs niveaux : prise de décision décentralisée, contributeur à l’extérieur de l’entreprise, réutilisation non planifiée, augmentation exponentielle des connexions vers de nouveaux acteurs, stratégie évolutive avec une diversification des marchés et des opportunités, plus grande attention aux signaux faibles.

Vers une constellation de richesses

La notion de filière, d’acteurs alignés par des contrats de sous-traitance et des processus figés, ne s’applique plus dans des environnements mouvants. Une multitude de liens forts et faibles, d’échanges de plusieurs types de richesses, se met en œuvre. Pour les voir et les comprendre, il faut d’abord le vouloir et savoir écouter. Tout n’est plus basé sur la monnaie rare pour décider l’allocation des ressources, mais sur de nombreux indicateurs échangeables, mesurables ou uniquement exprimables. Ces indicateurs ne sont pas, non plus, compréhensibles et manipulables sans être dans ces flux. Les communs et les flux de richesses entre les acteurs tracent les formes des nouveaux écosystèmes conscients et remplacent les contrats des filières industrielles.

Imaginer que même un concurrent puisse utiliser un de vos actifs devenu ouvert pour répondre à un marché. Pour une organisation fermée, ce n’est pas acceptable puisque vous lui donnez un de vos avantages compétitifs. Dans un écosystème conscient, ce concurrent peut remporter ce marché avec votre produit et cela vient le renforcer dès que de nouvelles fonctions sont développées. Soit vous n’aviez pas prévu de répondre et cela ne change rien en terme de client, soit vous n’avez pas gagné et cela révèle des pistes d’améliorations. Par contre, cette ouverture ouvre de nombreuses opportunités d’alliances, de nouveaux marchés que vous n’êtes plus seuls à explorer. Si votre ressource est attractive (bien documentée, utile et adaptée aux marchés), une multitude de partenaires se lie à vous via le commun.

L’écosystème dans son ensemble devient votre allié.

Il devient donc progressivement rentable de miser quelques ressources sur cet écosystème bienveillant car tôt ou tard des retours positifs pourront revenir avec une probabilité d’autant plus forte que les acteurs sont nombreux et hétérogènes, que les communs sont riches et utiles. En complément, plus les liens avec l’écosystème sont forts et multiples, plus les personnes impliquées y gagnent en compétence. Un écosystème « riche » (au sens d’une multitude de richesses) peut se comparer à un compost fertile dans lequel il y a beaucoup d’espèces vivantes, de fortes interactions, un espace ouvert/fermé, un contrôle et une amélioration régulier de la qualité du compost.

De la même façon, il reste essentiel de poursuivre les accompagnements individuels des entrepreneurs, mais également d’améliorer les interactions entre chaque type d’acteurs pour que le tout soit plus que la somme des parties. La Fabrique des Mobilités se voit comme un dispositif apprenant (car rien ne peut être fait sur ce sujet en étant à l’arrêt), invitant les acteurs volontaires à exploiter, transformer la Fabrique et se transformer. La Fabrique œuvre pour accompagner au mieux chaque acteur individuellement tout en augmentant les synergies et les richesses produites par l’interaction de chaque acteur en veillant à prendre soin du tout, par la transparence et la neutralité. Les actifs ouverts, les communs, jouent alors un rôle clé à plusieurs niveaux :

  • Chaque actif ouvert proposé matérialise un engagement clair d’un acteur. Il rend visible une volonté pour se transformer et contribuer au tout,
  • L’actif oblige l’acteur qui l’apporte à le documenter, à abaisser toutes les barrières qui viendraient limiter son intérêt et son exploitation. Ceci est directement bénéfique déjà en interne de l’entreprise puisque d’autres B.U. pourront mieux l’utiliser (relire l’histoire d’Amazon Web Service),
  • L’actif peut ensuite se placer en position de séduction vis-à-vis de l’écosystème, offrant à l’acteur une place inédite et une visibilité à l’échelle des marchés visés : l’Europe,
  • Puis si l’actif est séduisant et utile, il permet de coordonner, sans aucune structure hiérarchique, une multitude d’acteurs qui se voit progresser à travers l’évolution de l’actif. Il devient un objet lien d’une communauté d’intérêt. Cette communauté est alors en situation d’holoptisme car chaque personne impliquée (et formée) voit et comprend les bénéfices de son action sur l’objet lien et s’auto-ajuste directement. Aucune structure pyramidale (entreprise) ne peut faire cela.
  • L’actif progresse par l’action de la communauté, délivre potentiellement de nouvelles fonctions ou solutions, et inspire l’écosystème entier. La valeur ajoutée touche l’acteur principal, tous les contributeurs individuellement et l’écosystème lui-même.

Imaginons maintenant que l’écosystème ouvre et produise de plus en plus d’objets liens, ouverts et bien documentés, les personnes se coordonnent, apportent leur expertise et progressent dans leur compétence collective. Les objets liens s’améliorent à mesure qu’ils sont exploités et une multitude solution émerge. Les organisations deviennent plus attentives aux signaux faibles, elles manipulent plusieurs richesses selon les types d’échange.

La Fabrique esquisse ici les premiers flux de richesses identifiés entre deux acteurs (voir le wiki). Les flux entre trois acteurs et au-delà sont difficiles à conceptualiser et des premiers éléments peuvent être décrits dans certaines communautés comme celle du covoiturage quotidien où plus de cinq startups, pourtant en compétition, se coordonnent pour produire une nouvelle ressource ouverte, mutualisée, utile et non compétitive. Nous explorons, comme d’autres comme l’Economie de la Fonctionnalité et de la Coopération, l’âge des écosystèmes conscients.

Conscients d’être compétents dans certains domaines, mais fragiles seuls, d’être capable de changer rapidement sans planification, d’être liés les uns des autres mais sans dépendance, conscients que la compétition limite les schémas de coopération possibles, les façons de créer ensemble donc les innovations, conscients que chacun doit cultiver de nouvelles compétences pour maximiser les bénéfices collectifs (reliance, ouverture, écoute, bienveillance, empathie…) tout en apportant ses talents, la Fabrique apporte sa contribution modeste à cette évolution majeure et vous aide à allouer un peu plus de temps à l’écosystème.

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