Jusqu’à présent, les industries conçevaient des produits, pour les vendre à des clients qui les achetaient. Tout ceci est basé sur deux hypothèses : l’industriel est connecté à ces futurs clients, le lien, et plus important, quand l’industriel s’adresse à ces clients potentiels, ces derniers l’écoutent, l’attention. Après la révolution numérique le client est devenu en même temps la source d’énergie pour recevoir les bonnes informations permettant de concevoir et faire évoluer les offres, et la cible à qui on s’adresse. Il est donc essentiel dès le début et même en amont et non plus uniquement à la fin. Or dans le monde du transport, quasiment tous les acteurs historiques n’ont ni le lien ni l’attention.
Les opérateurs de transports publics, n’ont pas de lien « riche » avec les utilisateurs finaux, et en général, leurs premiers clients sont les autorités organisatrices. Les collectivités non plus n’ont pas de lien avec les citoyens même si elles pensent avoir autorité (lire cet article de 2009). Tous les constructeurs, sauf Tesla, n’ont pas, non plus, de lien « riche » avec les citoyens en mobilité, ni même avec leur client aujourd’hui qu’ils connaissent peu. Les énergéticiens non plus ne sont pas reliés à leurs clients. Il s’agit ici de pouvoir s’adresser à une personne et que la personne y prête vraiment attention. On parle d’ailleurs de l’économie de l’attention.
Il en ressort qu’il est aujourd’hui indispensable de penser le destin de nos économies en termes d’attention – mais qu’il serait calamiteux de laisser les seules logiques capitalistes reconfigurer nos régimes attentionnels. Remède au productivisme forcené qui épuise nos ressources matérielles, ou symptôme de la colonisation qui soumet nos esprits à l’emprise du capital ? L’économie de l’attention ne se situe pas seulement au carrefour des disciplines : elle est surtout au carrefour des chemins où se tracera notre avenir. Yves Citton, l’économie de l’attention
Facebook, YouTube ou Pokemon Go ont pris plusieurs dizaines de minutes par jour d’attention à la télé et d’autres jeux. Les GAFA et NATU en général ont réussi à capter l’attention, Nous les écoutons. Ces applications et les services associés font alors partis des rares applications vraiment utilisées. Leurs plateformes ont permis de créer une énorme quantité d’app mais très peu sont vraiment utilisées.
Quel que soit l’acteur qui souhaite proposer à terme une offre de mobilité, il faudra d’abord être audible par la multitude. Et il n’est pas possible de construire cette relation à la fin, après avoir conçu quelque service que ce soit, puisque ce sera cette relation dans sa profondeur et sa qualité qui vous permettra de nouer un lien avec les futurs clients. Ce n’est pas du marketing ou de la communication, cela doit devenir l’essence même de votre activité. Et cela prends du temps… L’exemple de Pokemon Go est intéressant (lire Après Pokemon Go). C’est un travail commencé avec Google Maps, puis Ingress (identifié en 2012 sur ce blog : ) lire l’article), s’appuyant sur les personnages de Pokémon créés il y a plus de 10 ans.
Dans cette bataille, il devient nécessaire de préparer le terrain en amont, de construire un dispositif relationnel structurant le lien et l’attention. Cela revient à chercher à enrober les personnes en permanence pas uniquement dans le transport, avec une sorte d’assistant personnel dans un ou plusieurs domaines. Les bots, les robots type Alexa ou Allo, n’ont pas d’autres objectifs : être connectés à vous en permanence, garder le lien et avoir votre attention. Après l’assistant personnel de mobilité, vient l‘assistant personnel de consommation, puis l’assistant tout court.
Ce lien avec la multitude est à la fois l’objectif (les clients) et le carburant (les données) ; il caractérise et différencie les entreprises numériques des entreprises fordistes (lire la transition numérique au cœur des territoires). Or l’attention est fixée à quelques heures par jour, si on veut en avoir, il faut la prendre à un autre acteur. C’est un jeu à somme nulle.
Quelles solutions ? on continue à penser par les apps ?
Peut-on commencer par qualifier les liens avec la multitude en matière qualitatif et quantitatif : par exemple, waze, BlaBlaCar, Uber/Lyft, Google (Maps, Agenda, …), Tesla ont des liens bidirectionnels; Tomtom ou Coyote, les Telcos et certains constructeurs sur quelques modèles (DS pour Citroen par exemple) dans une moindre mesure avec des liens essentiellement monodirectionnels.
Comment devenir la nouvelle appli sur l’écran central, celles qui sont utilisées – connectée à l’agenda ? La “gamification” des apps dans le domaine des transports se développent même si aucune n’a réussi le tour de force de Pokemon. Par le jeu, un lien faible commence à s’établir. Si le jeu est viral, la relation se renforce. Le département américain US DOT a fait un état des lieux de la gamification des apps de transport (lire cet article de Cityway sur le sujet).
Ne faut-il pas passer par les apps majeures avec par exemple un partenariat avec Niantic Lab, GMap ou Deezer (lire La Fiction N°12, Moovel réinvente les transports publics) ?
Ou investir dans le Post app era envisagé par Gartner ? Dans ce scénario, des algorithmes de base s’assemblent en fonction des besoins pour créer des fonctions sur-mesure. Les bots gèrent directement le besoin à partir d’une compréhension de l’environnement (agenda, position, capteurs, …) et construisent des solutions ad-hoc (voir la présentation de Frederic Cavazza sur le sujet).
By 2020, smart agents will facilitate 40 percent of mobile interactions, and the post-app era will begin to dominate.
Again we see the emergence of the “virtual private assistant” and other learning algorithms that will help us navigate in the post-app world. No longer will you have to load a specific application. The algorithms on the systems that you touch will understand your needs and serve you the correct data in context. Post era app, Gartner
Mais le sujet du lien et de l’attention reste entier. Pour être capable de placer un chatbot au plus près de vos clients, cela nécessite une relation permanente, un certain niveau de confiance, une capacité à faire progresser sans cesse le service proposé. Il ne faut en aucun cas attendre d’avoir produit un nouveau service pour s’y engager, mais plutôt commencer dès maintenant, en nouant un partenariat avec un acteur éloigné du transport, en gamifiant une partie de la relation.
Les principales innovations pourraient porter sur :
- des outils de compréhension pour que la multitude visualise les gains individuels et les gains collectifs (notion d’holoptisme), et comprennent les risques, pour mieux se projeter et changer de pratiques ;
- des incitatifs au changement, simples et puissants, compréhensibles, utilisant les nouveaux systèmes monétaires dématérialisés ;
- les protocoles proprement dits, permettant pour tous les acteurs de quantifier, comprendre l’impact d’une solution de mobilité.