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En finir avec la technique [1/2]

par Gabriel Plassat

Damned. Nous avons perdu la bataille de l’innovation technologique. La valley aspire à elle les capitaux, les esprits. Elle permet de lancer des défis d’un ou plusieurs ordres de grandeurs supérieurs à ceux portés en Europe : navette spatiale, voiture électrique, Green énergie, Smart City, exploration de Mars, Intelligence Artificielle dans tous les objets, et même Immortalité. Nous sommes donc condamnés à penser autrement le progrès. Il n’est même plus nécessaire de rappeler que chaque technique amène avec elle son pharmacone, à la fois drogue et remède du mal qu’elle est censée résoudre.

D’autres formes d’innovations sont à l’oeuvre aujourd’hui, moins visibles, plus complexes, plus lentes. L’Europe et le France n’ont d’autres voies de les rendre possible à travers de nouveaux projets, de cultiver autrement le goût du risque. La technique sera toujours présente, simplement remise à sa place. Les innovations dites sociales se caractérisent par une grande “fragilité”, si vous voulez qu’elle arrive ou se développe, elle disparait. C’est d’une permaculture de nos talents, de la création d’un terreau dont nous avons besoin pour rendre cela possible. Et cela passe par un questionnement profond du travail, de l’emploi, du temps libre, de son temps à soi et des visions partagées de mythes collectifs.

La très sérieuse France Stratégie nous explique dans un projet en cours que “Les mutations du travail s’accélèrent. Les parcours professionnels sont davantage heurtés, assortis de changements de statut, d’épisodes de chômage et de pluriactivité récurrents, les contrats courts dominent l’embauche. Parallèlement s’observent un certain renouveau du travail indépendant et, depuis peu, l’émergence des plateformes numériques qui conduisent à une diversification des formes d’emploi. Une transformation de la nature même de l’entreprise et du travail se profile. Ces mutations fragilisent certains salariés demandeurs de stabilité,mais elles rencontrent aussi les aspirations d’actifs en quête d’autonomie. Jusqu’où ce mouvement se poursuivra-t-il ? L’ampleur que prendra ce phénomène dans les années à venir est encore incertaine, mais le potentiel des plateformes est considérable et porteur de transformations profondes.” [Nouvelle forme du travail et de la protection des actifs]

Non seulement la Silicon Valley catalyse les innovations technologiques mais elle permet à chaque cycle d’intégrer très vite le précédent. Nous « découvrons » à peine la puissance de l’économie des plateformes, qu’Andy Rubin fait le pari de « plateformiser » l’IA dans tous les objets, inventant une forme d’accélérateurs produisant des industries et des objets, les futurs standards de l’IA et une nouvelle vague de domination. De tout cela, nous observons une sacralisation de la technique « qui va tout résoudre » et une robotisation s’insérant dans toutes les actions et les emplois. Or ces deux phénomènes peuvent permettre aux pays « en retard » de prendre une autre voie, celle des innovations sociales. Et si les robots nous offraient le luxe de nous centrer sur l’humain ?

Pour Bernard Stiegler, l’emploi va disparaître notamment par la robotisation. L’automatisation dépossède la personne des savoirs qui sont alors intègrés et figés dans les logiciels. Le travail, lui, reste non seulement possible mais nécessaire. Le Travail, pour B.Stiegler, permet de créer, d’ouvrir quelque chose de nouveau, de se diversifier. La fin de l’emploi va nous permettre de réinventer le travail pour nous individuer autour de 3 savoirs :  faire, vivre et formel. Pour Stiegler, le logiciel libre a ouvert une autre conception du travail dont le salaire n’est pas la motivation principale mais celle de developper des savoirs. (audio à écouter/ télécharger – 55 min).

Par ailleurs, les évolutions des écosystèmes naturelles et de notre environnement en général montrent que le systeme actuel ne peut pas être solvable car il repose sur la négation du soin, au sens de “travail soigné”. La fin de l’emploi nous permet alors de remettre au centre le soin par le travail. Pour B.stiegler, le travail se caractérise par un haut niveau d’automatisation mais surtout par la capacité de désautomatisation, c’est à dire l’improvisation. La capacité à ne plus suivre, à faire autrement, donc à s’individuer. Il n’est plus nécessaire d’être compétitif par rapport à un autre, il suffit d’être différent et “suffisament bon” dans un domaine au sens de l’inventivité, de l’art, pour faire ou inspirer les autres.

La fin de l’emploi pose bien sûr le problème de la redistribution des “richesses”. Or comment redistribuer quelque chose si l’emploi disparaît. Ou encore « Comment soutenir une economie du travail qui ne repose plus sur l’emploi ? ».  La meilleure piste pour Stiegler vient du modèle des intermittents du spectacle, du logiciel libre et d’une économie basée sur la contribution qui ne se base plus sur les mêmes critères pour mesurer la “croissance. Nous retrouvons ici dans l’intérêt des plateformes contributives et des communs.

Dans cette hypothèse, comment garantir à tous de telles capacités ? Et si en nous allégeant d’objectifs de productivité portés désormais par les robots, nous développions en conséquence de nouvelles façons de faire ensemble, et faisions émerger de nouvelles capacités d’individuation ?

Un second article explorera le salariat et des pistes pour commencer « tout de suite, maintenant ».

2 commentaires

QUEFFELEC 8 avril 2016 - 8 h 09 min

« Et si les robots nous offraient le luxe de nous centrer sur l’humain ? » Pourquoi les robots parviendraient à nous centrer sur l’humain ? Peut-être si leur efficience matérialise la limite, la frontière ,avec ce qui n’est , et ne sera jamais digitalisable. Qu’avons nous dans notre humanité qui n’est pas réductible à une fonctionnalité robotique ? Qu’est ce qui n’est pas reproductible d’un être humain à un autre ? Au travail , tout ce qui peut être reproduit par un autre, peut dont un jour être produit par un robot. Définir sont identité par un travail demain exécutable par un autre ou un robot c’est s’exposer à la perdre. Définir aujourd’hui la destination de son chemin d’individuation est la seule voie de salut face à la machine . Nous découvrons que se définir par notre utilité au travail, ne nous protègera pas de la perte de sens, car demain ce que nous pensions faire de façon unique et personnelle n’est que l’exécution d’une tâche numérisable. La puissance technologique va nous révéler que nous ne sommes pas réductible à la simple production d’une tache utile. l’idéologie du bien-être est au service des robots qui nous annonce des lendemains qui chantent. Un bon robot est robot qui nous assurera sans travail, le confort, « la nourriture et le vêtement…. » Et si les robots nous faisaient découvrir « que ne vivons pas seulement de pain » ?

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Decap 10 mai 2016 - 7 h 51 min

Ce qui nous différencie des robots est que nous sommes des personnes. Nous pouvons dire « je » et « tu » et établir des relations libres de don. L’amour est donc ce qui nous fait humain. Chaque être humain est but en soi et non pas moyen (de production, …). La valeur d’un être humain ne se mesure pas (à sa capacité de produire, d’avoir, de pouvoir), sa dignité est infinie par le seul fait d’être humain capable de don.

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