Accueil Quand « l’expérience de mobilité » devient une attraction touristique : un vecteur de changement des comportements ?

Quand « l’expérience de mobilité » devient une attraction touristique : un vecteur de changement des comportements ?

par Fanny DUFOUR

Cet article a été rédigé par Fanny Dufour, docteur en psychologie sociale, dans le cadre du projet BMA.

Combiner tourisme éco-responsable et mobilité multimodale (train + véhicule électrique), c’est le challenge que nous avons choisit de relever dans Bretagne Mobilité Augmentée. Notre projet débuté en 2013 partait d’un constat simple : le parc animalier et botanique de Branféré, labellisé GreenGlobe, attire dans le Morbihan plus de 200 000 visiteurs par an. Pour y accéder, la voiture est le mode de transport incontournable ; les visiteurs, majoritairement régionaux, produisent ainsi 2 270 tonnes de CO2 à l’année !

A la recherche d’une alternative, acteurs du tourisme et de la mobilité ont co-construit un séjour touristique où la voiture personnelle resterait au garage… Un week-end incluant une offre d’hébergement sur le Pays de Redon, rendu possible par un déplacement multimodal en train et en véhicule électrique. La cible toute choisie pour ce package appelé « Contact Nature » : les urbains, rennais dans un premier temps, et parisiens dans un second grâce à l’arrivée très prochaine de la LGV.

Mais comment délaisser la convenance et l’autonomie de sa voiture pour préférer des modes plus éco-responsables, certes, mais potentiellement plus lents et moins pratiques ? L’argumentaire « regagner du temps utile, du temps en famille » a été appuyé par la conception de services associés : de la location de la poussette ou du siège-bébé, aux jeux pour les enfants dans le train. Tout est prévu ! L’expérience Contact Nature commence dès la réception de la confirmation du voyage, pour durer bien après le week-end. Un « poster pédagogique » avec photos souvenir personnalisées, explique les gains de bruits, d’émissions de CO2, de temps en famille… par rapport aux mêmes déplacements en voiture particulière.

L’expérimentation du week-end Contact Nature

La Semaine Européenne de la Mobilité a été l’occasion de tester ce séjour avec la participation de 4 familles rennaises. Leur objectif était d’expérimenter, de réagir en temps réel puis lors d’un débrief formel, et de proposer des pistes d’amélioration. Les partenaires du projet observaient et suivaient les déplacements avec des véhicules hybrides.

Le programme des 20 et 21 septembre 2014 :

  • 10h31 : départ en train de la gare de Rennes. Retrait des « packs » ContactNature (incluant les billets, les jeux, les informations utiles) à l’accueil de la gare.
  • 11h07 : arrivée en gare de Redon et récupération des voitures électriques : modèle Renault Zoé et F-City de France Craft, clés remises par le chef de gare.
  • Après-midi : visite de Branféré, déjeuner sur place.
  • Soirée : en chambre et table d’hôte chez l’Hôt’Berge à La Chapelle de Brain. Petit-déjeuner compris.
  • Dimanche : journée libre dans le Pays de Redon avec possibilité de participer aux « Défis de l’Oust » (piscine, location de vélos et carrioles, acrobranche, balades sur parcours fléchés).
  • 16h : débriefing formel du séjour.
  • 18h : retour des voitures électriques à la gare de Redon et départ pour Rennes en train.

Des résultats prometteurs pour les véhicules électriques

Avant le test, s’appuyant sur des retours de visiteurs actuels et potentiels, nous faisions l’hypothèse suivante : la mobilité multimodale est un moyen de déplacement qu’il faut « augmenter » par des services, des jeux… pour les mettre en concurrence de la voiture personnelle. Or, cette mobilité est devenue une fin en soi : la Zoé et la F-City ont été perçues comme une attraction touristique au même titre que la visite de Branféré !

C’est à l’inverse des résultats de la mobilité quotidienne (pour aller à son travail par exemple) :

Zoe devant Gare RedonLe train : 36 min de train, pour rejoindre son travail, c’est déjà très long… Pour une expérience multimodale dans ce contexte touristique, c’est trop court. Le temps d’installer les enfants, hop, il est déjà l’heure de partir, sans vraiment avoir pris le temps pour jouer ensemble, préparer ses visites…

Le véhicule électrique (VE) : pas de craintes sur l’autonomie ! Comme nous proposions un circuit, les familles se sont immédiatement senties rassurées. « Si c’est le séjour imaginé, il y a forcément suffisamment d’énergie et des points de charges prévus » : un frein levé. Les enfants s’en emparent, ils prennent le temps de « jouer avec », c’est même eux qui indiquent aux parents comment le brancher… : pédagogie, activité ludique en famille. « Dans cette condition, le VE ne présente pas de difficultés techniques insurmontables… » : un autre frein levé. C’est silencieux, on en profite pour apprécier les paysages, les familles nous parlent de « slow tourisme », de se déplacer à une autre vitesse. Le silence est un atout et non un provocateur potentiel d’accidents : une idée reçue balayée.

 

Hippolyte 11 ans recharge FCityEt surtout, la relative autonomie devient un élément pour définir les activités touristiques. Elle en devient le point de départ pour organiser ses plaisirs, ses découvertes. Les expérimentateurs s’interrogent : pourrait-on imaginer une app sur mobile ou dans le GPS du véhicule qui indiquerait les sites remarquables dans la zone d’autonomie du véhicule ? Dans nos activités quotidiennes, c’est plutôt l’inverse : je dois aller là, est-ce que l’autonomie du véhicule électrique me le permet, oui ou non.

 

Est-ce qu’une telle expérience d’un séjour combinant mobilité & tourisme, permet de changer les comportements quotidiens ?

Difficile à dire, ou à prédire… Tentons déjà de comprendre : Rabardel en 1995 propose le modèle de la genèse instrumentale autour du processus d’instrumentation et d’instrumentalisation, qui pourrait permettre d’expliquer ce que nous avons observé pendant Contact Nature. En synthèse, l’appropriation d’un nouvel o
util, sa banalisation et son usage au quotidien, dépend de ce double processus :

  • l’instrumentalisation, quand l’usager modifie et transforme l’outil comme il le souhaite,
  • l’instrumentation, quand l’usager apprend, évolue lui-même, grâce à l’usage de l’outil.

Dans nos activités quotidiennes, le véhicule électrique est vu par les individus comme un « simple » moyen de mobilité. Il a été conçu par des ingénieurs, avec des possibilités et des limites technologiques, il est le résultat de leur rationalité : types d’usages, autonomie, coûts, services associés… L’individu a lui-même sa propre rationalité, qui n’est probablement pas en totale adéquation avec celle des concepteurs du VE : on parle souvent de « peur du changement », alors qu’en fait, ce sont ces deux rationalités qui ne se rencontrent pas, ne se comprennent pas (Bernoux et Gagnon, 2008). Dans ce contexte, il y a peu de place au développement d’un processus d’instrumentalisation / instrumentation, vu le nombre de freins et de contraintes exprimées à l’encontre des VE.

Dans un séjour comme Contact Nature, on observe que le VE devient une partie intégrante de l’activité touristique. C’est le phénomène d’instrumentalisation / instrumentation, quand l’activité vient impacter la conception des fonctionnalités de l’outil (ici, du VE). Pendant le temps de l’expérimentation, les familles s’emparent et projettent sur le VE leur propre rationalité. Il n’est plus un « simple » outil pour se déplacer, il est détourné, il a des propriétés nouvelles (le GPS du VE comme « office de tourisme » par exemple). On l’apprécie, on le personnifie, on apprend grâce à lui… bref, on l’aime !

Alors, est-ce que cela est suffisant pour faire évoluer nos routines quotidiennes et nos appréhensions ? Est-ce que ce type de séjour est un bon levier pour faire changer les comportements ? Pierre Rabardel indique qu’il faut aussi tenir compte de la situation dans laquelle on se trouve. Comprendre et favoriser l’appropriation d’un système, c’est réfléchir à la combinaison d’un individu, d’une activité à réaliser, d’un outil, et d’une situation donnée. Il n’est donc pas systématique que les attitudes positives et les fonctionnalités ainsi attribuées au véhicule électrique dans une situation touristique, pourront être mobilisées dans une autre situation, quotidienne, professionnelle. Mais cela donne matière à innover…

Dans tous les cas, ce que nous pouvons retenir de ce retour d’expérience, de façon certaine, ce sont les 2 points suivants :

  1. Il existe un marché pour « le tourisme de la mobilité électrique ». Ainsi que pour celui de la multimodalité avec un trajet en train de plus de 30min. Le VE est une attraction en soi, qui s’intègre bien dans une dynamique de « slow tourisme », de « tourisme nature et responsable ».
  2. Le principe de l’expérimentation et de la co-construction avec les utilisateurs fait encore ses preuves. Nous avons challengé nos hypothèses, à partir d’indicateurs et de données qualitatives produites sur le terrain, nous avons appris… L’interaction entre tous les acteurs, pluridisciplinaires (tourisme, transport…) et les « futurs clients », a été très productive.

 

 

Les partenaires fondateurs de Contact Nature : IDDIL, BMA, Branféré, la CCI Bretagne, la Maison du tourisme du Pays de Redon, la MEDEFI, L’Hôt’Berge, la SNCF Bretagne, Renault, France Craft, Europcar, le Pays de Redon, la Communauté de Communes de La Gacilly et l’Agence Grrr.

Références : Rabardel, P. (1995). Les hommes et les technologies : approche cognitive des instruments contemporains. Paris : Armand Colin.
Bernoux P. et Gagnon Y-C. (2008). Une nouvelle voie pour réussir les changements technologiques : la co-construction,
La Revue des Sciences de Gestion, 2008/5 n°233, p. 51-58.

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