Accueil Toyota versus Google ou le dilemme de l'innovateur

Toyota versus Google ou le dilemme de l'innovateur

par Gabriel Plassat

Cette vidéo identifiée par François Bellanger concentre les principaux messages du combat qui s'engage :

  • Le plaisir de conduire n'est pas mort. Nous, constructeurs automobiles, sommes les garants de cette liberté et vous proposerons toujours des produits "à haut plaisir de conduite".
  • La voiture autonome n'est qu'un robot, sans saveur. Après avoir essayé, vous reviendrez vite à l'original.

Récemment, Toyota a confirmé cette scission. "Nous ne ferons pas de voiture autonome, mais utiliserons les technologies issues de la robotique pour améliorer la sécurité. Il y aura toujours un conducteur derrière le volant".

En fait, Toyota  pourrait rassembler dans son sillage tous les constructeurs généralistes. Car aucun constructeur généraliste n'a intérêt à voir arriver des voitures autonomes, qui roulent seules, qui fonctionnent en hybridant le transport individuel et le transport collectif. Pour les constructeurs généralistes, la voiture autonome est probablement le pire des concurrents. C'est un pur "barbare" au sens de Colin-Verdier, qui n'aura pas les mêmes modèles d'affaires, pas les mêmes relations avec les clients, finalement qui n'utilise pas les mêmes "règles du jeu". La voiture autonome va détruire 100 ans de marketing automobile en supprimant l'image d'une relation fusionnelle entre l'humain et la machine. Le nouveau support de communication sera le niveau de service dont vous bénéficiez : du low cost avec des km gratuits au premium avec une disponibilité instantanée du robot. Il n'y a pas loin à imaginer les Uber pour opérer ces cohortes de robot (lire cette fiction en 2040 à Bruxelles).

Pour Google, l'objectif est clair : "We now have a race for who's going to build the software and services platform that operates driverless cars." (lire également la MétaNote N°20, La voiture autonome ou la Chimère).

Le Dilemme de l'innovateur

Pour les constructeurs haut de gamme, ce n'est déjà plus une option. La robotisation est déjà engagée et elle se poursuivra, tractée par la demande ininterrompue des clients. Et comme l'indiquait M.Christensen, dans le dilemme de l'innovateur (lire sur ce sujet l'excellent Digest de Philippe Silberzahn), c'est cette "surabondance" entre le produit existant obtenu par la demande et le besoin réel des consommateurs qui ouvre une place pour de nouveaux entrants. Les constructeurs haut de gamme, tractés par la demande "inutile" des clients pour avoir des voitures automatisées et luxueuses, vont permettre aux technologies de se diffuser et aux coûts de se réduire. Cette "disponibilité technologique" permet alors à d'autres acteurs comme Google ou encore Tesla, de changer radicalement de modèle d'affaire tout en utilisant les mêmes technologies et en produisant à peu près les mêmes véhicules. Même objet mais une tout autre relation client et un tout autre modèle d'affaire, une innovation de rupture.

Il y aura toujours des acheteurs traditionnels d'automobile haut de gamme, demandeur d'une mobilité indépendante et robotisée. Mais l'érosion par les services de mobilité réalisés par les mêmes technologies pourrait être massive et terrible pour les constructeurs généralistes. Voilà pourquoi Toyota se déclare dès maintenant en opposition aux voitures autonomes. La menace est comprise, la réaction à priori logique.

Mais Christensen nous explique que c'est déjà trop tard, l'écart ouvert pour la surabondance technologique va, dans tous les cas, générer des ruptures. Comme Kodak, Toyota va travailler sur la voiture robotisée pour améliorer la sécurité, déposer des brevets et poursuivre car le confort du modèle d'affaire historique est trop grand. Tout est planifiable, les profits générés et les risques bien connus. Les ingénieurs vont néanmoins alerter les comités de direction des risques d'une automatisation complète, mais ils ne pourront pas répondre aux 2 questions clés, là où se joue précisement le dilemme de l'innovateur :

  • comment Toyota pourra se positionner et gagner de l'argent ? question sous-jacente : comment doit-on allouer nos ressources (humaines et financières) entre un modèle d'affaire connu qui continue à fonctionner et un modèle d'affaire inconnu et risqué ?
  • Mais quel est le planning et les volumes ? vous nous aviez annoncé cela l'année dernière et toujours rien …

Comme Kodak, ces 2 questions sans réponse permettront de repousser les décisions aux mois suivants, à l'année suivante. Et puis ce sera trop tard, le marché de niche, risqué, basé sur de nouveaux modèles d'affaires, de nouveaux réseaux de distribution, aura atteint un seuil. Tiré par des marchés mondiaux demandeurs de cette innovation, il bouleverse les acteurs historiques en quelques années (lire l'article Imaginez un monde dans lequel plus personne ne possède de voiture).

Comme nous le rappelle Philippe Silberzahn : "L’exemple de Kodak montre donc qu’une entreprise meurt non pas d’avoir ignoré une innovation de rupture (c’est rarement le cas) mais d’avoir été empêchée d’agir pour la développer, malgré sa bonne volonté et la conscience du danger, en raison même du succès de son activité dominante. L’échec de l’innovation de rupture résulte donc d’un conflit de modèle d’affaire entre l’ancien et le nouveau. L’entreprise est prisonnière de son modèle d’affaire."

Après avoir fondé Lexus, il se pourrait que Toyota crée, ex-nihilo, une nouvelle entité (lire Ha:Mo). Rattachée à la direction executive, alimentée par des budgets issus de l'activité traditionnelle, elle pourra exploiter le formidable potentiel technologique, pour créer de nouveaux services de mobilités. Cette entité ne sera pas obligé de reproduire les processus, les règles d'allocation de ressources de Toyota, elle devra être libre d'adapter son intelligence collective à ce nouveau défi.

 

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