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De l’hyperempire à l’hyperdémocratie

par Gabriel Plassat

Vous pouvez critiquer les technologies numériques. Elles consomment énergies, matières premières, sont à la mode, donc « périssables ». Elles peuvent nous isoler, nous surveiller, et finalement réduire notre capacité à « faire société ». Pour certains, il est encore question de savoir elles sont « bien ou mal ». Comme si quelqu'un pouvait faire machine arrière, remettre le dentifrice dans le tube. Elles étaient parmi nous, elles sont désormais en nous.

Elles forgent notre perception du monde (lire la MétaNote N°17 La révolution numérique). Elles sont d'une puissance inédite dans l'histoire de l'humanité, pour le meilleur et pour le pire. Il s'agit maintenant de les utiliser du mieux possible, d'exploiter leurs multiples capacités pour mieux comprendre nos problèmes complexes, pour augmenter notre créativité, pour inventer de nouvelles formes d’intelligence collective. Ce n'est pas un hasard si Code For America travaille pour développer un écosystème pour stimuler les innovations civiques, ou plus près, qu'une coopérative intégrale à Toulouse étudie des technologies de partage et de paiement numériques pour mieux échanger toutes nos richesses (lire l'articlen Quelles sont vos vraies richesses ?).

DATA+CURATION+STORYTELLING

Maintenant qu'elles sont massivement utilisées et distribuées, ces techniques engendrent de nouveaux métiers, de nouveaux concepts, de nouvelles représentations du monde et de nous-mêmes (Lire l'article sur le livre l'être et l'écran). L'orateur avait la capacité de décrire des situations, d'engager, de faire comprendre. Puis l'écrivain, et notamment le romancier, réussit à partager des histoires, des univers entiers, et donc des concepts, des théories et des idéologies. Aujourd'hui, de nouveaux métiers s'expérimentent, et bien sûr nous manquons de mot pour en parler. S'appuyant sur la data-visualisation, la gamification, la curation de connaissances, et le storytelling, des pionniers jettent les bases d'une nouvelle forme de narration qu'ils testent et développent en même temps. Ces méta-techniques permettent de rendre compte de problèmes complexes à des collectifs, de les mettre en forme, de les partager, de mieux en parler ensemble, et surtout, elles engendrent intrinsèquement le passage à l’action. 

Il s'agit des bases nécessaires pour innover véritablement, pour imaginer ce qui n'existe pas. Pour fédérer des collectifs dans la création et non plus dans la réaction à des problèmes.

Utilisés pour accompagner la mutation d'écosystème (lire l'article Les nouveaux systèmes d'innovations collectives), ces méta-techniques, et les guides pour les utiliser, sont en version béta. Ils le resteront probablement encore longtemps car ils dépendent à la fois des pionniers qui les développent mais également des écosystèmes dans lesquels ces méta-techniques sont mises en œuvre. Il n'est pas possible de designer ces méta-techniques « une bonne fois pour toutes ».

Notre perception de nous-même évolue

La vitesse d'évolution de ces outils numériques et leur dissémination rapide vers des non-experts, dépasse notre capacité à comprendre les évolutions « structurelles » de notre espèce, au sens de Michel Serres (écouter la vidéo de cette conférence L'innovation et le numérique). Notre compréhension du monde évolue moins vite que les techniques qui modifient notre compréhension du monde, nous laissant désemparés, voire terrifiés. Cette instabilité est maintenant la référence stable sur laquelle nous pouvons compter. Or nous ne sommes pas formés pour penser en réseaux, nous ne sommes pas organisés pour agir dans l'incertitude permanente. La complexité nous perturbe, alors qu'elle se diffuse partout, dans tous les domaines. Nous sommes baignés par le chaos.

Par contre, ceux qui maîtrisent ces techniques numériques apprennent plus vite, innovent plus vite, s'équipent de méta-techniques leur permettant de penser plus vite, d'apprendre à apprendre plus vite, de développer de nouvelles méta-techniques plus puissantes. Ces réseaux fonctionnent parfaitement dans des environnements complexes instables. Comme les machines, ils itèrent en permanence, se re-configurent, sont capables d'identifier les influençeurs et de se relier à eux. Pour eux, le chaos est bienveillant.

Le baron de Münchhausen

Puissance. Richesse(s). Résilience(s). Empathie. Reliance. Les mêmes techniques créeront progressivement des groupes dominants (Hyperempire au sens de J.Attali dans une brève histoire de l'avenir) et/ou des groupes inspirants (hyperdémocratie). Le philosophe Jean-Pierre Dupuy dans ses livres sur le sacré et les catastrophes décrit, en détail, ce paradoxe (lire l'article sur le catastrophisme éclairé). Il faut prendre très au sérieux les conséquences d’un contrôle central de ces techniques conduisant à l’hyperempire, et analyser en détail les évènements actuels le préfigurant. Dans le domaine des transports, voilà le scénario qu'il faut éviter, et pour cela, il faut être sûr qu'il va se réaliser.

Il s’agit de réussir à projeter une image de l’avenir inspirante grâce à une narration crédible et souhaitable, permettant de nous tracter hors de notre situation actuelle vers l’hyperdémocratie. Mais « Comment prophétiser un avenir dont on ne veut pas, afin qu’il ne se produise pas ? ». J.P.Dupuy nous indique que « l’humanité sait parfois faire cela, dans les moments glorieux de son histoire, mais aussi dans ses moments les plus tragiques. ». Les techniques modernes de narration pourraient nous permettre cette auto-transcendance.

Feel

 

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