Depuis 20 ans, le numérique s'insère partout et ce n'est que le début.
Que les industriels « historiques » le veuillent ou pas. De nouvelles industries, vieilles de quelques années, sont en train d'inventer de nouvelles règles, de nouvelles lois, de nouveaux modèles d'affaires. Elles n'ont pas les mêmes "pas de temps" d'innovations. Elles bousculent maintenant tous les secteurs et dégagent des profits colossaux. Elles conçoivent des produits et services qui modifient profondément nos modes de vies, qui s'insinuent au plus près de notre intimité. En utilisant massivement nos traces numériques, elles ont réussi ce que toute industrie a toujours rếvé : faire participer en continu les clients à la conception et la mise au point des produits ou services sans aucune rémunération. Amazon annonce que 40 % des ventes sont réalisées à partir des propositions du moteur numérique qui est lui-même alimentés à partir des commentaires, achats des clients eux-mêmes. Le numérique permet également d'inclure toutes les innovations externes si on est capable de les collecter, de les aspirer et d'une certaine façon de séduire. Quand on ajoute à cela, des progressions géométriques des capacités de calcul ou des baisses de prix, nous sommes bien en présence d'un changement tout à fait inédit qui va progressivement impliquer 7 milliards d'humains. Le livre l'âge de la multitude de MM.Colin et Verdier étudie particulièrement ce phénomène (voir mes notes et extraits).
La noosphère
Troisième évolution des modes de communication nous dit Michel Serres, après l'écriture puis l'imprimerie, le web nomade peut être également vu comme le prolongement naturel de nos facultés cérébrales individuelles. Certains esprits éclairés comme Teilhard de Chardin nous l'avait clairement indiqué dans le phénomène humain ou encore la place de l'Homme dans la nature. La singularité cognitive de notre espèce ne pouvait conduire qu'à cette nouvelle phase créant une sphère d'intelligence collective appelée Noosphère. Ce nouveau champ de recherche est déjà travaillé par plusieurs laboratoires à travers le monde.
Vieux de quelques dizaines d'années, nous ne sommes qu'à l'aube de ce changement en considérant des échelles de temps biologiques. La mise en relation de plusieurs milliards d'individus récemment outillés d'assistant numérique, d'un système central de connaissances partagées, et disposant de nouveaux « pouvoirs », conduit forcément à des chocs, des doutes, des peurs et bien sûr de formidables créations. Désormais, toutes les barrières à l'inventivité vont sauter une à une. Les structures « historiques » n'ont plus d'autres choix que de « surfer » sur ces vagues qui commencent à déferler, comme le propose Joel de Rosnay. Les nouvelles compétences clés deviennent alors : adaptation, écoute, ouverture, capacité à devenir une plate-forme pour créer à l'âge de la multitude.
Les plate-formes
Les entreprises Facebook, Google, Apple, Amazon sont toutes des plate-formes. Toutes différentes, mais toutes liées entre elles. Toutes ouvertes, mais protégeant leur cœur stratégique. Toutes basées sur des « design » sans cesse remis sur l'ouvrage pour tendre vers la perfection : devenir un rituel pour leur client. Toutes sacralisent la création de leur client pour mieux les intégrer dans les développements qui renforcent à leur tour la puissance d'innovations. Toutes mettent en œuvre plusieurs cercles vertueux : plus le client utilise la plate-forme, plus elle s'adapte à lui, plus son expérience se bonifie, et plus la plate-forme progresse. Toutes ont pris des positions stratégiques.
Et le secteur des transports ?
Il n'échappera pas à ces mutations. Tous les services de mobilité performants, les « nouveaux » concurrents des taxis ou encore les cybercars n'existent qu'à travers le numérique. Il s'agit là encore des premiers « tissages » entre véhicule-énergie-infrastructure et numérique, et déjà les résultats sont remarquables en terme de part de marché, de rentabilité des capitaux employés, de bénéfices individuels et collectifs. Imaginer seulement les services dans 3 ans, dans 30 ans !
La performance intrinsèque des techniques et l'intégration du numérique progresseront. La complexité des systèmes de mobilité augmentera : plus de véhicule, plus de mode, plus vite, tout le temps, partout, en temps réel. Et paradoxalement, la simplicité d'usage de ces systèmes augmentera pour les clients : auto analyse de l'ambiance, apprentissage des habitudes, proposition automatique des meilleurs solutions, paiement simplifié, récompense des meilleures pratiques, construction d'une identité numérique avec notation.
Les « data » créées et utilisées deviendront tout à la fois : source d'informations pour les usagers, traceur des usages réels et des préférences en fonction des contextes (songer à l'apport de l'internet des objets pour comprendre les contextes…), carburant des moteurs d'apprentissages permettant de prévoir et proposer, révélateur des externalités (dont les impacts environnementaux) et donc sans doute base de nouvelles taxes (voir les propositions de l'excellent rapport sur la fiscalité des industries numériques par MM.Colin & Collin). Plus l'acteur sera proche des données, des bases de connaissances, des moteurs d'apprentissage, plus il sera proche des clients donc de la valeur. (voir un précédent article sur la captation de la valeur par les logiciels). Les objets pourront, sous certaines conditions, captés encore la valeur, comme dans le cas d'Apple : écosystème complet objet-logiciel-contenu et obsession du design, marketing et rituel. Peu de constructeurs automobiles pourront, sur la durée, le faire.
Il n'existe pas, pour le moment, de plate-forme Mobilités. Google Mobility Service pourrait le devenir ou encore Amazon Energy Service. Dans tous les cas, celui qui réussira à enclencher les cercles décrits précédemment mettra peu de temps à avoir une position dominante.