La récente annonce du Groupe Renault-Nissan-Bajaj de développer et commercialiser un véhicule à moins de 2000 euros nécessite une prise de recul pour tenter d'en imaginer les conséquences.
Première pensée … Pharmakon (poison en grec) : il peut être aussi bien, selon le dosage et l'usage, remède ou poison. Ce thème est largement développé par la philosophe Isabelle Stengers. Les véhicules low-costs pourraient être, selon leurs usages et leurs quantités, une prodigieuse source d'innovation en matière de services de mobilité ou une déferlente de voiture pour les pays en voies de développement avec des conséquences en matière d'émissions de CO2 et de consommation d'énergie très différentes.
Ces choix devront être réalisés par la société entière en ré-apprenant les conséquences, en mettant en question les choix des industriels, en mettant en question nos comportements.
Comme pour TATA, BAJAJ-RENAULT cible d'abord le marché intérieur et doit permettre de capter une partie du trafic des deux roues, avec plusieurs conséquences :
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théoriquement réduire les accidents,
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réduire les émissions polluantes locales (NOx mais surtout HC et CO),
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à priori accroître les émissions de CO2, compte tenu des consommations annoncées de l'ordre de 5 l/100 km. Ceci dépendra du taux de remplissage des véhicules.
Le choix de Renault de collaboration avec Bajaj n'est pas nouveau et date de plusieurs années. Ce constructeur de Rickshaw est stratégique. Ce type de véhicule convient parfaitement à l'Inde, se développe en Afrique et pourrait bien conquérir l'Europe.
Ce transfert de mode, du deux roues vers l'automobile, cohérent avec l’augmentation du PIB est opposé à celui observé en France avec une augmentation de 30% de vente de deux roues (essentiellement chinois) en 2007, et une stabilisation voire un retrait des trafics de véhicules.
Sur la base des importations massives de deux roues en provenance de Chine, les véhicules à bas prix pourront à court terme pénétrer le marché Européen, sous réserve :
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De respecter les normes d’émissions polluantes Euro IV : Tata par exemple sait déjà faire des moteurs Euro IV et en commercialise, Bajaj vient d'annoncer le premier moteur 2 temps injection directe stratifié. Ceci n’est donc pas une barrière. Il faut rappeler que les constructeurs sous-traitant de plus en plus à des laboratoires, fournisseurs mondiaux les développements des moteurs, le savoir faire est déjà mondial sur ce sujet,
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De réduire leur consommation : actuellement annoncé à 5 l/100km, la Nano n’est pas performante sur ce point vis-à-vis des véhicules européens (les 107-C1 consomment entre 3 et 4 l/100km). Les conséquences sont détaillées ci-dessous, sachant que des progrès sont à attendre si Tata décide pénétrer le marché européen, mais avec des conséquences sur le prix technique du véhicule,
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De développer un réseau de distribution. C’est le point central détaillé ci-dessous. Compte tenu du prix de vente du véhicule (entre 2 et 5000 euros), le marché peut développer plusieurs « nouveaux concepts » de vente.
En cas d'exportation et vente à des particuliers, la cible visée est bien sûr les faibles revenus, mais pas seulement. Nous retrouvons pour la première fois dans les transports un produit moins cher qui consomme plus, situation classique pour d’autres secteurs comme le bâtiment ou l'électroménager. L’écart à l’achat (5 à 8000 euros) est compensé par l’écart du prix de l’énergie à partir d’au mieux 10 ans (sur la base de 15000 km/an, d’un écart de 2 l/100km, 1,5 €/l, soit 450 €/an). Le bonus/malus modifie à la marge le bilan, et on peut observer une augmentation de 50 gCO2/km, soit 750 kg/an. La maintenance du véhicule, et donc les réseaux de distribution, sera également profondément modifié, pouvant conduire au premier véhicule jetable ! Le réseau pourra être alors fortement réduit. Des ménages déjà motorisés (un ou plusieurs véhicules) peuvent décider une nouvelle acquisition, réduisant encore l’utilisation des transports en commun, marche ou vélo. En conclusion, ce type de véhicule présente de nombreux risques environnementaux, accroît la dépendance à la voiture et au pétrole, mais il présente une forte attractivité en réduisant l’investissement nécessaire. Ce type de problématique, nouvelle dans le secteur des transports, est classique dans les autres secteurs. La société devra collectivemment développer les outils pour refuser cette voie.
En cas d'exportation et vente à des professionnels pour commercialiser des services de mobilité, la ce type de véhicule à bas coût pourrait permettre de créer de nouveaux services dans certaines configurations (géographiques à faible densité notamment) grâce à leur faible demande d'investissement. Le couplage avec des TIC leur permettrait d'assurer des services de mobilités performants.
Les solutions techniques et industrielles peuvent, selon l'usage et les comportements développés par les citoyens, offrir, si on apprend à faire attention aux écarts possibles, de nouvelles solutions de mobilité pour tous.