<\/a>
<\/strong><\/p>\nExtrait d'Energie et \u00e9quit\u00e9 :<\/p>\n
Quand on \u00e9voque le plafond de vitesse \u00e0 ne pas d\u00e9passer, il faut revenir \u00e0 la distinction d\u00e9j\u00e0 faite entre le transit autog\u00e8ne et le transport motoris\u00e9 et d\u00e9finir leur quote-part respective dans la totalit\u00e9 des d\u00e9placements des personnes qui constituent la circulation.<\/em><\/p>\nLe transport est un mode de circulation fond\u00e9 sur l'utilisation intensive du capital, et le transit, sur un recours intensif au travail du corps. Le transport est un produit de l'industrie dont les usagers sont les clients. C'est une marchandise affect\u00e9e
\n de raret\u00e9. Toute am\u00e9lioration du transport se r\u00e9alise sous condition de raret\u00e9 accrue, tandis que la vitesse, et donc le co\u00fbt, augmentent. Les conflits suscit\u00e9s par l'insuffisance du transport prennent la forme d'un jeu o\u00f9 l'un gagne ce que l'autre perd. Au mieux, un tel conflit admet une solution \u00e0 la mani\u00e8re du dilemme des deux prisonniers d\u00e9crit par A. Rapoport: si tous deux coop\u00e8rent avec leur gardien, leur peine de prison sera \u00e9court\u00e9e.<\/em><\/p>\nLe transit n'est pas un produit industriel, c'est l'op\u00e9ration autonome de ceux qui se d\u00e9placent. Il a par d\u00e9finition une utilit\u00e9, mais pas de valeur d'\u00e9change, car la mobilit\u00e9 personnelle est sans valeur marchande. La capacit\u00e9 de participer au transit est inn\u00e9e chez l'homme et plus ou moins \u00e9galement partag\u00e9e entre des individus valides ayant le m\u00eame \u00e2ge. L'exercice de cette capacit\u00e9 peut \u00eatre limit\u00e9 quand on refuse \u00e0 une cat\u00e9gorie d\u00e9termin\u00e9e de gens le droit d'emprunter un chemin d\u00e9termin\u00e9, ou encore quand une population manque de chaussures ou de chemins. Les conflits sur les conditions de transit prennent la forme d'un jeu o\u00f9 tous les partenaires peuvent en m\u00eame temps obtenir un gain en mobilit\u00e9 et en espace de mouvement.<\/em><\/p>\nLa circulation totale r\u00e9sulte donc de deux modes de production, l'un appuy\u00e9 sur l'utilisation intensive du capital, l'autre sur le recours intensif au travail du corps. Les deux peuvent se compl\u00e9ter harmonieusement aussi longtemps que les outputs autonomes sont prot\u00e9g\u00e9s de l'invasion du produit industriel.<\/em><\/p>\nLes maux de la circulation sont dus, \u00e0 pr\u00e9sent, au monopole du transport. L'attrait de la vitesse a s\u00e9duit des milliers d'usagers qui croient au progr\u00e8s et acceptent les promesses d'une industrie fond\u00e9e sur l'utilisation intensive du capital. L'usager est persuad\u00e9 que les v\u00e9hicules surpuissants lui permettent de d\u00e9passer l'autonomie limit\u00e9e dont il a joui tant qu'il s'est d\u00e9plac\u00e9 par ses seuls moyens; aussi consent-il \u00e0 la domination du transport organis\u00e9 aux d\u00e9pens du transit autonome. La destruction de l'environnement est encore la moindre des cons\u00e9quences n\u00e9fastes de ce choix. D'autres, plus graves, touchent la multiplication des frustrations physiques, la d\u00e9sutilit\u00e9 croissante de la production continu\u00e9e, la soumission \u00e0 une in\u00e9gale r\u00e9partition du pouvoir \u2014 autant de manifestations d'une distorsion de la relation entre le temps de vie et l'espace de vie. Dans un monde ali\u00e9n\u00e9 par le transport, l'usager devient un consommateur hagard, harass\u00e9 de distances qui ne cessent de s'allonger.<\/em><\/p>\nToute soci\u00e9t\u00e9 qui impose sa r\u00e8gle aux modes de d\u00e9placement opprime en fait le transit au profit du transport. Partout o\u00f9 non seulement l'exercice de privil\u00e8ges, mais la satisfaction des plus \u00e9l\u00e9mentaires besoins sont li\u00e9s \u00e0 l'usage de v\u00e9hicules surpuissants, une acc\u00e9l\u00e9ration involontaire des rythmes personnels se produit. D\u00e8s que la vie quotidienne d\u00e9pend du transport motoris\u00e9, l'industrie contr\u00f4le la circulation. Cette mainmise de l'industrie du transport sur la mobilit\u00e9 naturelle fonde un monopole bien plus dominateur que le monopole commercial de Ford sur le march\u00e9 de l'automobile ou que celui, politique, de l'industrie automobile \u00e0 l'encontre des moyens de transport collectifs. Un v\u00e9hicule surpuissant fait plus: il engendre lui-m\u00eame la distance qui ali\u00e8ne. A cause de son caract\u00e8re cach\u00e9, de son retranchement, de son pouvoir de structurer la soci\u00e9t\u00e9, je juge ce monopole radical. Quand une industrie s'arroge le droit de satisfaire, seule, un besoin \u00e9l\u00e9mentaire, jusque-l\u00e0 l'objet d'une r\u00e9ponse individuelle, elle produit un tel monopole. La consommation obligatoire d'un bien qui consomme beaucoup d'\u00e9nergie (le transport motoris\u00e9) restreint les conditions de jouissance d'une valeur d'usage surabondante (la capacit\u00e9 inn\u00e9e de transit). La circulation nous offre l'exemple d'une loi \u00e9conomique g\u00e9n\u00e9rale: tout produit industriel dont la consommation par personne d\u00e9passe un niveau donn\u00e9 exerce un monopole radical sur la satisfaction d'un besoin. Pass\u00e9 un certain seuil, l'\u00e9cole obligatoire ferme l'acc\u00e8s au savoir, le syst\u00e8me de soins m\u00e9dicaux d\u00e9truit les sources non th\u00e9rapeutiques de la sant\u00e9, le transport paralyse la circulation.<\/em><\/p>\nD'abord le monopole radical est institu\u00e9 par l'adaptation de la soci\u00e9t\u00e9 aux fins de ceux qui consomment les plus forts quanta; puis il est renforc\u00e9 par l'obligation, faite \u00e0 tous, de consommer le quantum minimum sous lequel se pr\u00e9sente le produit. La consommation forc\u00e9e prend des formes diff\u00e9rentes, selon qu'il s'agit d'objets mat\u00e9riels o\u00f9 se concr\u00e9tise de l'\u00e9nergie (v\u00eatements, logement, etc.), d'actes o\u00f9 se communique de l'information (\u00e9ducation, m\u00e9decine, etc.). D'un domaine \u00e0 l'autre, le conditionnement industriel des quanta atteindra son niveau critique pour des valeurs diff\u00e9rentes, mais pour chaque grande classe de produits on peut fixer l'ordre de grandeur ou se place le seuil critique. Plus la limite de vitesse d'une soci\u00e9t\u00e9 est haute, plus le monopole du transport y devient accablant. Qu'il soit possible de d\u00e9terminer l'ordre de grandeur des vitesses auxquelles le transport commence \u00e0 imposer son monopole radical \u00e0 la circulation, cela ne suffit pas \u00e0 prouver qu'il soit aussi possible de simplement d\u00e9terminer en th\u00e9orie quelle limite sup\u00e9rieure de vitesse une soci\u00e9t\u00e9 devrait retenir.<\/em><\/p>\nNulle th\u00e9orie, mais la seule politique peut d\u00e9terminer jusqu'\u00e0 quel degr\u00e9 un monopole est tol\u00e9rable dans une soci\u00e9t\u00e9 donn\u00e9e. Qu'il soit possible de d\u00e9terminer un degr\u00e9 d'instruction obligatoire \u00e0 partir duquel recule l'apprentissage par l'observation et par l'action, cela ne permet pas au th\u00e9oricien de fixer le niveau d'industrialisation de la p\u00e9dagogie qu'une culture peut supporter. Seul le recours \u00e0 des proc\u00e9dures juridiques et, surtout, politiques peut conduire \u00e0 des mesures sp\u00e9cifiques, malgr\u00e9 leur caract\u00e8re provisoire, gr\u00e2ce auxquelles on pourra r\u00e9ellement imposer une limite \u00e0 la vitesse ou \u00e0 la scolarisation obligatoire dans une soci\u00e9t\u00e9. L'analyse sociale peut fournir un sch\u00e9ma th\u00e9orique afin de borner la domination du monopole radical, mais seules des proc\u00e9dures politiques peuvent d\u00e9terminer le niveau de limitation \u00e0 retenir volontairement. Une industrie n'exerce pas sur toute une soci\u00e9t\u00e9 un monopole radical gr\u00e2ce \u00e0 la raret\u00e9 des biens produits ou gr\u00e2ce \u00e0 son habilet\u00e9 \u00e0 \u00e9vincer les entreprises concurrentes, mais par son aptitude \u00e0 cr\u00e9er le besoin qu'elle est seule \u00e0 pouvoir satisfaire.<\/em><\/p>\n[…]<\/em><\/p>\nDans le cas de la circulation, l'\u00e9ventuelle puissance d'un monopole radical est tr\u00e8s concevable. Imaginons de pousser \u00e0 son terme l'hypoth\u00e8se d'une parfaite distribution des produits de l'industrie du transport. Ce serait l'utopie d'un syst\u00e8me de transport motoris\u00e9, libre et gratuit. La circulation serait exclusivement r\u00e9serv\u00e9e \u00e0 un syst\u00e8me de transport public, financ\u00e9 par un imp\u00f4t progressif sur le revenu o\u00f9 il serait tenu compte de la distance du domicile \u00e0 la plus proche station du r\u00e9seau et au lieu de travail, con\u00e7u pour que le premier venu soit le premier servi, et sans aucun droit de priorit\u00e9 au m\u00e9decin, au touriste ou au PDG. Dans ce paradis des fous, tous les voyageurs seraient \u00e9gaux, et tous \u00e9galement prisonni
\ners seraient du transport. Priv\u00e9 de l'usage de ses pieds, le citoyen de cette utopie motoris\u00e9e serait l'esclave du r\u00e9seau de transport et l'agent de sa prolif\u00e9ration.<\/em><\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"Ivan Illich a d\u00e9crit parfaitement la d\u00e9pendance \u00e0 l'automobile. Il a forg\u00e9 le concept de…<\/p>\n","protected":false},"author":7,"featured_media":0,"comment_status":"open","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_lmt_disableupdate":"","_lmt_disable":"","footnotes":""},"categories":[],"tags":[17,46,47,49,50,104,150,155],"class_list":["post-51","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","tag-assistant-de-mobilite","tag-citoyen","tag-collectivite","tag-commuter","tag-confiance","tag-illich","tag-pensee-complexe","tag-philosophie"],"acf":[],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/transportsdufutur.ademe.fr\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/51","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/transportsdufutur.ademe.fr\/wp-json\/wp\/v2\/posts"}],"about":[{"href":"https:\/\/transportsdufutur.ademe.fr\/wp-json\/wp\/v2\/types\/post"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/transportsdufutur.ademe.fr\/wp-json\/wp\/v2\/users\/7"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/transportsdufutur.ademe.fr\/wp-json\/wp\/v2\/comments?post=51"}],"version-history":[{"count":1,"href":"https:\/\/transportsdufutur.ademe.fr\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/51\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":3520,"href":"https:\/\/transportsdufutur.ademe.fr\/wp-json\/wp\/v2\/posts\/51\/revisions\/3520"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/transportsdufutur.ademe.fr\/wp-json\/wp\/v2\/media?parent=51"}],"wp:term":[{"taxonomy":"category","embeddable":true,"href":"https:\/\/transportsdufutur.ademe.fr\/wp-json\/wp\/v2\/categories?post=51"},{"taxonomy":"post_tag","embeddable":true,"href":"https:\/\/transportsdufutur.ademe.fr\/wp-json\/wp\/v2\/tags?post=51"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}