Accueil 3 livres pour des "mutations automobiles"

3 livres pour des "mutations automobiles"

par Gabriel PLASSAT

L'automobile est symbole de liberté et symptôme à la fois de déclin et de potentiel de renouveau industriel. Son avenir peut être imaginé sur les plans du catastrophisme environnemental ou du futurisme technologique. Quelques ouvertures à partir de trois ouvrages en anglais.  – JULIEN DAMON, PROFESSEUR ASSOCIÉ À SCIENCES PO (MASTER D'URBANISME).

Two Billion Cars Driving Toward Sustainability par Daniel Sperling et Deborah Gordon Oxford University Press 209, 304 pages.

La terre est peuplée d'un milliard de véhicules motorisés. Il s'agit, selon les termes des experts américains Daniel Sperling et Deborah Gordon, d'une des plus grandes menaces, d'origine humaine, pour l'humanité. L'optimisme est toutefois possible. Dans sa préface à l'ouvrage, le gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenegger, entrevoit un avenir plus sain et plus intelligent, à condition de résoudre l'équation croissance, innovation et protection de l'environnement.

Vers une humanité motorisée

Le livre importe d'abord par les projections qu'il rapporte. Si rien ne change, le monde sera très certainement bientôt insupportable (pour ne pas dire « insoutenable »). Le parc mondial de voitures, bus, camions et scooters, qui était estimé à 100.000 unités en 1950, serait aujourd'hui de 1,5 milliard (dont 700 millions de voitures). En 2020, il passerait à 2 milliards, et, en 2030, à 2,7 milliards. Cette flotte, si l'on peut dire, pourrait submerger la planète. Alors que 85 % des habitants n'ont pas encore de voiture, leurs attentes sont considérables. Aux Etats-Unis, « pionniers de l'humanité motorisée », la croissance du nombre de pots d'échappement devrait être inférieure à 1 % par an, quand elle pourrait atteindre de 7 à 8 points en Inde et en Chine.

Cette prolifération automobile, avec son cortège de pollution, appelle des transformations profondes. Nos auteurs, avec leur gouverneur préfacier, font la part belle à l'innovation technologique. Celle-ci est à mettre au service de l'intérêt général et non plus des désirs privés (en particulier d'aller toujours plus vite). La nouvelle génération de véhicules passera par l'électricité, l'hydrogène, les biocarburants et par des mécanismes de marché appropriés. L'idée clef est de faire passer les innovations (dont les firmes américaines ne manquent pas) des laboratoires au marché. Certes, les acheteurs sont un peu conservateurs, mais quelques incitations fiscales (des prix planchers élevés pour l'essence plutôt que des taxes carbone) peuvent les amener à changer. On notera que bureaucrates de Washington et industriels automobiles traditionnels de Detroit sont un rien conspués.

Cet ouvrage renseigné et militant (en faveur d'une solution que l'on dira « californienne ») estime que le système actuel de transport est trop cher et inefficient. Il faut réinventer la mobilité, les véhicules et les carburants. A cet effet, ce qui est généralement perçu comme une menace (la considérable demande des pays émergents) doit être conçu comme une opportunité. Il est en effet plus aisé d'implanter de nouvelles options que de changer de vieilles habitudes.

Reinventing the automobile Personal Urban Mobility for the 21st Century par William Mitchell, Christopher Borroni-Bird et Lawrence Burns MIT Press, 227 pages

Avec un livre au format original, et avec des illustrations que sauront apprécier les amateurs de belles bagnoles (du futur), deux ingénieurs, passés par General Motors et un célèbre professeur du MIT, William J. Mitchell, font oeuvre utile. Ils développent une vision d'un nouveau système de transport urbain, pour une mobilité soutenable et une ville durable (entendre aussi « agréable »). Souhaitant ouvrir une nouvelle page de l'histoire de l'automobile, ils la veulent avant tout verte et diverse (quand Ford, on s'en souvient, n'en proposait qu'une noire). Relevant que la voiture du XXI e siècle est toujours conçue pour un siècle qui n'est plus, ils en soulignent les limites. Elle est adaptée pour convoyer plusieurs passagers, rapidement, sur de longues distances. Elle est inefficace pour les besoins quotidiens de mobilité urbaine.

Il convient, tout d'abord, de « changer l'ADN » des véhicules, qui passeront du contrôle mécanique au contrôle électronique, du pétrole à l'électricité, du relatif isolement à l'interconnexion intégrale. Les voitures, plus légères et plus propres, seront devenues assez « intelligentes » pour éviter accidents et encombrements. La deuxième révolution tient dans le Wi-Fi embarqué. Les automobiles seront reliées à de l'Internet mobile, permettant de partager des données, de se coordonner, de rester connectés. L'optimisation, en temps réel, des offres et des demandes de transport pourrait solutionner les problèmes d'embouteillage et de sous-utilisation des voitures. Le troisième changement relève des infrastruc-tures de fourniture d'énergie propre. Adieu les stations-service et bienvenue à un nouveau réseau de recharge, avec implantation de points alimentés par l'hydraulique, le solaire, l'éolien et le géothermique. Enfin, de nouvelles politiques d'aménagement contribueront au renouveau des villes, avec fiscalité et tarification incitatives, pour les parkings, les péages, le covoiturage (limité tout de même à certains contextes).

L'ambition des auteurs n'est pas de réviser l'industrie automobile, mais de réinventer la mobilité urbaine personnelle. Ils souhaitent « sauver la vie en ville » par les nouvelles automobiles. Si on peut douter de la réalisation totale de leur projet, on lira une synthèse importante de tous les travaux sur la question, et l'on s'intéressera aux prototypes qui sont présentés (avec nouvelles expériences de conduite et nouvelles configurations intérieures). Relevons que la stratégie élaborée porte d'abord sur les Etats-Unis (où les villes ont été adaptées à l'automobile) et moins sur d'autres contextes, comme l'Europe (où l'automobile est, historiquement, plus adaptable à la ville).

Traffic Why We Drive the Way We Do par Tom Vanderbilt Random House, 416 pages

Le journaliste américain Tom Vanderbilt est fasciné par la circulation. Ayant lu la montagne de recherches consacrées à la question et ayant passé d'innombrables heures à observer, à travers le monde, nos comportements en tant que conducteurs, passagers ou piétons, il en a tiré un best-seller (complété par son blog howwedrive.com). Traffic souligne combien la voiture est un puissant révélateur. En un mot, notre conduite est un prisme de l'ensemble de nos conduites, les uns à l'égard des autres.

Vanderbilt écrit que les routes sont remplies de gens qui pensent qu'elles ne sont faites que pour eux. Il propose des pages mémorables sur le stress du changement de voie, la complexité psychique des déplacements motorisés, les mécanismes cognitifs mobilisés pour nous repérer, les dangers des habitudes
(nous faisons moins attention aux trajets familiers). Reprenant des thèses établies, notre passionné soutient que plus on se sent en sécurité, plus notre conduite sera à risque. Traverser en dehors des passages piétons peut être à cet égard moins dangereux - car nous sommes alors davantage sur nos gardes -que de les respecter.

La sécurité, notre responsabilité

Vanderbilt déclare que les ralentissements ont des vertus. La congestion (dont les femmes seraient davantage responsables) fait perdre du temps mais sauve des vies. Vanderbilt indique aussi que les routes ne sont naturellement ni totalement libres ni totalement gratuites. L'introduction de péages et/ou de voies spécialisées autorise une fluidité accrue. Enfin, il rappelle que ce ne sont pas les défaillances mécaniques des voitures modernes (bardées d'électronique) qui tuent. Ce sont d'abord les chauffards (très majoritairement des hommes).

Vanderbilt considère que l'automobile est une part, roulante, de notre identité. Sanctuaire intime ou familial, la voiture est un espace personnel qui coupe du dehors et qui modifie la conscience que l'on a de soi et de son environnement. Appelant à se rappeler des fourmis, qui savent circuler de manière parfaitement coordonnée, l'auteur ne croit pas que les innovations technologiques puissent d'ici peu tout transformer. La psychologie sociale peut, plus rapidement, contribuer à l'amélioration de nos conduites. Parmi les leçons de l'auteur, retenons celle-ci : nous ne sommes pas d'aussi bons conducteurs que nous le croyons…

Laisser un commentaire