Cet article est rédigé par Bertrand Duflos.
La présentation par Google, en mai, de ses prototypes de voitures totalement autonomes (sans conducteur) a confirmé les progrès de Google qui se prépare manifestement à lancer prochainement une offre de transport par véhicules autonomes (lire également la MétaNote N°20, La Chimère).
Que pouvons-nous faire de ce côté-ci de l'Atlantique ?
La différence entre les acteurs européens et Google : l'industrialisation
Grâce aux sommes importantes consacrées, notamment en recherche publique, depuis plus d'une dizaine d'années sur l'automatisation de la conduite, il n'y a peut-être pas de retard technique de l'Europe sur ce que fait Google, ou peut-être pas un retard significatif.
Là où il y a du retard, c'est en termes d'industrialisation : Depuis plusieurs années, Google développe sa solution technique, en couvrant de manière de plus en plus complète les différents aspects de l'automatisation de la conduite. Google teste sa solution jour après jour sur route depuis 2012.
Certes une grande partie des centaines de milliers de km de test de voitures autonomes annoncés par Google ont été faits sur autoroute, mais… l'expérience concrète acquise par Google est indéniable.
Du côté européen, des fonctions d'assistance à la conduite commencent à apparaître sur des véhicules, notamment Mercedes : mais généralement, l'automatisation de la conduite n'est que partielle et limitée à certaines fonctions d'assistance au conducteur (ADAS), et/ou à un segment de conduite spécifique, par exemple la conduite sur autoroute, ou le stationnement, etc.
Par ailleurs, les démonstrations faites par des industriels ne peuvent cacher le fait que ces technologies sont souvent loin d'avoir été réellement validées sur route.
Enfin, les développements effectués en Europe sont conduits de manière dispersée, les différentes fonctions d'assistance à la conduite aujourd'hui proposées sur des véhicules étant des solutions propriétaires. Nous sommes donc aujourd'hui probablement loin du niveau d'industrialisation atteint par la technologie Google.
La cause principale de cette différence est le cadre réglementaire
Alors que la recherche française et européenne a été depuis longtemps en pointe sur l'automatisation de la conduite, réaliser des tests a depuis toujours été extrêmement difficile. Le pire, c'est que cela reste encore aujourd'hui tout aussi ardu, le cadre réglementaire n'ayant pas évolué au rythme nécessaire.
Le cas de la société Induct montre les conséquences de cette situation : une technologie de premier plan, issue notamment des travaux des laboratoires de R&D publique français. Un excellent produit – la navette autonome Navia, parfaitement positionnée pour répondre à de vrais problèmes, lourds, de notre société. Aucun marché en Europe, en raison d'un cadre réglementaire aujourd'hui inadapté. Et par suite, pour cette PME française, des difficultés financières et l'arrêt de l'activité en mars… (Activités aujourd'hui reprises par la société Navya).
Le texte le plus bloquant quant au développement de véhicules autonomes est la convention de Vienne qui, en imposant la présence et la responsabilité du conducteur dans les véhicules, interdit de facto une pleine automatisation de la conduite (lire un autre article sur ce sujet : Innovation, Seniors, Pollution et le cybercar).
Cette convention est en cours d'aménagement, mais l'aménagement envisagé est insuffisant. La référence au conducteur doit tomber. Et plus vite cette convention sera ainsi aménagée, plus vite l'offre industrielle et de services française pourra s'installer sur les nouveaux et immenses marchés du transport par véhicules autonomes.
Naturellement, la modification de la convention de Vienne n'est pas le seul changement à apporter à la réglementation. Il faut également agir aussi sur les méthodes de certification.
L'approche retenue doit ouvrir le cadre réglementaire tout en permettant la suspension des autorisations en cas de problèmes, pour responsabiliser les acteurs industriels. Elle doit permettre à court terme une massification des tests, sans commune mesure avec ce qui est prévu par les projets pilotes actuels, comme par exemple CityMobil2.
La France doit soutenir ses grands acteurs du transport public de voyageurs pour lancer une offre de mobilité par véhicules autonomes
En matière de transport par véhicule autonome, nous avons des atouts essentiels pour réussir.
1. Ce n'est peut-être pas demain que l'on pourra faire circuler des taxis automatiques, même basse vitesse (quoique…). Dans ces conditions, l'offre de masse qui sera peut-être lancée en premier ne sera peut-être pas les taxis automatiques qui semblent envisagés par Google. Ce seront peut-être plutôt des 'navettes du dernier kilomètre' (type Navia, Vipa, Robosoft), organisées comme des minilignes de bus pour acheminer des voyageurs vers des lignes de trains ou de bus rapides.
2. Même à très basse vitesse (< 25 km/h), une offre de navettes du dernier kilomètre présente un intérêt considérable pour le public. Et à ces vitesses, le niveau de sécurité atteint par les navettes citées précédemment est peut-être déjà acceptable.Il faut aller vite en profitant des technologies remarquables développées en France.
3. Qu'il s'agisse de taxis automatiques ou de navettes du dernier kilomètre, l'offre sera faite par un opérateur de flotte. Qui est à même d'opérer des flottes de véhicules automatiques, dans un certain nombre de villes ? Google semble mal placé. Uber est mieux placé grâce à sa présence dans de très nombreuses villes ; mais précisément, Uber n'est pas exploitant de flottes de véhicules. Uber n'est pas aujourd'hui confronté à l'achat ou à la maintenance de véhicules.
Les acteurs inversement qui connaissent cette problématique, ce sont les opérateurs de transport public de voy
ageurs. Et nous avons aujourd'hui en France de magnifiques sociétés dans ce domaine: Keolis, Transdev, la SNCF, la RATP, et un outsider Bolloré.
Dans ces conditions, la politique gagnante pour la France consiste à modifier très rapidement le cadre réglementaire pour autoriser les navettes du dernier kilomètre, à stimuler les grands acteurs du transport public pour qu'ils envahissent très rapidement ce créneau à l'échelle mondiale, et enfin à fédérer les acteurs français autour d'une solution technique unique (notamment, RT-Maps), pour que les constructeurs automobiles et équipementiers français deviennent les fournisseurs préférés des opérateurs de transport exploitant des flottes de véhicules autonomes.
Ces opérateurs de transport seront demain les donneurs d'ordre pour ces nouveaux services de transport. Pour eux, la clef du succès sera peut-être de réussir à établir une relation directe avec le public, sans avoir à passer par une app ou une interface tierce.