Après un premier article sur le sujet (voir ici), vous trouverez ci dessous un article venant de Liberation Next, avec quelques commentaires en italique. Si la voiture de demain veut avoir une chance d’intéresser les jeunes générations, elle doit selon lui s’inspirer des règles marketing du jeu vidéo : l'épreuve, la récompense, la mise en réseau, et l'individualisation. Quel constructeur saura tisser les liens le permettant ? Et si, à l'inverse, d'autres industries parvenaient à proposer des solutions couplant réel et virtuel ?
Les joueurs de Grant Turismo (le N°5 sortira à Noël) peuvent choisir parmi des centaines de voitures existantes, de route ou de course, anciennes ou modernes, configurer leurs propres réglages (type de pneu, tarage de suspension…), choisir leurs circuits et accéder à des modèles plus puissants en fonction de leurs résultats. Le niveau de reproduction est tel que plusieurs pilotes de course ont confessé s’entrainer sur Gran Turismo pour améliorer leurs réflexes ! Face à un tel phénomène, il est légitime de penser que Gran Turismo est le meilleur ambassadeur des intérêts de l’industrie automobile. Ce n’est pourtant pas si évident.
Plusieurs études on mis en lumière qu’une majorité de jeunes adultes « accroc » aux jeux n’avaient pas leur permis et encore moins l’intention de le passer. Interrogée sur le sujet, la fameuse No Car génération trouve la voiture trop… ennuyeuse. Et pour cause, un gamin habitué à piloter sa Mercedes à 300 km/h sur le Nurburgring n’a aucune raison de rêver à la conduite d’une Clio diesel sur le périphérique. Autrement dit, plus le virtuel est sensationnel, plus le décalage entre fantasme et réalité est patent. Désorientés par cet état de fait, certains constructeurs ont bien conscience qu’ils doivent intégrer cette « culture du jeu vidéo », mais ils ne savent pas comment l’importer concrètement dans une voiture et en faire un avantage concurrentiel.
À ce jeu-là, General Motors a peut-être une longueur d’avance grâce à Feng Zhu, un petit génie de la conception de jeu vidéo. À peine sortie de l’adolescence, ce jeune designer d’origine Chinoise s’est fait un nom à Hollywood en créant certains univers graphiques de Stars Wars III et de Transformer. Auréolé de son succès, il a monté Feng Zhu Design et ouvert plusieurs bureaux dans le monde, notamment en Chine pour concevoir des jeux, mais également des pubs, des jouets et aussi conseiller l’industrie du cinéma. En 2009, il s’est payé le luxe d’ouvrir à Singapour une école de formation au design vidéo. À moins de trente ans, c’est un Steve Job en puissance. Consultant extérieur pour GM à l’Exposition universelle de Shanghai, il a livré un point de vue tout a fait innovant sur l’avenir de la mobilité. Si la voiture de demain veut avoir une chance d’intéresser les jeunes générations, elle doit selon lui s’inspirer des règles marketing du jeu vidéo, règles qu’il a lui-même en partie édictées.
Première d’entre elles, l’épreuve. Tous les jeux sont basés sur des épreuves à réussir pour accéder à un niveau supérieur. Feng Zhu propose qu’en fonction de l’utilisation de sa voiture, le conducteur passe des épreuves pour se différencier. Par exemple, s’il atteint un certain nombre de kilomètres, s’il va dans un lieu ou une ville en particulier, s’il fait réellement du 4X4 avec son 4X4, s’il respecte une moyenne établie, etc .. lui et sa voiture montent de niveau.
Ce qui lui permet d’accéder à la deuxième règle d’or du jeu vidéo, la récompense. Tous les jeux offrent aux joueurs des avantages à chaque passage de palier (nouvelles armes, meilleures résistances,…). Concrètement pour l’automobile, le conducteur pourrait télécharger des options virtuelles : un nouveau design du tableau de bord, un software pour changer la lumière d’ambiance, des options sonores ou visuelles… Au fur et à mesure de son avancé, le conducteur se concocte une voiture qui n’appartient qu’à lui.
Troisième règle à respecter, la mise en réseau. Le conducteur de demain devra pouvoir échanger et partager son expérience. Pour cela, Feng Zhu recommande de monter des minis caméras extérieures et intérieurs pour filmer sa vie à bord, la publier sur You Tube et pourquoi pas créer des concours des meilleures scènes de vie en voiture, façon Vidéo Gag ou Nouvelle Star. Enfin, dernière règle, l’individualisation à outrance. S’inspirant du succès du Tuning et aux sommes astronomiques qui y sont investies pour personnaliser une « caisse », notre docteur en science du jeu vidéo préconise de donner accès à certaines options payantes uniquement en fonction du niveau atteint. Un volant en plexiglas transparent, des jantes au dessin unique, des rétroviseurs laqués… oui, mais seulement si vous le méritez et si vous le payez cher !! L’objectif assumé est de se faire repérer par son voisin, ces options étant exclusivement réservées aux bons conducteurs/joueurs. Ce qui peut être considéré comme du « voyeurisme » pour nous autres européen est un atout chez les jeunes asiatiques très sensibles au signe extérieur de consommation. Après tout, on exhibe bien ces Nike à 200 €.
Commentaire : Nous avons ici un point essentiel : la reconnaissance ou le besoin de reconnaissance par ses pairs. Les actions qu'elles soient dans le monde réel ou virtuelle doivent conduire à une certaine reconnaissance couplant égoisme et altruisme. Cette reconnaissance peut prendre plusieurs formes plus ou moins visible et réelle (des options sur le véhicule réel ou un niveau supplémentaire). Ainsi selon l'utilisation que l'on fait, dans le monde réel, de son véhicule, le conducteur pourra accéder, dans le monde réel et virtuel à des options, des niveaux supérieurs, qui seront visibles à une certaine communauté. De même les actions réalisées dans le monde virtuel engageant le joueur et montrant ses qualités pourraient être échangées dans le monde réel. Des solutions permettant à cette communauté d'échanger, de troquer, d'acheter des niveaux seront alors créées, ressemblant à des monnaies virtuelles. Quel constructeur sera capable de coupler virtuel et réel avec un telle synergie, de créer ainsi des communautés en réseau, puis des monnaies ?
Si à ce stade, les propositions de Feng Zhu sont théoriques, elles ont le mérite d’instaurer une toute nouvelle relation entre l’automobile et l’automobiliste. Par ailleurs, leurs couts de développement sont raisonnables, comparés à des investissements industriels lourds. Interrogé sur les chances de voir ces préceptes mis en œuvre, Ed Welburn, vice-président du design G.M et grand manitou de la stratégie, n’a pas souhaité me répondre, me précisant qu’à ce stade révéler des informations supplémentaires sur le sujet serait donner un avantage à la concurrence. Autant dire que GM bosse le sujet à fond, conscient qu’un nouvel horizon est en train d’apparaître. Pour les sceptiques, sachez qu’entre temps Mac Laren a annoncé équiper sa nouvelle GT d’une caméra embarqué pour filmer ses exploits à son bord. Comme quoi, les bonnes idées circulent à la vitesse de la lumière. La révolution virtuelle est en route.
Commentaires : Non seulement ces coûts de développement sont faibles au regard des investissements industriels mais ils seront majoritairement réalisés par les joueurs eux-mêmes qui proposeront des innovations, des projets qu'ils réaliseront eux-mêmes en partie. Mais cette transition vers un couplage réel/virtuel intéresse également d'autres industries : les opérateurs de transports publics, opérateurs télécoms, ou
Cette synergie réel/virtuel est cohérente avec le besoin de proposer aux consommateurs non plus uniquement des objets mais bien des "univers" dans lesquels des valeurs sont incarnées. Aujourd'hui des serious games sont déjà utilisés ou en cours de développement pour, par exemple, se former à la conduite de bus en milieu urbain (voir ici à la RATP). Mais demain, le couplage sera bien plus complexe : les images de ces simulateurs pourront venir des cameras réelles des voitures en circulation proposées par Feng Zhu, les données des moteurs directement des constructeurs (qui trouveront ici des conditions pour tester gratuitement des configurations grâce des outils de modélisations). Les performances de conduite des joueurs intéresseront alors de nombreuses entreprises et organismes publics pour mettre au point leur produit, pour les inclure dans des Univers virtuels, pour étudier les interactions des véhicules avec les interfaces, pour étudier et optimiser globalement les flux de circulation dans la ville (personne et marchandise), pour mettre au point des services de mobilité …
Vers des Sim Cities couplés au réel …
1 commentaire
Quelques liens de mon cru pour prolonger ce sujet fascinant (merci d’excuser cette auto-promo éhontée, mais le sujet me tient à coeur ^^)
http://www.pop-up-urbain.com/auto-lillusion-du-virtuel/
http://www.pop-up-urbain.com/le-retrogaming-dans-le-retroviseur/
http://www.pop-up-urbain.com/jeux-video-quand-la-voiture-urbaine-fait-boum/
http://www.pop-up-urbain.com/quand-trackmania-inspire-mini-ou-la-fin-de-la-differenciation-automobile/ (ou j’explique d’ailleurs que je ne partage pas du tout la vision de Feng Zhu sur la personnalisation extrême de l’auto du futur, mais c’est une autre histoire qui mérite d’autres billets…)
Philippe Gargov
[pop-up] urbain