Accueil [MétaNote N°19] Apprenons à connaître les citoyens du futur ?

[MétaNote N°19] Apprenons à connaître les citoyens du futur ?

par Gabriel Plassat

Nombreuses sont les études de prospectives centrées sur les techniques. Pensant que toutes les innovations technologiques conditionnent le fonctionnement des organisations humaines, que ces dernières les consomment, uniquement. Mais des tendances historiques plus longues sont à l’oeuvre au niveau des aspirations individuelles. Nous sommes des animaux sociaux, et, malgré les apparences, profondément altruistes (lire Plaidoyer pour l’altruisme par Mathieu RICARD). Désormais, il devient possible de penser que de plus en plus d’individus formés peuvent s’engager « seuls », sans structure de commandement, sans liaison avec les « marques », sans direction fixée par d’autres, dans la conception et la réalisation de projets avec d’autres pairs, et cela à grande échelle. A la fois reliés à de nombreux réseaux, le « nous », et autonome, le « moi ». Ceci n’est pas un détail. Ce n’est pas non plus un hasard.

« Dès son plus jeune âge, l’enfant éprouve un sentiment d’appartenance au groupe : il est un parmi beaucoup d’autres et l’autre est un peu lui-même. Ce sentiment se manifeste clairement dans les activités coopératives, au cours desquelles les enfants poursuivent un but commun et prennent conscience de leur interdépendance au sein de laquelle le « moi » se fond dans le « nous ». Avec l’âge, ce sentiment collectif du « nous » se restreint graduellement à certaines catégories d’individus, à des « groupes » – famille, amis et, plus tard, ethnie, religion et autres facteurs de distinction, de division et, souvent, de discrimination. À l’adolescence et à l’âge adulte, certains étendent à nouveau le cercle de l’altruisme et ressentent un profond sentiment d’« humanité partagée » avec les autres êtres humains, et d’empathie pour ceux qui souffrent. Une éducation éclairée devrait mettre l’accent sur l’interdépendance qui règne entre les hommes, les animaux et notre environnement naturel, pour que l’enfant acquière une vision holistique du monde qui l’entoure et contribue de manière constructive à la société dans laquelle il évolue en mettant davantage l’accent sur la coopération que sur la compétition, et sur la sollicitude que sur l’indifférence. De la conception que l’on a de l’enfance dépendent les pratiques éducatives que l’on va mettre en œuvre. Si l’on reconnaît que l’enfant naît avec une propension naturelle à l’empathie et à l’altruisme, son éducation servira à accompagner et à faciliter le développement de cette prédisposition. » – Plaidoyer pour l’Altruisme, Mathieu RICARD.

Nos technologies de communication, de production et demain d’échanges de richesse, ont atteint un seuil inédit permettant à la fois l’individuation (capacité à chacun d’exercer un ou plusieurs expertises de façon individuelle) et l’implication dans des travaux collaboratifs sociaux. Ces deux moteurs de notre développement fonctionnent en se nourissant l’un l’autre, permettant de mettre en oeuvre de nouveaux dispositifs d’innovations collectives (lire l’article Les nouveaux dispositifs d’innovations collectives). C’est la première fois dans l’histoire humaine que cette situation apparaît avec des grands collectifs distribués. Nous sommes au premier âge et déjà les bouleversements deviennent sensibles en matière de résultats, de livrables, mais également sur « nous-mêmes« . Et ce sont ces changements qui méritent d’être analysés.

Que sommes nous en train de devenir ?

Une explosion des typologies de consommateurs, de co-producteurs de solutions, de modes de vie, de contexte, est dès aujourd’hui prévisible. Mais quelles seront les caractéristiques des pionniers, ceux qui inspirent les changements par contagion virale, ceux qui portent et incarnent les valeurs clés de notre avenir ? quelles seront leurs points communs ?

Plusieurs articles ont été rédigées sur les évolutions des modes de consommation (lire révolution du client), les évolutions de nos modes de communication portés par le numérique, ainsi que les évolutions clés du secteur des transports. Ce regard sur les individus complète le paysage, la narration de notre futur. Des études récentes proposent d’esquisser l’évolution des structures familiales ou encore des seniors, dans le but de préparer les marques à concevoir des produits et des services adaptés. Nous proposons à l’inverse d’utiliser ces études pour comprendre les évolutions des « citoyens du futur », ceux qui utiliseront les prochaines générations de systèmes de transports multimodaux, et bien sûr, ceux qui les imagineront et co-créeront.

Quelles seront les prochaines structures familiales ?

Les principales forces identifiées par Dragon Rouge / Brand Futures sont l’urbanisation augmentant la pression sur l’espace, la nécessité d’être mobile pour des raisons professionnelles et personnelles conduisant à réduire la capacité à posséder, la cohabitation multigénérationnelle permanente depuis le plus jeune âge jusqu’à la fin de vie, une évolution majeure des notions de richesses modifiant les investissements dans l’avoir au profit de l’être, la capacité à connaître et gérer ses données numériques, la capacité à faire nous mêmes et à collaborer de pair à pair. Ces 6 forces façonnent, par la pression qu’elles vont exercer sur nos vies et nos pratiques, notre regard sur les autres, sur nous et sur de nombreux champs que nous croyons immuables. Tout d’abord la structure familiale opère déjà de profonds bouleversements.

Cinq structures type pourraient remplacer le standard ménage marié à 2 enfants. Les tribus Tandem se réunissent pour partager salon et cuisine / salle à l’espace. Les parents isolés ont un partenariat de complaisance, un mode de vie qui ne serait pas possible seul, qui fournit un environnement positif, flexible pour l’éducation des enfants. Une maison Tandem tribu est souvent partie d’une micro-communauté, avec des installations communes comme les outils de bricolage partagées et d’une flotte de voitures électriques, permettant faible coût, et collaboration. Les Movers modulaires sont nomades. Vivant dans des espaces flexibles à travers le monde, ils ne veulent pas de bagages et se déplacent de Sao Paulo à New York à Bangalore chaque fois qu’ils en ont besoin. Avec des logements proche d’un hôtel, ils ont soif de pratique, et l’emplacement et la commodité sont plus importants qu’un sentiment de « home sweet home ». Ils peuvent choisir des add-ons de leur espace de vie : une cuisine, par exemple, ou un bureau à domicile. La mégapole est leur terrain de jeu. Les Silver sont déterminés à vieillir de façon positive. Le rapport du Commissariat général à la stratégie et la prospective sur la Silver économie, analyse spécifiquement les évolutions des seniors. Ils veulent avoir un style de vie décontracté avec une véritable interaction entre les générations. Ils utilisent leur expérience et les compétences nécessaires pour contribuer à la communauté et l’économie locale. Le revenu qu’ils reçoivent en retour contribue à soutenir leurs activités au jour le jour. Les Ruralites sont des entrepreneurs avec des maisons hyper-efficaces et orientées technologie-confortables. Ils sont proches de l’autosuffisance dans la production alimentaire et font pleinement usage de toutes les ressources disponibles, y compris la production d’énergie. Leur imprimante 3D maintient le travail à domicile, la production de pièces de rechange pour tous les appareils. Les Multi-genes, plusieurs générations vivent sous un même toit. Leurs maisons peuvent être bondés, mais ces familles dépendent du soutien de l’autre, permettant à chaque membre de la famille de poursuivre leurs propres objectifs et mener une vie indépendante. Ces familles font appel à des services tels que des centres de famille en réseau, qui divisent les tâches et des responsabilités entre tous les membres de la famille. À certains égards, ils ressemblent plus à une entreprise efficace qu’à une famille classique.

Ces 6 forces associées à ces 5 structures familliales peuvent être complétées par 4 typologies de travailleurs. Bruno Marzloff dans Sans Bureau Fixe, considère les mutations contemporaines de l’économie, soulignant deux tendances structurelles : « le déplacement rapide d’une économie industrielle vers une économie servicielle » et « la capacité de la société civile et des acteurs publics d’orienter la puissance des réseaux sociaux vers le collectif », en particulier à travers la montée en puissance de l’économie du partage (également appelée « économie collaborative »). C’est dans ce contexte que le sociologue situe l’avènement du travailleur « sans bureau fixe ». À ce jour, il distingue quatre catégories distinctes de travailleurs différenciées selon 4 capacités : l’agilité temporelle, agilité numérique, agilité relationnelle et empowerment. Ces 4 agilités structurent les possibles du travailleur :  le « sédentaire », le « mobile occasionnel », « l’hypermobile indépendant » et « l’hyperagile ». C’est ce dernier qui constitue, pour Bruno Marzloff, « l’allégorie du travailleur en devenir ». Nomade ultraconnecté, il incarne la « transition de l’automobile au mobile » et l’émergence de ce « quotidien à distance ». Ces évolutions ont été travaillées par la FING dans un projet Digiwork pour repenser la place de l’individu au travail dans un société numérique. Encore une fois, à l’inverse, dans une société forgée autour du travail mobile, centrée sur les services et les outils de production décentralisés, qui seront les leaders ? comment doit-on former nos enfants pour qu’ils puissent non seulement survivre mais plutôt s’épanouillir et être en capacité de créer. Que vont-ils ressentir quand ils innoveront dans le chaos ?

Et y aura-t-il toujours un consommateur ?

D’un autre coté, le rapport Sainsbury’s/Unilever (lire l’article Le consommateur du Futur : [R]évolution) commence sur le constat que le futur, et notamment le comportement des consommateurs, sera radicalement différent notamment par l’arrivée des TIC nomades qui permettent une mise en réseau et un accès à l’information partout, tout le temps. Puis en utilisant la méthode des scénarios propose 2 paramètres clés qui construiront 4 « mondes » virtuels, la réalité se situant quelque part entre ces 4 visions. Les 2 paramètres clés sont : Fait le toi-même / Fait le pour moi, et Prospérité forte / faible

Consum

L’avenir des plateformes

En même temps, de nouvelles plateformes se construisent, dans tous les domaines, pour synchroniser des individus dans des communautés d’intérêts, et leur fournir des capacités pour penser le « collectif » et faire. Ces dispositifs sont construits par des citoyens qui mettent en oeuvre des « communs« . Michel Bauwens créateur de la P2P fundation travaille à la fois sur ces concepts et sur des actions très concrètes comme par exemple, Quelle entreprise pour mieux répartir la valeur des communs :

« Il y a deux secteurs sur lesquels on a des expériences significatives : le logiciel et l’open manufacturing avec Arduino. Dans le cas du logiciel libre, Linux et Ubuntu sont de bons exemples qui posent bien les questions de l’économie de la contribution. Les trois quarts des individus qui travaillent sur le noyau de Linux sont salariés par ailleurs. Dans ces systèmes, on construit du commun avec des bénévoles, quelques salariés et la contribution d’entreprises. On constate que peu de contributeurs volontaires vivent de leurs seules contributions. On retrouve la même situation dans l’écosystème Arduino avec une différence concernant les institutions du commun. En effet, dans le logiciel libre, il y a des institutions du commun : Ce sont des associations à but non lucratif qui protègent les infrastructures, la viabilité et les conditions de production et de diffusion du commun. Ce sont les fondations Linux, Wikimedia, Bitcoin par exemple. Dans l’open hardware, la dépendance aux entreprises est plus grande. Cela est probablement dû à la dimension matérielle du produit qui en renchérit énormément le coût de fabrication, et les institutions du commun moins nombreuses, voire absentes. »

« Comme on ne monétise pas le commun, qu’il s’agisse d’un logiciel ou d’une conception de produit, ce sont les services périphériques qu’on monétise. Cette voie servicielle est celle qui rencontre le plus de succès. Mais elle pose un problème qui est celui du financement de l’investissement. En Equateur, le gouvernement s’est déclaré prêt à faire une transition vers une société de connaissance ouverte basée sur les communs et réaliser des investissement dans les projets ouverts est une façon d’enclencher cette transition. »

« Plus fondamentalement nous avons besoin de redéfinir la façon dont nous construisons et répartissons la valeur. On sait qu’on est capable d’augmenter de façon exponentielle la valeur d’usage, on sait que dans le même temps la valeur économique croît, elle, uniquement de façon linéaire, c’est un problème. Facebook illustre parfaitement, ce phénomène.

Le problème est celui de la capture de la valeur économique. La plateforme capture la totalité de la valeur économique, rien ne revient aux individus qui construisent cette valeur.

On arrive à un paradoxe : les système pair à pair témoignent d’une productivité bien plus importante que les système marchands ou hiérarchiques et ce gain de productivité est capturé par un petit nombre d’acteurs qui se sont arrogés une position centrale. Dans les modèles que nous essayons de pousser, il faudrait que ceux qui contribuent au commun soit ceux qui captent la valeur au bout du compte. Nous voulons créer un modèle économique qui restaure le lien entre la création de la valeur et la captation de la valeur. »

Certaines plateformes préfigurent les prochains « forums » comme l’Assemblée Virtuelle. Cette dernière souhaite favoriser la convergence des acteurs, des idées et des projets concourant au développement d’une transition sociétale.

Il s’agit d’une plateforme web 3.0 open-source et distribuée, basée sur la technologie stample, où 3 types de profils pourront être créés : Acteurs : Individus et collectifs, Idées : Critiques ou constructives, locales ou générales, Projets : Seulement imaginés ou en cours ou réalisation. Acteurs, idées et projets sont les briques élémentaires de l’Assemblée Virtuelle. Ils ont vocation à se lier entre eux afin de favoriser l’émergence de systèmes. L’ASSEMBLEE VIRTUELLE combine :

  • Un réseau social distribué en « linked datas »
  • Des modules de datavisualisation et de géolocalisation
  • Des modules de collaboration décentralisée (crowdsourcing),
  • Des modules de financement participatif (Crowdfunding)
  • Une monnaie virtuelle (En cours de conceptualisation)

Maintenant que ces éléments sont rassemblés, nous pouvons esquisser des mots clés : « mobilis in mobile », relié à, réseaux, individuation, collectif, commun, résilience, formation continue, tiers lieux… Quels pourraient être les points communs de citoyens pionniers, acteur de cette société, désireux de construire un environnement meilleur ? Quelles formations donner à nos enfants, citoyens du futur, pour qu’ils puissent s’y épanouir, et construire ensemble ?

Puisque les réseaux, les collectifs d’intérêts vont prendre une place importante, et qu’en même temps, l’individu pourra travailler à la fois son expertise, son art, ses talents pour lui et pour les groupes, alors de nombreuses références actuelles sont à revoir. Par exemple, comment puis je me présenter à un inconnu ? puisque ce qui me définit n’est plus ma formation, mon poste, mais plutôt mes actions, mes connexions, mes réseaux, qui évoluent en permanence. Mon diplôme est-il comparable aux appréciations et jugements de mes pairs ? Autre exemple, comment fait-on pour s’exprimer dans des collectifs, pour y déployer ses compétences (lire 6 accords pour inviter la sagesse) ? Comment apprend on dès le plus jeune âge à gérer les liens faibles des réseaux sociaux (lire La puissance des réseaux) ? Quelles sont les richesses de vos projet, de vos organisations (lire l’article associé) ?

Ces nouvelles manières de tisser des liens caractérisent tout particulièrement un phénomène d’apparence paradoxale : la valeur des liens de « faible intensité ». « Faibles », car les échanges sur les réseaux peuvent s’avérer éphémères, ponctuels et ils n’offrent pas toujours la continuité de l’échange traditionnel en « face à face ». Mais, engageant peu, ils permettent de coopérer plus. Un échange sur un réseau implique moins, mais autorise plus de marge de manœuvre. Les citoyens épanouis seront à la fois très individués, compétents dans plusieurs domaines, également capables de fonctionner en relation avec d’autres, d’apporter des richesses à ces réseaux. Ceci appelle de nouvelles compétences : l’analyse, la facilitation, la connection, la reliance, la curation, l’amplification, la propagation, la critique, …

Mememachine_master

Jean-françois Noubel, chercheur en intelligence collective (écouter cet entretien avec lui), présente en 10 minutes cette dualité : évoluer tous, évoluer soi. Nous pouvons engager dès à présent un exercice sur nous-même … Pour nous préparer à ces évolutions; en 2050, nous serons heureux.

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